La disparition de Christian Moity a suscité l’émotion de nombreux lecteurs de Classic Courses et, sans surprise, plusieurs de nos auteurs ont souhaité lui rendre hommage. Jacques Vassal dont il a été le rédacteur en chef et Olivier Favre qui a été l’un de ses lecteurs assidus nous rappellent pourquoi cet homme les a tant marqué.
Nous adressons à son épouse, à sa fille et à ses deux fils nos condoléances les plus amicales.
Classic Courses
MONSIEUR MOITY PAR JACQUES VASSAL
Une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. Quelques heures après celle de John Surtees, nous apprenions la mort de Christian Moity. La signature de ce grand journaliste du sport automobile était une référence pour tous les amateurs et les professionnels de ce sport. A commencer par ceux qui, gamins dans les années 50, adolescents dans la décennie suivante, s’abreuvèrent de ses articles, toujours précis et documentés, dans le mensuel L’Automobile – et plus spécialement dans le supplément Sports Mécaniques, dont il fut longtemps la plume n° 1. Il y avait débuté en 1956, fréquentant assidûment les circuits, de Reims à Montlhéry, de Spa au Mans. Il vouait une passion particulière aux 24 Heures du Mans, dont il ne manqua pas une seule édition de 1956 aux années 2000, devenant avec Jean-Marc Teissèdre, qu’il avait formé, co-auteur de l’annuel officiel de cette course.
Pour avoir eu l’honneur et le bonheur de travailler longtemps sous sa direction, quand il était rédacteur en chef d’Auto-Passion puis, sporadiquement, compagnon d’autres aventures comme Automobile Historique, je puis dire que Christian Moity était non seulement un journaliste d’une qualité exceptionnelle (précision, rigueur, documentation, probité), mais aussi un « chef » d’une profonde humanité et un homme d’une grande culture, pas seulement automobile. Il avait une connaissance aussi précise, par exemple, de la musique de Mozart, des livres de Victor Hugo, que de la carrière de Juan Manuel Fangio. Esprit très indépendant, atypique et non-conformiste, il n’était pas « politiquement correct ». Par exemple il vouait une véritable admiration à Napoléon 1er, moi non plus, mais c’était un homme d’une grande tolérance, capable d’écouter, voire de prendre en compte les avis divergents. Il avait aussi une vraie confiance dans ses journalistes, qui la lui rendaient bien, et les encourageait à écrire jusqu’au bout de leurs idées, ayant trop souvent lui-même, disait-il, subi des coupures intempestives de ses précédents employeurs ! Il portait aussi un regard acéré sur le choix des photos, Christian Bedeï et d’autres vous le diront, et prêtait régulièrement tel ou tel dossier de ses précieuses archives. Cela s’appelle le sens du partage et, savez-vous, ce n’est pas si courant dans notre société? Ajoutez à cela un sens de l’humour et un goût pour les anecdotes truculentes, notamment sur Enzo Ferrari et sur d’autres constructeurs et leurs pilotes, dont il nous régalait régulièrement. On ne s’ennuyait jamais en travaillant avec lui, on apprenait toujours. Et sous ses airs bourrus, voire bougons, qui ne lui rendaient peut-être pas toujours service, il cachait – mal – un coeur en or et une vraie générosité.
Et d’ailleurs, un homme né en 1929, comme Stirling Moss ou Jacques Brel, ne pouvait pas être mauvais.
MONSIEUR MOITY PAR OLIVIER FAVRE
Vendredi 10 mars 2017 : le décès de John Surtees est annoncé. Encore un pilote de légende qui s’en va, même si ça fait bateau de le dire, à force. Une double légende dans ce cas, puisqu’elle s’écrivit sur 2 roues et sur 4 roues. Et cette disparition touche évidemment tout passionné de l’histoire de la course. Mais, à titre personnel, c’est la mort de Christian Moity, apprise quelques heures plus tard, qui me marque le plus.
Car, quand on se pique d’écrire sur l’histoire du sport automobile, comment ne pas reconnaître ce qu’on doit à quelqu’un comme lui ? Si au tout début du XXIe siècle j’ai finalement décidé de pondre un premier article remontant plus de trente ans en arrière, c’est parce que pendant les quelque 20 années précédentes j’avais lu, absorbé, ingurgité, je dirais même « incorporé » la prose de quelques grandes plumes de la presse automobile française, à commencer par celle de Christian Moity. L’annuel des 24 Heures du Mans, quelle institution ! Et l’histoire de la course mancelle en photos, double pavé en 1992, triple en 2010, quels monuments ! Moity et les 24 Heures, pour moi c’était quasiment synonyme. Je me souviens encore très bien du jour où mon frère m’a rapporté comme cadeau d’anniversaire (le 14e ? le 15e ?) le livre « Les 24 Heures du Mans 1949-1973 ». Jamais cadeau ne fut plus attendu, jamais livre ne fut plus avidement dévoré. Voilà un ouvrage qui posa les bases de ma passion pour l’histoire de la course en général, pour celle de l’endurance en particulier. Ensuite, je découvris qu’il n’y avait pas que Sport-Auto et Auto-Hebdo : le supplément « Sports mécaniques » de L’Automobile magazine était au moins aussi riche, il suffisait de remonter le temps pour y trouver les articles et dossiers de Christian Moity. Notamment ceux qui faisaient le point des forces en présence avant le grand rendez-vous de la mi-juin. Evidemment, moi je connaissais le résultat, mais ça ne m’empêchait pas – au contraire même – d’apprécier la finesse de l’analyse mariée à la fluidité et la clarté du style. Un plaisir toujours renouvelé à chaque nouvelle livraison d’Auto-Passion où je me réjouissais de déguster comme un grand cru ses dossiers sur tel sport-prototype ou tel grand moment de l’histoire de l’endurance.
Pierre Desproges disait « je les connais bien, je leur ai touché la main ». Je n’ai pas connu Christian Moity, malheureusement, mais je lui ai serré la main sur une manifestation historique en 2004. Ce fut très bref et ma timidité m’empêcha de saisir l’occasion de lui dire ce que je lui devais ; mais je m’en souviens bien, pour moi ce ne fut pas un moment anodin.
C’est idiot, mais j’aime bien l’idée que Moity et Surtees soient partis le même jour. Je les imagine faisant le voyage ensemble pour aller retrouver dans le grand paddock céleste, l’un les Siffert, Rodriguez, Bonnier, Cevert, …, l’autre les Jenkinson, Cahier, Crombac, Rosinski, …
Au revoir Monsieur Moity. Et merci.