La course classique se vit aussi au présent grâce à des passionnés qui nous permettent de voir de grands spectacles avec des voitures exceptionnelles sur des circuits légendaires. On découvre, avec l’américaine Carol Quiniou, une femme de caractère pas particulièrement destinée à faire de la course sa passion. Elle nous parle de son parcours avec sensibilité, fantaisie et humour.
Olivier Rogar
Rares sont les femmes qui considèrent l’automobile comme autre chose qu’un simple moyen de transport ?!
– Femme ou homme, peu importe cette vision machiste ! Mais je ne laisserai personne me dire qu’une voiture est juste un mode de transport. Une voiture est plus qu’un moyen de se déplacer d’un point A vers un point B. C’est une poussée d’adrénaline. C’est un sex-symbol. C’est surtout un rêve ! Ca peut vous donner l’impression d’être puissant, concentré et vif, vous pousser vers vos limites et parfois au-delà.
Interrogez n’importe quel pilote ou passionné ; il vous expliquera la totale symbiose ressentie avec la machine, ce moment incomparable de fusion où ils ne font plus qu’un. Pour les autres, qu’ils pensent à l’expression « cela vous va comme un gant » et ils comprendront ce que j’éprouve.
Il est enivrant de se sentir complètement maître de chaque virage, de chaque irrégularité de la route, particulièrement quand vous la dévalez dans la stridence d’un paysage qui s’enfuit. Tous vos sens semblent entrer en action en même temps, leur sensibilité décupler, vous entendez chaque battement de votre cœur, votre regard devient laser, votre odorat est une découverte… Chaque chose devient plus vibrante, réelle et vivante.
Comment caractérisez vous la vitesse ?
– La vitesse est « addictive », tout s’efface, sauf le point de l’espace temps dans lequel vous êtes à chaque fraction de seconde. Rien de plus sain que la vitesse pour aiguiser votre esprit : vous anticipez chaque courbe, ample ou resserrée, vous êtes porté par le mouvement, votre conscience est seconde, certains vont même jusqu’à dire que si vous commencez à penser à ce que vous devez faire, l’équilibre se rompt, le rythme se perd dans les erreurs qui se produisent et gâchent irrémédiablement toute possibilité de faire tomber le chrono…
En fait nul besoin d’être pilote pour ressentir cette osmose. Qui n’a jamais vécu un instant de grâce en conduisant sur une belle route de campagne ? Le genre de pensée qui disparait dès qu’on en prend conscience malheureusement.
Ressentir ces moments, lorsque vous ne faites qu’un avec votre voiture, cela peut être fugace ou durable, c’est selon. Il y a ceux qui le font d’instinct et ceux qui ont besoin de travailler pour y parvenir. Mais doit-on parler de travail ou d’expérience ? En comprendre le comportement, la mécanique, la dynamique ? Et même ceux qui n’y parviennent pas tout à fait, vivent des moments extraordinaires en essayant de se dépasser.
Un souvenir précis à ce sujet ?
Je peux me rappeler la première fois que j’ai éprouvé ce genre de sentiment, c’était à San Diego en 1979, je rentrais de la plage au volant d’une TR7 prêtée par un ami. Tout semblait parfait. J’ai du attendre un certain nombre d’années avant de revivre un tel moment…mais lorsque cela se produisit à nouveau, ce fut définitif. La vitesse à cette étape, n’était pas le facteur clé. Ce qui m’accrocha par-dessus tout fut juste ce rare moment de pur plaisir de conduire.
La voiture avait aussi quelque chose à voir avec cela. J’aimais cette voiture. La manière dont elle tenait la route et son apparence. Je ne savais pas à l’époque ce que je sais maintenant des voitures, même si je dois avouer que je suis loin de tout connaître de leurs secrets techniques. Mais je ressens quelque chose pour elles, esthétiquement bien sûr mais aussi par tous les sens qu’elles mobilisent avec leur caractère, leur musique, leur odeur… Empreintes génétiques qui m’aident à me souvenir de chacune d’entre elles.
Je pense que les voitures ont une personnalité. Elles ne sont pas seulement acier, boulons et rondelles. Elles peuvent être féminines ou masculines, mignonnes, moches, brutes de décoffrage, belles, beaux, ou sacrément sexy. Oui vous pouvez rire ! Je concède que c’est un point de vue très personnel, issu de ma propre expérience de 36 années de conduite, dont 15 sur circuits…
Comment êtes vous venue à la course ?
– En fait, à la fin des années 80 je découvre Montlhéry et le monde de la course historique.
Mes deux beaux-frères, Christian et Michel Quiniou étaient déjà des enthousiastes. Patrick mon époux à l’époque, les a rejoints au milieu des années 90. Il n’a pas fallu longtemps avant que le virus ne me gagne aussi. Inutile de dire que je ne suis absolument pas prête pour ce qui m’attend. La présence à mes côtés de mon amie Martine Peruch, qui a suivi le même parcours avant moi, me donne le peu de courage que j’ai.
Quelle était l’ambiance au Castellet ?
– Je me retrouve catapultée dans une classe de 8 ou 9 jeunes coqs âgés de 17 à 21 ans…non seulement je suis la seule femme du groupe, mais aussi la plus âgée, «Vous pourriez être ma mère, que faites-vous ici ? ». Le ton est donné ! Je réalise que je dois tout donner si je veux être prise au sérieux et respectée. Après une matinée d’enseignement, nous rejoignons nos voitures et l’entrainement commence … C’est quelque chose de sérieux et pas de « l’incentive pour cadres méritants » ! Les instructeurs sont là pour nous donner les fondements de la conduite d’une voiture de course, les bons reflexes et la conscience des limites. Pour des raisons diverses, à la fin de la journée plusieurs d’entre nous manquent à l’appel. Ca aurait été mon cas si Martine ne m’avait pas poussée à m’accrocher tout au long des quatre jours de stage. Je dois beaucoup à Isabelle et Martine pour leur soutien. Dès le premier jour, je suis épuisée, étourdie et égarée. Prête à jeter l’éponge et à retourner à mes casseroles !
Impossible de coordonner cerveau, membres, double débrayage, vitesse…je suis complètement perdue. Un peu comme si j’avais tout oublié de la conduite. Martine me suggère d’aller dîner dans le vieux village du Castellet et de laisser les « jeunots » à eux-mêmes. Le lendemain, je suis d’attaque, j’annonce à Martine que j’ai tout compris ! Elle me regarde fixement, les yeux cernés, l’air épuisé. Il semble que ma nuit ait été fort agitée. Bruits de moteurs, double pédalage, changements de vitesse me sont désormais familiers et Martine y a laissé son sommeil ! Je suis prête pour l’étape suivante.
Etes vous un cas à part pour les moniteurs ?
– L’un de mes instructeurs est Gérard Bacle. Lors d’un exercice chacun de nous doit rouler le plus vite possible dans la ligne droite, freiner tard et prendre un droite serré avant de revenir et de recommencer, encore et encore…nos instructeurs sont postés à différents endroits pour voir et nous corriger. Je fais un peu n’importe quoi et suis rappelée dans les stands. Je vois Gérard remonté comme une pendule et fulminant faisant de grands gestes à mon intention. Je coupe le contact. Déboucle le harnais. Je n’ai pas le temps d’enlever mon casque qu’il explose « Putain, t’es une gonzesse ou quoi ! » , atterrée, j’enlève lentement mon casque et vois son regard devenir complètement incrédule. « ben oui… » suis-je seulement capable d’articuler un court silence puis nous éclatons de rire. Avec le recul je pense que c’est le moment où j’ai réalisé que si je voulais être un compétiteur respecté et compétent il me faudrait surmonter tous les clichés qui prévalent dans le monde très masculin de la course.
Vous avez conduit et piloté de nombreuses voitures, que vous inspirent-elles ?
– La liste des voitures est longue. Mais ce qui est intéressant c’est que j’ai tendance à les percevoir comme des femmes ou des hommes. Elles ont un caractère spécifique. Il y a quelques années j’ai eu une conversation avec Jason Wright qu’il a relatée à Carol Spagg et il y eut publication de cet échange. Je n’ai pas été créditée de mes propos, ce qui est dommage. Je vous les rapporte tels qu’exprimés à l’époque : – Si vous avez besoin de penser selon des stéréotypes, que vous conduisez une Lotus, vous saurez qu’elle est féminine, délicate, un peu caractérielle, nécessitant beaucoup d’attention. Les Cobras, de leur côté ont un caractère absolument masculin. Aucun doute là-dessus. Vous savez toujours où vous en êtes. Elles ne cachent pas leur jeu. Quoique certaines aient une pointe de féminité et ont besoin d’être menées par une poigne d’homme. Mettez les gaz et vous savez vite où vous en êtes ! Une Corvette, bien que tout en muscles, est féminine, vive, réactive à la façon d’une fille de gang davantage que d’une « Lady ». Les Bentley sont masculines, des « boys », comme ceux qui les pilotaient à la grande époque. Du genre à passer une soirée entre eux, loin de toute compagnie féminine… Toutes les Alfa sont féminines, elles se comportent très bien, avec cette pointe de fantaisie qui les distingue même lorsqu’elles ont atteint un grand âge. Les Bizzarini sont des filles. Contentez vous de les regarder pour le comprendre. De même que les Elva. Elles sont musculeuses et fermes comme des adeptes de gym tonic, mais leur cœur est féminin. Les F1 des années 70 et 80 sont toutes masculines, mais pas nécessairement machistes. Les Ferrari ont l’un ou l’autre caractère selon les modèles et les années. Les Mustang sont masculines comme des teenagers, aucun doute ! Les Galaxy ont un caractère d’homme mûr qui a tout vu et regarde le monde d’un œil amusé. Les Jaguar sont féminines mais un peu garçons manqués et elles apprécient d’être considérées comme tels. Du style à venir au pub, à consommer et à payer leur tournée aux gars !
Pourquoi avoir choisi la course en « Classic » ?
– La Tr 4 de mon père est mon premier souvenir automobile. Je faisais de mon mieux pour l’aider à la faire briller ! Plus tard vinrent la Chevrolet Impala familiale, la Pontiac GTO rouge et noir de maman et ma première conduite, permis en poche, se fit avec la Firebird… Plus tard encore j’acquis une Beetle de 1972 et le virus me prit vraiment lorsque j’achetai ma première voiture de collection : une Austin Healey « Frogeye » . Le début d’une longue et délicieuse histoire d’amour avec les voitures. Lorsque j’ai été entrainée dans la danse, tout mon entourage courait déjà en « classic ». Et d’un point de vue pratique – environnement, budget – comme d’un point de vue esthétique, la question ne s’est finalement pas posée : la course en « classic » était une évidence !
Photos @ Carol Quiniou
Parcours de Carol Quiniou :
1997 – Stage de pilotage Winfield au Castellet avec Simon de Lautour, et Gérard Bacle.
Premières épreuves sur une TERRIER MK2 de 1959, sur la plupart des circuits français dont Montlhéry et le Castellet.
1998 – Acquisition et apprentissage de 2 nouvelles voitures…LOTUS SEVEN 1962, participation au Trophee LOTUS sponsorisé par PLANETE CABLE, et LOTUS 23, barquette de 1964. Participation à de nombreuses épreuves sur tous les circuits français. Fin 98, encore une nouvelle expérience avec la participation aux 6 HEURES DU MANS sur le circuit Bugatti sur une LOTUS ELAN 1964 aimablement prêtée par l’écurie Stepak. Je courais avec la femme de Sylvain Stepak, nous étions le seul équipage féminin au départ et à l’arrivée…
1999 – Nouveau challenge avec la LOTUS 23, participation aux épreuves européennes réserves aux sports protos historiques, avec la possibilité de rouler sur les plus beaux circuits d’Europe ( Spa, Silverstone, Nurburgring, Monza, Brands Hatch…), et la chance de se frotter a des autos bien plus puissantes ( Lola T70, Ford GT40, Ferrari 250 LM), non sans succès, « if I do say so myself ! »
2000 – Découverte d’un nouveau genre, les courses d’endurance historiques, encore avec la LOTUS 23 pour les épreuves de 3, 6, et 12 heures, avec des résultats probants, un de mes meilleurs souvenirs…3 e au scratch aux 12 heures de Jarama organisé par 2001 V de V Organisation,- mais contrainte d’ abandonner à une heure de l’arrivée quand le moteur a cassé…
2002-2003– Intégration dans l’équipe féminine POLYBAIE sur une Porsche 356 pour les épreuves d’endurance avec à la clé une 18e place pour notre première participation à une épreuve de 24 heures à Magny Cours organisée par V de V. Equipage de 4… Severine Moreau, Delphine Depagneux, Olivia Martin, et moi-même. Dans le même temps je courais dans de nombreuses épreuves de sprint sur le continent et en Angleterre dans la série Group 4 Racing avec le LOTUS 23.
2004 – Une nouvelle voiture vient s’additionner au LOTUS 23, une LOTUS 59 Formule Ford, découverte de la monoplace et des courses monotypes. 6 courses en France en plus de celles avec le 23 un peu partout en Europe…
2005 – C’était un programme chargé ! Participation au Sport Racing Challenge, une série britannique organisée par Carol Spagg, pour les protos antérieurs à 1966 dans toutes l’Europe. Endurances longues, 6, 8, 12, et 24 heures avec l’écurie POLYBAIE, sur une PORSCHE 911 2L de 1964 cette fois, avec pour co-équipière Séverine Moreau.
2006 – Nouvelle saison avec course de sprint en Europe avec la LOTUS 23, et en France avec la Formule Ford LOTUS 59. Participation aux épreuves du Challenge Historique Endurance ( CHE ), 3 courses de 3 heures.
Nombreuses courses d’endurance avec l’équipe POLYBAIE toujours sur la PORSCHE 911 2L
Première invitation à la participation at the GOODWOOD RIVIVAL avec la LOTUS 23
2007 – Courses de sprint et endurance toujours avec la Lotus 23- voiture partagée avec Erwin Van Gelder. En parallèle toujours les courses de l’endurances avec l’équipe Polybaie… Porsche 911 2L
2008 – Principalement des courses en endurance avec la Porsche 911 2L…Lotus 23 toujours en « travaux »
2eme participation a GOODWOOD… cette fois ci sur une autre LOTUS 23 1963.
2009- 2012 – Toujours les participations avec Séverine Moreau de l’équipe POLYBAIE Porsche 911 2L endurance V de V. Des courses de 4 à 6 heures…