Les anciens se racontent, nous racontent et c’est avec plaisir que nous les écoutons. « Journée de la Femme » oblige, voici que les vieilles voitures se mettent aussi à se raconter… Pourtant j’en entends déjà certain(e)s nous expliquer que la Ford Mk IV n’a aucunement le caractère féminin que je lui prête si promptement. Querelle oiseuse me direz – vous ?… En tout état de cause, François Coeuret a choisi son camp. Celui de la Mk IV. Celui de la gente féminine. Vous verriez un gars minauder parce qu’il a perdu son capot, franchement ?
Par François Coeuret
« Auréolée par ma victoire aux 12 heures de Sebring mais sans la présence de ma rivale Ferrari, je suis arrivée sur le Circuit de la Sarthe en début de semaine, je fus rassurée au sujet de l’attribution de mes pilotes, Bruce (Mc Laren) et Mark (Donohue) que tu as bien connus : le dernier vainqueur aux commandes de ma sœur aînée la MK II associé à un jeune américain prometteur.
Après la cérémonie de la pesée et les vérifications, une attente fort ennuyeuse, les essais s’étaient parfaitement déroulés. En pleine forme, j’avais dominé les P4, de belles « plantes » en tenue vermillon : j’allais donc partir en tête de plateau avec la Chaparral à mes côtés. Le rapide Bruce avait obtenu la pôle en dernière minute devant ma compatriote ailée, j’avoue que sur ce tour il me fit peur…
Une foule énorme, une procédure de départ très émouvante, en épi, les pilotes nous faisant face. Tout ce passa bien, j’étais confiante, ma mécanique était robuste et le talentueux Bruce avait prodigué les meilleurs conseils à Mark. Tous deux étaient convaincus qu’il fallait durer et donc en garder sous le pied, économiser mes freins si fortement sollicités, notamment à Mulsanne.
Après un départ prudent, je fis donc une course d’attente, fluctuant entre les troisième et quatrième places jusqu’à la quatrième heure de course…L’air était doux, je me sentais si bien. Le soir venu, la température me parut tout de même frisquette, la nuit me sembla longue, cette obscurité je ne m’y suis jamais faite !
Bruce lui n’y songea pas, profitant de la fraîcheur pour accélérer le rythme. Il me hissa avec détermination jusqu’à la seconde place mais à la mi-course des ennuis de freins et d’embrayage me firent redescendre au sixième rang du classement.
Mark repartit des stands le couteau entre les dents, son physique était décidément très « craquant » comme disent aujourd’hui les jeunes filles… J’étais cinquième à la douzième heure, sixième à la dix-septième puis des abandons me relancèrent en quatrième position à la dix-huitième heure…
Puis au cours du dix-neuvième tour d’horloge, la poisse ! Ses charnières mises à mal par les vibrations, mon capot arrière se désolidarisa de mon châssis dans les Hunaudières. Sous la pression aérodynamique, il s’envola comme un vulgaire couvercle de poubelle un jour de tempête, finissant son envol sur le bas-côté…Quelle guigne ! Je m’arrêtais au stand où se tint un conciliabule interminable avec les officiels…
J’apprenais très vite que l’on devait poursuivre les 24 Heures dans la configuration de la vérification technique précédant la course. Il fallut donc qu’un de mes pilotes récupère ma tenue postérieure et nous ramène au stand à faible vitesse, capot tant bien que mal refixé. J’avoue que ce parcours effectué dans cette tenue devant tant de spectateurs m’a fort déplu ! On allait tenter de le réinstaller malgré son état pitoyable. Je m’en voulais de ne pas avoir prévu de tenue de rechange pour cette escapade dans la Sarthe…
Mes fidèles mécanos rafistolèrent cet appendice à grand renfort de chatterton argenté, assez seyant certes, tout en sacrifiant deux ceintures…
Oui tu as bien entendu : deux de leurs ceintures qui remplacèrent mes charnières arrachées. Elles furent rivetées et recouvertes de scotch, ma pudeur sauvée grâce à cet équipement vestimentaire masculin, je pus reprendre ma ronde après ce contretemps. Je finis tout de même ma course en quatrième position ayant perdu 48 mn au box. Heureusement j’avais suffisamment cravaché avec mes pilotes pour maintenir mon classement. Quelque peu déçue au baisser du drapeau, n’ayant pu jouer la victoire obtenue par ma sœur la n°1 rouge, j’étais tout de même fière de mes 359 tours, ma collègue gagnante en totalisant 388…
Mais tu sais si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde ! D’ailleurs je ne désespère pas de m’inscrire au prochain « Le Mans Classic » à condition que cette fichue crise d’arthrose me lâche enfin! ».
Propos recueillis par François Coeuret
Photos @ DR
24 H du Mans 67 / Ford MK IV n° 2
Mensurations : 7000cm3- V8 – 500cv- 1200kg- 340 km/h / Pilotes : Bruce Mc Laren-Mark Donohue