On le savait depuis des lustres que « c’était » dans les tuyaux. Quarante ans après le bouquin de Jean-François Hallé (La mort dans mon contrat), un livre devait enfin paraître, écrit par des proches. On avait peur d’être déçu, comme on put l’être lors de récentes parutions tant attendues. Autant le dire tout de suite : c’est magnifique !
C’est un « vrai » livre comme on les aime, avec un texte soigné et complet, agrémenté de belles photos parfaitement mises en page. Le concept même de l’ouvrage sort des sentiers battus de la traditionnelle biographie : mélanger l’intime à la rigueur historique. Pour cela, il n’y avait qu’une solution : confier la tâche à des proches.
Dominique Pascal – le directeur éditorial des Editions de L’Autodrome – songeait depuis très longtemps à celle qui partagea la vie de ce frère adoré, avec ses blagues de gamin, sa fierté de compétiteur, ses doutes également. Jacqueline Beltoise refusa pourtant à plusieurs reprises : « Je ne pouvais tout simplement pas. C’était trop douloureux. Dominique Pascal me relançait souvent, en me disant : « ne t’inquiète pas, on t’aidera », mais je ne me suis résolue à dire oui qu’en 2012. Et ça a été dur malgré tout, il m’a fallu un an pour le faire ». Elle accepta de ressortir des malles remisées au fond d’un grenier tous les souvenirs qui faisaient partie du personnage de François : sa licence de pilotage, son permis de conduire tout re-scotché, une bague, un écusson, ou son attaché-case ramené à la famille par Manou Zurini au lendemain de ce foutu 6 octobre 1973. L’objet fut immédiatement jeté dans la pénombre des objets à oublier et – chose incroyable – ce n’est qu’à l’occasion de la réalisation de ce livre qu’il fut ouvert. Quarante ans après !
A l’émotion, il fallait allier le professionnalisme pour faire de cette entreprise une œuvre de référence. « Je connaissais Johnny [Rives, NDL] depuis 1966 ou 67, nous rappelle Jacqueline. C’était un très bon ami de Jean-Pierre de surcroît. Et quand j’ai accepté de participer à ce livre, j’ai tout de suite dit que je n’étais pas écrivaine, que ce n’était pas mon métier. Johnny était naturellement fait pour ce travail. Il connaissait parfaitement la carrière de François et je lui ai raconté tout ce qu’il ignorait de François avant son accession à la célébrité, notre vie à nous. Et il a très bien retranscrit tout cela ». Journaliste à L’Equipe depuis six ans, Johnny Rives était présent sur le circuit de Magny-Cours lors de cette pluvieuse journée d’octobre 1966 qui devait décider de l’attribution du Volant Shell entre les sept finalistes. Le style du beau brun au casque Cromwell l’a-t-il impressionné ce jour-là ? « Le volant Shell, c’était très simple, se souvient Johnny : on avait beau te dire qu’il fallait soigner le style, le pilotage, tout le monde savait bien que seul le chrono était décisif. Et ce jour-là, il était pour François. Point ».
Infatigable reporter sur tous les circuits du monde, Rives va suivre attentivement cet apprenti-pilote qui tente de se frayer un chemin vers la gloire au milieu des pelotons tumultueux des formules de promotion. Tout en se gardant de conclusions trop hâtives : « Je m’abstiens toujours de porter un jugement définitif sur un type qui évolue dans des formules de promotion. C’est très difficile de savoir ce que va devenir un pilote qui marche bien dans des petites formules. Il faut beaucoup se méfier des pilotes en formation parce qu’ils peuvent ne pas confirmer par la suite, et c’est arrivé souvent. Mais quand il a débarqué en F1 chez Tyrrell, il était par contre certain que François n’allait pas laisser passer sa chance. Servoz-Gavin, qu’il avait remplacé, était un joyeux drille un peu inconstant. François, on voyait qu’il allait attaquer ça avec cœur et faire son travail avec beaucoup de sérieux. C’était la grosse différence entre l’un et l’autre ».
Au travers de magnifiques photos légendées par Jacqueline – aidée par Michel Croullebois de Autodream – toute la vie de François Cevert défile devant nos yeux à la vitesse de sa Merlyn, de sa Tecno ou de sa Tyrrell. Sans oublier bien entendu les protos Matra ! Clichés couleur ou noir & blanc capturés par les grands photographes de l’époque, précis et élégants, mais aussi clichés faits au polaroïd ou à l’instamatic par Jacqueline, la famille ou les copains, kitsch et émouvants. Des photos connues mais aussi beaucoup d’inédites. Comme celles prises par François lui-même du couple Stewart dans l’insouciance des vacances aux Bermudes entre les Grands Prix du Canada et des Etats-Unis 1973 !
La vision croisée de Jacqueline et Johnny nous offre le portrait sensible de l’homme qui irradiait dans n’importe quel environnement et du pilote à qui il ne restait plus qu’à gravir les dernières marches de la gloire. Ajoutez à cela deux préfaces de Jackie Stewart et de Jean-Claude Killy qui parlent avec émotion de leur ami disparu, et vous obtenez une biographie au plus que parfait qu’on consultera régulièrement pour se replonger avec délice dans cette destinée exceptionnelle.
Pierre Ménard
François Cevert, par Jacqueline Cevert-Beltoise & Johnny Rives – Editions de L’Autodrome, 208 pages, 39,00 €
Crédits photographiques :
Jacqueline Beltoise & Johnny Rives © Pierre Ménard
Couverture, attaché-case & USA 1973 © Editions de L’Autodrome