Pendant un peu plus de deux décennies, j’ai été marchand de boulons. Contrairement à ce que prétendent certains médisants, le boulonnier n’est pas le chaînon manquant entre le singe et l’homme (« ouais, vous comprenez, le boulon, c’est pas technique, n’importe quel c… peut vendre des boulons… », et autres balivernes du même acabit…). Un jour, je reçois un coup de fil du président d’une association de restaurateurs d’avions anciens qui se recommande d’un PDG commun, et qui me demande de l’aider à satisfaire un besoin pressant en introuvables écrous de 7 mm devant servir à remonter un moteur de Stampe…
C’est comme ça que je suis tombé dans la marmite de l’aviation ancienne.
J’y ai rencontré quelques personnages assez extraordinaires (conformes à l’étymologie « sortant de l’ordinaire ») dont le premier est certainement Jean Noan. Soudeur à la base puis ingénieur chez Bertin, constructeur amateur d’un CP 80 fondamentalement modifié, ce diable d’homme s’était mis en tête de construire une réplique du prototype Caudron 760 « Cyclone », sabordé par le feu sur l’aérodrome d’Orléans Bricy en juin 1940 devant l’invasion allemande, et détruit avec ses plans et toutes les archives le concernant. Noan est parti d’une carcasse de Nord 3200 dénichée par Jean Salis et d’un moteur Renault 12 cylindres en V inversé de plus de 600 chevaux destiné au Dassault Flamant, fourni par l’Armée de l’Air. Après onze ans et 25000 heures de travail, dont 15000 heures de boulot solitaire « comme un rat dans le fond de son trou » (sic), le 26 juin 1998 l’oiseau de guerre prit son envol…
En évoquant le Caudron Cyclone de Noan, je pense aussi à Claude Salaün, l’électricien de l’Aerospatiale qui, à l’instar de l’araignée tissant patiemment sa toile, tressa durant quelques milliers d’heures les fils du faisceau électrique de la bestiole, et à Joseph Elédut, génial « choumac » capable de transformer une vieille casserole d’aluminium en avion de chasse, et qui participa à la restauration de la Matra MS1 (voir sur MDS « Rétromobile 2009, JPB entre histoire et avenir »).
Jean Noan présenta son « Cyclone » dans tous les grands meetings, de La Ferté Allais à Duxford en passant par le Salon Aéronautique du Bourget. Il s’en est maintenant séparé et vole dans le « Macareux », avion de sa conception qui semble sorti tout droit d’un des albums de Tintin…
30 aout 1996. Mon pote Pierre Cavassilas (un autre type atypique, réalisateur à la télévision, fondu d’opéra et de propulsion par réaction) m’invite à faire un vol crépusculaire dans son Aero 45, bimoteur de 1947 (comme moi ! Quand j’écris « comme moi », je pense à la date, pas au nombre de moteurs…). Au programme : départ vers 17 heures et retour à la nuit tombante. Le décollage se passe mal. Piste provisoire bosselée et aérologie tourbillonnante. L’avion accroche une barrière en fin de piste, capote et se retourne dans le champ du voisin. On se retrouve attachés à nos sièges par les ceintures de sécurité, la tête en bas. Il y a plus de 240 litres de 100 LL dans les réservoirs. Je me dis que je vais entendre « VLOUFFFF », et que je vais finir brûlé vif dans ce cercueil en alu…
J’ai fréquenté l’aviation ancienne quelques années encore après cette séance de voltige au sol, en évitant soigneusement les invitations à monter en avion… Depuis, même dans les zincs d’Air France, j’ai la trouille des décollages et des attéros.
Il n’empêche que le plus beau spectacle au monde, c’est bien la Terre vue du ciel. Avec les courses de voitures anciennes.
Raymond Jacques
Dessins @ Raymond Jacques
(*) : Publié précédemment sur Mémoire des Stands