Dans la vie, parfois, on a un ennemi intime, qui vous colle aux basques alors qu’on voudrait le bouter au diable, que l’on croise à tous les carrefours, et qui est comme un caillou dans votre chaussure, parce que vous le craignez, quelquefois à raison. Comme Prost vis-à-vis de Senna. Moi, mon « Senna », le frère-jumeau qui me compliquait singulièrement la life, c’était, ce fut, Jean-Marc Andrié.
Eric Bhat
Mon ami Jean-Marc
Je ne sais plus quand il est mort, mais je me souviens qu’il pleuvait à verses au cimetière, que je pleurais, et que j’étreignais Barbara Rives, fille de Johnny et grande copine. Jean-Marc Andrié, que l’on mettait en terre, lui avait donné des cours de maths, et Barbara n’en menait pas large, elle non plus.
Dans la vie, parfois, on a un ennemi intime, qui vous colle aux basques alors qu’on voudrait le bouter au diable, que l’on croise à tous les carrefours, et qui est comme un caillou dans votre chaussure, parce que vous le craignez, quelquefois à raison. Comme Prost vis-à-vis de Senna. Moi, mon « Senna », le frère-jumeau qui me compliquait singulièrement la life, c’était, ce fut, Jean-Marc Andrié.
Au début, je l’avoue, j’étais très jaloux de lui. Nous avions à peu près le même âge, mais partout, sans du tout le vouloir, et sans même qu’il le sache, il me grillait la politesse. Son parcours était brillant, quand le mien bredouillait. Il n’y était pour rien, mais je me sentais un sous-Jean-Marc. Il gagnait des rallyes avec Jean Ragnotti, l’un de mes rallyemen préférés, diaboliquement rapide et qui m’avait fait hurler de rire parce qu’il était sorti de la route en pleine épreuve spéciale en saluant du pied ses amis Jean Lerust et Jeff Lehalle, envoyés spéciaux d’Echappement. Mes héros étaient pilotes de course et Jean-Marc Andrié les tutoyait.
Un monde de différence
Les rallyes remportés par Ragnotti-Andrié, ce n’était pas rien, c’était par exemple le Monte-Carlo et le Tour de Corse, excusez du peu, qui comptaient alors pour le championnat du monde des rallyes. Moi je suis malade en voiture dès que je lis une ligne. A la Ronde du Quercy, coéquipier itou, mais dans un rallye régional, j’avais la tête à la portière au bout de quelques kilomètres, vous en devinez la cause. Nous avons gagné le groupe 1, uniquement parce que François Vivier connaissait le parcours par cœur.
Tout ceci pour vous dire qu’au même âge, il y avait une vraie différence, et qu’elle n’était carrément pas en ma faveur. J’étais vert, et ma jalousie allait se nicher dans des endroits pas possibles. Il faisait rire aux éclats l’immense Johnny Rives, mon maître devant lequel j’étais transi de timidité. C’est bien simple, avec Johnny, j’avais toujours le sentiment de dire une bêtise. J’enrageais même, car Jean-Marc Andrié imitait les singes à la perfection, oui les singes, et ce n’est pas neutre : les singeries étaient en société ma pseudo-spécialité.
Destins croisés
Professionnellement c’était pire. Quand sortit Auto-Hebdo, Jean-Marc Andrié faisait office de rédacteur en chef adjoint, et j’étais pigiste dans le sud-ouest. Puis un jour j’ai postulé à un remplacement à l’Equipe et comme par hasard c’est Jean-Marc qui a eu le poste, sous prétexte que je ne parlais pas assez bien l’anglais – j’étais pourtant bon en anglais à l’école, et voilà la porte que j’ai prise dans les dents. Ce fut le pompon lorsque j’entrais chez Renault comme attaché de presse de l’équipe de F1 chargé d’harmoniser infos extérieures et intérieures à la Régie. Gérard Larrousse ne trouva rien de mieux que d’installer Jean-Marc à Renault-Sport en tant qu’attaché de communication interne. On se marchait sur les pieds officiellement si je puis dire. Là, ce n’est plus moi qui fus furieux, c’est Alain Dubois-Dumée, mon chef, qui menaça de démissionner. Gérard Larrousse lâcha du lest, et dès lors ma vie devint plus facile. Mais il avait fallu grogner un peu.
Renversement de situation une poignée d’années plus tard ! La trajectoire de Jean-Marc se fanait quand la mienne connut quelques minutes de félicité. Il tirait la langue, ne s’entendait pas chez Peugeot avec François Chatriot, son pilote, charmant et doué par ailleurs mais qui fit la misère à Jean-Marc parce qu’il mettait un peu trop son nez dans l’organisation.
Amitié
A force d’avoir quitté les rédactions Jean-Marc Andrié avait le bec dans l’eau, je devrais dire la plume, et il vint frapper à ma porte quand je fus nommé directeur de la rédaction de L’Automobile-magazine. Je lui confiais une petite rubrique sur ses expériences en rallye – Xavier Chimits, mon ami d’enfance, qui dirigeait notre rubrique sportive et qui n’était guère passionné par les rallyes, fit la tête : encore des étincelles…
Jean-Marc et moi, nous avions la trentaine, la vie s’ingéniait à nous mettre face à face, ce qui forgea peu à peu notre amitié. Célibataires l’un et l’autre, assez indifférents à la téloche du dimanche, soir, nous primes l’habitude de diner souvent ensemble au restaurant le dimanche soir. Ses fêlures apparurent. Il y avait eu des drames dans sa famille et il m’en fit la confidence. Il avait fallu que la confiance s’installe. Il est vrai que Jean-Marc verrouillait pas mal.
Ses traits se creusaient, trahissant sa fébrilité, bientôt fatale, voici vingt ans environ. Dans le cahier ouvert au cimetière j’ai griffonné ma tristesse.