Ici, en Occident le présent semble morose et l’avenir porteur d’incertitude, la tentation est forte de regarder vers le passé. Il est pourtant un monde en marche qui se tourne, lui, vers son avenir, là-bas, en Asie. Un monde d’inégalités mais un monde plein de promesses, un monde de perspectives où l’on croit, encore une fois, en un avenir meilleur, un avenir de bien-être et de liberté, fut-elle de consommation. C’est dans ce monde que Vincent Métais a choisi de s’installer il y a plus de vingt ans. Et c’est dans ce monde où le mot futur ne fait pas peur qu’il a choisi de revisiter notre passé automobile, rayon dressing avec la marque Suixtil.
Propos recueillis par Olivier ROGAR
Classic Courses : Vincent , comment êtes – vous arrivé en Asie ?
Vincent Métais : Bien avant Suixtil. Par hasard, au cours de notre voyage de noce, nous avions décidé avec Sibille mon épouse, de réaliser un tour du monde. L’atmosphère à Hong Kong nous plaisant, on a décidé d’y faire notre vie. Nos enfants y sont nés et nous y avons vécu 16 ans. Avant de partir à Shanghai. Région passionnante, pleine d’énergie, de bouillonnement, en transformation permanente. On ne s’est jamais posé la question de revenir en arrière et de revenir en France. Nous sommes depuis cinq ans à Shanghai où l’on retrouve la même énergie que celle vécue auparavant à Hong-Kong. Ici en une vingtaine d’années, environ 400 millions de personnes sont sorties de la pauvreté absolue et je pense que la volonté du gouvernement est de continuer dans cette voie.
Pourquoi Suixtil ?
J’ai depuis longtemps une passion pour la course des années 50 et 60 et notamment pour les hommes qui l’incarnaient. Une époque de possibles. Une époque de dépassement. On ne faisait plus de pyramides mais on allait à 300 à l’heure. Voitures, pilotes…c’était quelque chose. Rien à voir avec ce qu’est devenu le sport automobile aujourd’hui. Cette fascination me vient de mon Grand Père qui faisait des courses de Bugatti du côté de Lyon avec son frère et m’amenait gamin, au Musée de Rochetaillée en cachette de mes parents qui avaient une sainte horreur de l’automobile. Mon grand-père fabriquait et vendait des filets à cheveux dans le monde entier, y compris aux USA. Puis j’ai pris goût à la voiture ancienne avec un copain d’école de commerce qui roulait en MG et avec lequel on allait voir les courses à Montlhéry. Bien qu’ayant « du Castrol dans les naseaux », je n’ai pas sauté le pas. Mais il y a huit ans ma carrière dans les services aéroportuaires ne m’apportant plus les satisfactions que j’en attendais, j’ai décidé de me lancer. Dans les bouquins des années 50 on voyait souvent la marque Suixtil. Avec les vêtements bien entendu mais aussi pour nous, un état d’esprit qu’on essaye d’insuffler dans tout ce qu’on fait.
Comment avez-vous pu disposer de cette marque ?
C’est une marque fondée en Argentine dans les années trente par un immigrant russe, Salomon Rudman, passionné d’automobile qui était à la tête d’une grande entreprise de confection. Il aurait rencontré le jeune Fangio et décidé de l’encourager en finançant sa première Chevrolet de course. Il pénètre rapidement les arcanes du sport automobile argentin et notamment celles de l’Automobile Club de Argentina (ACA). Il achète notamment une part de Maserati à Froilan Gonzales. Quand ceux-ci décident, sous l’impulsion de Péron, d’envoyer une équipe défendre les couleurs du pays en Europe, il est décidé de leur donner à tous la même tenue. Les pilotes réclament des pantalons avec des grandes poches pour les outils, des bas de pantalon étroits, de la toile légère pour ne pas brûler dans les cockpits –traité d’ailleurs au borax pour que ça retarde un peu les risques, des ceintures élastiques etc… Rudman leur dessine des pantalons bleus et des polos jaunes aux couleurs de l’Argentine. C’est ainsi qu’en 1949 l’équipe argentine se présente à sa première tournée européenne. Le succès est rapidement-là. Leur art de vivre est également envié. Complètement dans l’esprit de l’époque. D’un côté des « nobles » passionnés et de l’autre quasiment des bandits de grands chemins – tout aussi passionnés – . En quête de records et de victoires toujours dignement célébrés.
La marque appartenait-elle à quelqu’un ?
Précisément non. Elle était en déshérence depuis plus de vingt ans. On l’a redéposée partout puis on a construit une librairie de photos historiques avec lesquelles on a reconstitué les modèles sur la base de ce que portaient Fangio, Moss etc… Fin 2007 on a relancé la marque. Sur la base des photos, avec quelques pièces historiques retrouvées dans les musées, avec les journalistes, dont Paul Henri Cahier qui nous a envoyé une photo de lui avec une chemise Suixtil qui avait été donnée à son père. C’est à partir de ça qu’on peut reconstituer les modèles.
J’ai aussi l’énorme avantage que mon épouse travaille depuis vingt dans la confection pour des marques européennes, ce qui nous permet d’avoir accès à une chaîne logistique et d’obtenir exactement ce que nous souhaitons, ce malgré le fait que nos quantités produites n’ont rien à voir avec celles destinées à la grande distribution. Du reste le point d’attention et d’exigence principal porte sur le détail, sur la qualité. Ce qui finalement intéresse aussi les usines. En fait on vend certes un produit mais surtout une histoire. C’est grâce à ce réseau, à sa souplesse et à l’étendue des possibilités qu’il offre que notre package a rapidement été positionné.
Comment organisez-vous votre promotion ?
La ligne de vêtements est un vecteur qui nous positionne dans cette histoire que nous aimons, mais nous pouvons faire beaucoup plus de choses. Et l’engouement que suscite la marque nous conforte dans cette idée. Ainsi l’écurie Suixtil. C’est un groupe de possesseurs de voitures anciennes qui s’est formé un peu par hasard autour des autocollants Suixtil que nous avons distribué à quelques copains. Aujourd’hui il y a des centaines d’autos qui en sont décorées et nous avons donc des photos qui nous sont envoyées de partout dans le monde, d’Interlagos, de Monza, de Goodwood, de Monterey etc…
On est donc confiant dans l’idée que les gens cherchent davantage une marque d’expérience, un style de vie, qu’une simple marque de fringues. Et les efforts qu’on fait depuis huit ans commencent à être reconnus. A nous valoir des rencontres extraordinaires. Mos, Manzon, Simon, Gonzalez…. Quand des modèles leur ayant appartenu nous ont été demandés, nous sommes entrés en contact épistolaire avec eux. Tout de suite on a senti que ça touchait une corde sensible. Des pilotes auxquels on a envie d’exprimer notre reconnaissance. Des pilotes dont la notoriété n’est pas toujours à la hauteur des exploits et des risques encourus. Toute une génération qui passe et dont la mémoire doit être conservée.
La quête de photos les concernant est difficile. Soit la propriété d’agences qui ne les cèdent que moyennant des prix élevés soit dans des malles ou tiroirs d’héritiers qui ne savent qu’en faire et les balanceront un jour. C’est très dommage car leur diffusion permettrait de rendre davantage justice à cette époque. J’ai ainsi une image de Fangio debout pendant le Grand Prix de Cuba devant sa Maserati en 1957. Je suppose qu’ils devaient être en train de jouer l’hymne national. On voit le Suixtil. Des photos comme ça il devait y en avoir plein… Elles sont notre légitimité. Notre force, assurément. On a beaucoup de chance. Mais la mettre en avant n’est pas si aisé. L’exploiter n’est pas évident. On a cette légitimité par défaut. Sur notre site web, il y une galerie photos indexées, un peu comme si c’était notre musée. Je me demande comment les gens la regardent. Peu se servent de toutes les possibilités offertes. Il y a un moteur de recherche puissant. Des photos j’en cherche en permanence. Beaucoup sont désormais intouchables, dans des fonds, des collections.
Par contre lorsqu’on va aux évènements, salons, courses historiques, on rencontre les gens et tout de suite ils comprennent. Cette histoire, notre histoire les impressionne. Et lorsqu’ils ont adhéré ils nous suivent. Aujourd’hui j’ai ainsi reçu une photo de Nouvelle-Zélande d’un Morgan trois roues qui courre sous nos couleurs. Ça me fait rêver.
N’est-ce pas un problème de produire en Chine un produit d’essence sud-américaine ou européenne ?
Non. D’abord il y a la perception. C’est une question qui ne se pose plus beaucoup. Aux USA, ils savent que 90% de ces articles sont faits en Chine et ça ne pose aucun problème. En France il y a encore des réticences. Nous avons des prestataires de très haut niveau dont la qualité n’a rien à envier aux producteurs européens. Ensuite et quoiqu’on en dise, le contexte de fabrication n’a rien à voir avec celle qu’on peut trouver dans certains pays orientaux, voire même en Europe où l’on trouve parfois des ouvriers étrangers dont les conditions de travail sont lamentables. Ce qui permet d’avoir un « made in … « Europe » frelaté. Concernant notre contrôle qualité, nous sommes sur place pour tout « checker ». Le nombre d’anomalie matériaux, traitement, façon est extrêmement faible. Nous pensons que notre rapport qualité prix est en adéquation avec les attentes de notre clientèle.
Comment commercialisez-vous vos produits ?
D’une part sur internet. Nous livrons dans 30 marchés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ensuite avec des agents aux Usa, Allemagne, Benelux. Nous sommes à la fois artisans et industriels. Ce qui nous permet d’avoir des produits de très bonne qualité à des prix abordables. On a une bonne adéquation prix – produit. On ne s’exclut pas de toute une audience possible. On fournit également des Clubs. Charge à eux de customiser un produit standard qu’on leur fournit.
Que recherchez-vous aujourd’hui pour vous développer, sachant qu’avec votre organisation vous pouvez vous adapter à toutes les situations, toutes les demandes ?
Nous cherchons d’abord des distributeurs pour les pays où nous ne sommes pas présents et qui ont une culture automobile. La France, la Grande Bretagne, l’Australie par exemple. Il nous faut aussi percer les mystères de l’internet. Il y a toujours des choses qui nous échappent. Avec ou sans pub, on a un niveau d’activité commerciale identique. Le flux de visites semble indépendant de la pub qu’on y investit. Il est certain que nous voulons développer ce flux.
On a un potentiel important parce que les valeurs qu’on représente sont intemporelles. Héroïsme, relations humaines, amitié, courage…et quoiqu’on en dise ont toujours cours aujourd’hui. Nos axes d’évolution vont au-delà des vêtements. Nous pensons aux meubles. Meubles qui auront un lien avec la course automobile. Dans des atmosphères françaises, italiennes et anglaises, avec des pièces spécifiques pour chaque atmosphère. Si ensuite on pouvait créer des clubs Suixtil ce serait en adéquation avec les attentes de nos clients. On partage des valeurs avec eux. On constitue, de fait, un club. Quoiqu’on fasse il n’est pas question qu’on s’éloigne de ce qui fait l’âme de notre marque.
Si vous deviez évoquer votre passion quelle course, voiture ou pilote vous viendrait à l’esprit ?
Oh il y en a plus d’un ou une ! Une course. Monza 56. Peter Colins laisse sa voiture à Fangio qui vient d’abandonner alors qu’ils sont tous deux dans la course au titre. Par respect. (« Fangio méritait plus que moi d’être titré »). Moss gagne la course. Fangio est titré.
Le Ring en 57. Fangio perd une minute aux stands. Repart très attardé derrière les deux Ferrari de Hawthorn et Collins. Gagne la course en établissant un record du tour 8 sec plus rapide que sa pole position. Il remporte son dernier titre cette année-là.
Allez une troisième course : Porto 58 . Moss gagne la course. Hawthorn, second est disqualifié pour avoir emprunté la piste à contre sens suite à un tête à queue. Moss va voir les juges et les convainc de rendre ses 7 points à Hawthorn. Moss perd cette année là le championnat au bénéfice de Hawthorn d’un seul point !… Voilà ce qui symbolise l’âme de ces années : la gagne, l’intrépidité et le fair-play. Un sport d’hommes. Pas encore d’ingénieurs.
Concernant les voitures, j’adore par exemple l’histoire de l’OSCA MT4 ex De Portago. D’abord parcequ »OSCA c’est les frères Maserati. Ensuite, quand ils ont retrouvé celle-ci c’était une pile de rouille. Mais sous la plaque de la Panaméricana 54, qu’elle avait disputée, il y avait le logo Suixtil qui avait sponsorisé Mieres pour qu’il la conduise lors de cette course.
www.suixtil.com
Illustration 1 : Gonzalez – Ferrari Chevrolet – © Raul Gattelet
Illustration 2 : Buenos Aires 1952 -Manzon, Simon © Suixtil ou DR
Illustration 3 : Mt Ventoux 1958 – Behra, Barth, About, von Trips, von Haustein© Suixtil
Illustration 4 : Harry Schell (c) Barry McKay
Illustration 5 : Goodwood revival 2011 © Suixtil
Illustration 6 : Goodwood revival 2011 © Suixtil
Illustration 6 : Goodwood revival 2011 © Suixtil