Trente années durant, de 1961 à 1991, François Blaise a été commissaire de piste à Monaco. S’il est un circuit où le travail de cette corporation, suscite un unanime respect, c’est bien celui de Monaco. La moindre négligence dans le maniement des drapeaux ou dans l’évacuation d’une voiture en panne pouvant avoir des conséquences catastrophiques. François nous fait ici l’amitié de se souvenir du Grand Prix de 1988.
Classic COURSES
En sport et particulièrement en sport automobile, pour finir par gagner, il faut commencer par finir. Franchir la ligne d’arrivée en vainqueur c’est d’abord atteindre le dernier tour puis voir le drapeau à damiers se profiler, se rapprocher et enfin s’abattre sur votre passage.
Ce Grand Prix a été pour moi, tout au long de mes nombreuses années de commissaire de piste, l’une des courses dont le dénouement était des plus imprévisibles tant les favoris étaient malmenés par les nombreux évènements qui en jalonnaient le déroulement. Si aujourd’hui la fiabilité des voitures est exceptionnelle, il n’en n’a pas toujours été ainsi. Freins, suspensions, alimentation, boîte, embrayage, moteur, électricité, câbles divers : autant de parties fragilisées par les sollicitations de la piste et des pilotes et qui rendaient aléatoires ces courses. Sans parler des accrochages et sorties de piste. Souvenez-vous : 1988, sur la saison à peine plus de 50% des partants voyaient le drapeau à damiers. Monaco cette même année : 26 voitures au départ, 10 à l’arrivée au terme des 78 tours. Les passages de vitesses sont manuels, la fatigue entraine la déconcentration et un minuscule écart de conduite est aussitôt sanctionné par la proximité des rails qui bordent cette piste étroite.
Ayrton Senna en est alors à sa cinquième saison de F1 et il vient de rejoindre Alain Prost chez McLaren-Honda. A Monaco il est sur son circuit fétiche. Il y a remporté la victoire en 1987 sur Lotus. Grand favori, auteur d’une pôle qui laisse son second – Alain Prost – à 1,4 sec. Il s’envole tout de suite et creuse d’autant plus l’écart que Prost a raté le passage de son second rapport et se trouve coincé pendant 53 tours derrière Berger, qui l’a dépassé dans la montée de Beaurivage. Lorsqu’il trouve la faille Senna a inexorablement pris le large, à raison d’une seconde par tour, il est loin, très loin, trop loin ? Prost ne baisse pas les bras, enfin libéré, il se sent pousser des ailes et hausse son rythme. Devant lui le champ est libre. Il établit un nouveau record du tour au 57e tour. Informé par son stand, Senna réagit et réussit encore un tour de magie en établissant un nouveau record du circuit en 1m 26-321 au 59etour, montrant toute sa détermination à Prost. Ron Dennis le team-manager intime par radio à ses deux pilotes l’ordre de ralentir et de figer leurs positions. Dès qu’il est informé que Prost respecte cette consigne en tournant en 1m 29 Ayrton baisse sa cadence et se déconcentre. Il manque une vitesse au Casino, frôle le rail… et coup de théâtre au 67e tour à la stupéfaction générale, il faut se rendre à l’évidence ; la McLaren-Honda numéro 12 ne repasse plus devant les stands. Ayrton Senna vient de heurter le muret situé à la corde du virage du Portier, ce qui a pour effet de l’envoyer dans les rails de protection à la sortie juste avant l’entrée du tunnel.
En changeant de rythme, en voulant assurer, Magic-Senna s’est déconcentré et vient tout simplement d’offrir la victoire au Professeur Alain Prost. Ayrton est indemne. Pas son amour propre. Il jaillit de sa monoplace dont la roue avant gauche est arrachée et quitte à pieds le circuit pour se réfugier dans son appartement. Nous ne le reverrons plus de l’après midi.
Ayrton sera sacré champion cette année là puis en 1990 et 1991. Il gagnera cinq fois consécutives le Grand Prix de Monaco de 1989 à 1993. Avec Six victoires au total, il en reste le recordman.
François Blaise
Photos François Blaise