Ce portrait est extrait de « La victoire ou rien », le livre de souvenirs que j’ai eu la chance d’écrire avec Vic Elford en 1973. Paul Hawkins, personnage haut en couleur mais assez peu connu, malgré quelques exploits mémorable dont l’un des derniers est le record du tour absolu en course lors des 12 heures de Reims en 1967 avec une Lola T70, sept secondes plus vite que le record établi l’année précédente par John Surtees avec une Ferrari 365P2.
Michel Delannoy
Avec Paul Hawkins sur une Sprite au RAC
A la fin de cette saison, on m’offrit bien un volant, mais c’était tout à fait par hasard, et à titre amical. Mon ami John Sprinzel avait préparé son Austin Healey Sprite pour le rallye du R.A.C., mais entre temps on l’avait invité à piloter dans cette épreuve une des voitures officielles B.M.C.
Un jeune australien, débarqué de son pays sans un sou en poche en Angleterre, avec comme objectif de devenir pilote de course, travaillait dans le garage de John. Cet australien, qui cherchait le moyen de courir, s’appelait Paul Hawkins. Bien entendu nous nous étions lié d’amitié. Connaissant nos ambitions, John nous proposa de prendre sa Sprite pour faire le rallye tous les deux. Paul Hawkins, — dont j’aurais plusieurs fois l’occasion de reparler —, était un type peu commun. Comme la plupart des Australiens il parlait très vite, sans respirer entre les mots, avec un langage dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était imagé et fleuri.
Ce n’était pas le type à remâcher indéfiniment une pensée, ni à prendre des précautions diplomatiques. Il me déclara simplement : « Je ne sais pas conduire la nuit et je ne sais pas naviguer. Je vais conduire le jour pendant que tu navigueras et tu conduiras la nuit pendant que je dormirai. » Les choses se passèrent exactement comme ça, et il réussit à dormir dans la Sprite, ce qui est un exploit. Ce fut le seul rallye auquel participa Paul de toute sa carrière. Le pont de la Sprite cassa avant l’arrivée, aussi aucun palmarès de rallye n’a-t-il retenu son nom…
Embouteillage à Naples
Porsche avait engagé six voitures à la Targa Florio, trois 910 et trois 907. Ces dernières étaient plus puissantes, mais aussi plus difficiles à conduire. Je n’avais jamais de ma vie piloté de prototypes, aussi fus-je affecté sur une 910 en compagnie de Jochen Neerpasch. Les voitures de course étaient venues en Sicile par camions, mais nous devions « descendre » nos voitures de reconnaissance par la route. Nous avons quitté Stuttgart en convoi de six voitures. J’étais avec Paul Hawkins dans une 911 R.
Nous devions embarquer les voitures sur un bateau à Naples. Nous y arrivâmes en fin d’après-midi, au milieu d’une agitation et d’une cohue démentielles. Nous avions beaucoup de mal à ne pas perdre de vue nos compagnons de route. A un carrefour, nous nous retrouvâmes bloqués derrière un type sur une vieille moto, en s’écartant un tout petit peu il aurait pu nous laisser passer, mais malgré nos coups de klaxon il refusait obstinément de bouger. Paul grommela :
« Je vais faire bouger ce bâtard ».
Il se retourna pour chercher quelque chose dans son sac. Cet incorrigible bon vivant, au langage si fleuri et varié, ne voyageait jamais sans une réserve de pétards destinés à agrémenter les repas ou les remises des prix trop mornes. Il en sortit un énorme, il l’alluma très calmement, puis ouvrant sa portière il se pencha pour le faire rouler sur le macadam. Il roula tout doucement juste sous les roues du motocycliste où il explosa dans un vacarme formidable. Le type sauta en l’air, faillit tomber de sa machine, puis nous regarda avec un air ahuri alors que nous nous tordions de rire. Il ne demanda pas son reste et déguerpit aussitôt. Cela nous permit de rejoindre rapidement la petite colonne de Porsche qui avait bien du mal à se frayer un passage.
Les premiers pas de la Cortina Lotus Mk II
Vers le milieu de la saison, la Cortina MK II succéda à la MK I. Chapman avait confié la voiture à Paul Hawkins pour sa première sortie. J’eus tout le temps de la course pour me rendre compte que sa tenue de route n’était pas encore tout à fait au point.
Ce diable de Paul avait réussi à partir devant moi, et au prix de mille acrobaties il parvenait à y rester. Il ne procédait à aucune obstruction volontaire, mais la voiture se baladait tellement d’un bord à l’autre de la piste qu’il n’y avait vraiment pas moyen de la passer. Au début, je pris mon mal en patience, persuadé qu’au train où allaient les choses il finirait par sortir, mais même dans les situations les plus désespérées il parvenait toujours à se rétablir. Voyant qu’il ne sortait toujours pas, je tentai de passer à l’attaque quelques tours avant l’arrivée, mais, rien à faire, Paul restait devant et je dus m’avouer vaincu.
Nous rentrâmes doucement au parc des concurrents et je me garai à côté de lui. Chapman l’attendait pour recevoir ses premières impressions sur la voiture. Paul arrêta son moteur et descendit calmement. Tout à coup l’orage éclata. Je vous ai déjà dit que Paul possédait un vocabulaire des plus imagés et un répertoire de jurons des plus fournis, mais moi-même je ne soupçonnais pas à quel point sa réserve d’expressions salées pouvait être variée. Devant un Chapman médusé, impuissant et incapable de placer un mot, il se mit à jurer sur le thème « cette p… de trottinette ».
Cela dura bien trois ou quatre minutes pendant lesquelles il ne répéta pas une seule fois le même mot. Absolument stupéfiant. Tout le monde, sauf Chapman, en pleurait de rire.