23 mai 2019

Niki Lauda – Le rebelle

La disparition de Niki Lauda a fait ressurgir les images fortes qui ont ponctué une carrière de sportif d’exception. On parle également de chiffres, de victoires, de championnats du monde. Mais ce qui frappe le plus dans cet ultime départ est ce que représentait réellement Lauda aux yeux de tant de ces fans qui ne s’en rendaient pas toujours bien compte : Niki était plus qu’un sportif adulé, c’était une personnalité de toute première exception, et ce dès sa plus tendre enfance.

Pierre Ménard

 

Niki Lauda en 1972 dans le jardin familial avant la coupure définitive de courant © Alois Rottensteiner

Niki Lauda en 1972 dans le jardin familial avant la coupure définitive de courant © Alois Rottensteiner

Congélateur

« On m’a élevé un peu comme dans un congélateur, dans l’automatisme des banalités inséparables de notre milieu… C’est précisément dans le congélateur familial qu’il faudrait chercher les origines de mon ambition, de mon désir irrésistible de surpasser les autres »(1).  Niki Lauda dépeint ainsi ses origines dès les toutes premières pages d’un de ses bouquins. D’entrée, aucune fioriture, aucune pincette. La vérité, directe. Sa vérité. Celle qui lui a tôt fait prendre les décisions radicales qui changeraient sa vie en profondeur. Comme abandonner son clan et ses fastueuses possibilités financières pour vivre une vie à trois schillings, à la recherche de la performance absolue.

Jochen Rindt était né avec une cuillère d’argent dans la bouche : l’héritage familial suite à la disparition de ses parents dans un bombardement allié en 1943 l’avait bien aidé à acheter ses voitures lors de son accession au sport automobile. Orphelin, Rindt ne pouvait se fâcher qu’avec lui-même. Lauda avait, lui, le choix : ses parents, éminents membres de la haute société viennoise ayant fait fortune dans l’industrie du papier, et surtout son grand-père paternel, celui qu’il appelait « le vieux Lauda ». C’est à cause de lui qu’il sortit progressivement du « congélateur », et c’est à cause de lui que le cordon ténu qui les liait se cassa définitivement.

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Le vieux Lauda

Entendant son aïeul pester à longueur de journée contre les socialistes au pouvoir, puis le voyant se faire remettre en grande pompe – devant les caméras de la télévision autrichienne – une belle décoration par ces mêmes socialistes, le tout jeune Niki fit vertement remarquer ses contradictions à ce « vieux Lauda ». Devant les réprimandes de ses parents soutenant sans faillir le grand-père attaqué,  le jeune effronté opta pour un éloignement progressif de sa famille, éloignement qui serait bientôt sans retour. Cette anecdote est extrêmement importante dans la vie de Niki Lauda, car elle est le fondement même de ses prises de décisions futures concernant sa carrière : il déciderait ce qui serait le mieux pour lui et le monde n’aurait qu’à faire avec. Que cela plaise, ou pas.

Le jeune Lauda s'apprêtant à subir le pensum de l'équitation, qu'il détestait © DR

Le jeune Lauda s’apprêtant à subir le pensum de l’équitation, qu’il détestait © DR

Il convient de réaliser pleinement ce qu’impliquait cette coupure pour un jeune d’excellente famille désireux de réussir dans le sport automobile. Des années plus tard, Ayrton da Silva irait également contre la volonté paternelle et courrait sous le nom maternel de Senna. Mais jamais au grand jamais le prodige brésilien n’envisagea de couper les ponts avec sa famille adorée. Lauda se sentit, lui, brusquement étranger à ce cercle étouffant et décida en son âme et conscience de se passer de tout ce que pouvait lui apporter le nom prestigieux des Lauda en Autriche en termes de facilité d’accès à une carrière automobile. Le seul bénéfice de ce patronyme dont il consentirait à profiter serait le sésame vers des emprunts normalement interdits au Viennois de base. Mais là-encore, le « vieux Lauda » se chargerait de rallumer la mèche de la discorde.

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Raiffeisen Bank

On le sait, Niki Lauda va gravir les échelons de sa carrière automobile non pas grâce à des performances sportives remarquables, mais par des tours de passe-passe hallucinants concernant des emprunts insensés, voire bidons : Formule Vee, F3, F2, jusqu’à la F1 dans les écuries flirtant avec la zone rouge comme March et BRM. En tout cinq années à quémander auprès des banques des sommes de plus en plus impressionnantes qu’il n’avait absolument pas les moyens de rembourser normalement. C’était sa seule solution : accélérer et foncer droit devant en espérant la grande performance qui le ferait remarquer par une structure de premier choix.

Ces années d’apprentissage mécanique, sans résultats réellement probants, se déroulaient donc en marge du clan Lauda. Les relations étaient froides, Niki snobant ouvertement tout rassemblement familial, mais le dialogue n’était pas totalement rompu. Il le fut lorsque le grand-père crut bien faire pour ramener le « jeune écervelé » à la raison : il intervint auprès de la Caisse d’Epargne Autrichienne (Erste Österreichische Sparcasse) qui soutenait Niki depuis quelques temps pour faire annuler le sponsoring de son petit-fils dans sa première véritable saison de Formule 1 chez March en 1972. La colère froide qui envahit le pilote l’amena à abandonner cet organisme financier soumis à la botte des Lauda, puis à trouver plus compréhensif à la Raiffeisen Bank, qui restera son soutien jusqu’en 1978. Mais surtout à rompre le dernier lien.

Lauda dans sa Formule Vee en 1969 sur le tout nouveau Österreichring © DR

Lauda dans sa Formule Vee en 1969 sur le tout nouveau Österreichring © DR

La communication fut définitivement coupée entre le jeune Viennois et les siens. Seul le poids de l’inquiétude lors de l’accident du Nürburgring en 1976 fera à nouveau osciller la balance vers un lent réchauffement des relations familiales. Entretemps, rien ! Niki jongla avec l’impossible durant ses saisons 1972 et 1973 et nul doute qu’il se serait dirigé droit dans le mur sans l’option Ferrari : « Il Vecchio » acceptait de régler les millions de schillings réclamés par les créanciers si ce fameux Lauda faisait du bon boulot. Ce qu’il produisit très rapidement, et sa vie en fut transfigurée. Mais pas grâce à sa famille. Et cela, Lauda ne l’oubliait pas.

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Refus des conventions

Cette rigueur intellectuelle, ce refus catégorique des conventions anima toute sa vie le champion que l’on connait et que l’on a aimé pour ses particularismes : de son retour à Monza en 1976 jusqu’à son drapeau à damiers final à Adélaïde en 1985, en passant par le renoncement au Mont Fuji, le deuxième titre mondial envers et contre tous, le retrait surprise à Montréal, le retour médiatisé à Kyalami et la troisième couronne arrachée pour un demi-point à Prost, tout concourut à faire de Niki Lauda un véritable phénomène. C’est cela qui en fit une véritable légende que même les étrangers au monde de la Formule 1 connaissaient.

Niki Lauda à Vienne-Aspern en 1969 pour une course de Sport © DR

Niki Lauda à Vienne-Aspern en 1969 pour une course de Sport © DR

La force du destin

On peut ne pas souscrire à certains côtés abrupts du personnage, mais force est de reconnaître que ce refus du « tiède » l’a amené à plusieurs reprises aux bonnes décisions que même beaucoup de ses confrères auraient eu du mal à prendre. Son franc-parler et ses jugements tranchés faisaient les délices des journalistes, et ses conseils aux jeunes pousses qu’il vit passer aussi bien chez Ferrari, Jaguar et surtout Mercedes étaient grandement appréciés. Niki Lauda dépassait le cadre étroit du sportif, ou du champion du monde, il était beaucoup plus : il était la volonté incarnée. La force du destin, aurait dit Verdi.

Niki Lauda

Niki Lauda en 1971 à Brands Hatch au temps de la F2 © DR

Note

(1) « 300 à l’heure » Niki Lauda/ Herbert Völker – 1985 Ed. Robert Laffont

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