A 42 ans, une nouvelle carrière sportive pleine d’espoirs s’annonce pour Gérard Laureau qui va enfin disposer de montures bien plus rapides mieux adaptées à son talent.
Patrice Vergès
Séparé de Charles Deutsch qui va poursuivre son aventure avec Panhard sous le nom de ses initiales CD, René Bonnet lance sa nouvelle marque également baptisée de ses initiales RB dont le sigle est un capricorne, son signe zodiacal. A 57 ans, c’est la chance de sa vie car il fonde beaucoup d’espoirs sur son association avec Renault qui lui apporte un 4 cylindres inédit dérivé du bloc à 5 paliers de la future R8. Coiffés d’une culasse double-arbre concoctée par le sorcier Amédée Gordini, il est bien plus puissant que le vieux flat-twin Panhard. Par ailleurs, l’association avec la firme aéronautique Matra lui permet de disposer d’un outil de production situé à Romorantin. Cette ancienne filature va lui permettre de produire de nouvelles voitures sportives à mécanique Renault en plus grande série que précédemment où elles étaient sous-traitées chez des spécialistes du composite.
Un avenir radieux
L’avenir s’annonce radieux à Champigny où c’est la fièvre au sein du minuscule bureau d’études. Épaulé par Paul Carillo, son ingénieur en chef, Jacques Hubert qui a dessiné les ultimes D.B depuis 1959, fait feux de tout bois.
Parallèlement aux voitures de production notamment la nouvelle Missile sur base R4L et le cabriolet Le Mans, il dessine un coach à moteur central arrière destiné à courir en GT et aussi deux barquettes découvertes également à moteur central arrière. Fasciné par les Lotus, Hubert dessine des voitures hyper légères, très aérodynamiques, les plus compactes et plus étroites possible qui font appel au dernières solutions techniques du début des années 60; suspensions triangulées, jantes en magnésium, moteur central.
La course coûte cher et en phase de restructuration et d’études, la marque au Capricorne ne bénéficie pas des rentrées financières de la commercialisation des voitures de grand-tourisme comme précédemment. Bonnet court également après l’argent depuis ses débuts et pour financer la course qu’il a dans le sang en tant qu’ancien pilote, il vit des primes de départ, de ses sponsors BP et Dunlop, de la location de voitures de course et de la participation des pilotes qui paient pour courir. Sauf nos deux pilotes officiels. Laureau et Armagnac reconduits comme pilotes de pointe au sein de l’écurie aux ambitions décuplées.
« Malgré mon titre de pilote d’usine, je n’ai jamais été payé comme Armagnac d’ailleurs. Au début, je payais même mes déplacements et mon hôtel. Je n’avais pas de voiture de fonction ni de la part de Bonnet ni et Panhard ne m’en prêtait même pas même quand nous avons été son écurie officielle. A partir de 1960, j’ai reçu quelques primes de départ et aussi d’arrivée lorsqu’on gagnait l’indice et également de la part de BP qui était notre sponsor. Primes qu’il fallait parfois partager avec les mécaniciens et Bonnet. Bien que j’ai le tutoiement facile et que nous nous soyons vus quelques week-ends chez lui avec son épouse Billy, je ne l’ai jamais tutoyé. Je regrette de n’avoir pas pu parler davantage à son associé Deutsch qui n’était pas là souvent. René Bonnet savait créer une super ambiance dans son écurie et s’entourer de passionnés.
Quand l’argent à commencé à manquer aux débuts des années 60 sous la période René Bonnet où son fils Claude est rentré dans la structure après son service militaire, nos rapports se sont refroidis. Son grave accident du Tour de France auto en 1958 l’avait changé mais c’était un charmeur et il savait d’en servir. Quant à mon coéquipier, Paul Armagnac c’était un homme merveilleux. En tant qu’huissier à Nogaro, il trouvait « dégueulasse » de saisir de pauvres types. C’était un pilote très rapide et doué au volant. Il n’aimait pas faire les essais et la mécanique lui était étrangère ».
Espoirs déçus !
La saison 1962 s’annonce prometteuse. Laureau et Armagnac disposent de la nouvelle barquette hyper profilée à carrosserie en aluminium (470 kilos) dont le 4 cylindres double-arbre délivre selon sa cylindrée variant de 704 à 996 cm3 de 70 à 95 chevaux en fonction du classement choisi. Dans ce cas, elle file à plus de 210 km/h se révèle bien plus rapide que les dernière D.B à moteur Panhard qui ne dépassaient les 60 ch et 180 km/h. Mais étroite, pas très rigide comme toutes les créations d’Hubert, le spider René Bonnet se révèle pointu à piloter. Laureau fut déçu pas sa conduite. « Pour être franc, je n’aimais pas trop les voitures dessinées par Jacques Hubert autant le spider que le Djet tubulaire. Elles tenaient mal la route comparées aux D.B notamment la fameuse Camionnette qui fut la meilleure de la lignée. Les D.B avaient des voies très larges alors que les Bonnet avaient des voies trop étroites. La barquette était dangereuse, le journaliste Jean Bernadet l’avait baptisée « le suppositoire » à cause de sa forme longue et étroite. Lorsqu’elle a reçu un toit en 1963 pour améliorer son aérodynamisme, ce n’était pas mieux et Bonnet disait que je marchais moins vite parce que je n’aimais pas les voitures fermées. C’était faux. Elle partait comme ça d’un seul coup sans prévenir. Cette voiture me faisait peur « .
Plus tard, Beltoise me raconta qu’elle devait avoir un gros problème aérodynamique construite sans aucun appui tout au bénéfice de la vitesse de pointe. Mais en 1963 il manquait trop d’expérience pour s’en rendre compte et imputa même son accident de Reims à l’aérodynamique. Mais nous n’en sommes pas encore là.
La saison 1962 est décevante. Victimes d’un moteur Renault qui manque de mise au point et surtout de rigidité en claquant régulièrement ses joints de culasse, les Bonnet passent rarement la ligne d’arrivée et les primes se font plus rares. L’ambiance s’est un peu délitée et l’argent manque de plus en plus au sein de la petite marque très occupée par la mise en production d’un Djet civilisé à châssis poutre dont l’élégante silhouette tronqué a séduit des particuliers. Las, fin 1962, lors des essais des Coupes du Salon à Montlhéry, Armagnac se tue avec la barquette. Un choc pour l’écurie et Laureau qui le considérait comme un frère et avec qui il avait eu le projet de le rejoindre dans le Gers. Pour le remplacer dans l’équipe pour la saison 1963, Bonnet fait appel au jeune Beltoise qui avait déjà travaillé comme mécanicien dans son entreprise trois ans plus tôt mais avait été mis à la porte parce qu’il n’était pas toujours présent à son poste de travail.
Nouveau coéquipier
» J’avais découvert Beltoise aux essais d’avril du Mans 1962 où il courait à moto. Avec son fils Claude, j’ai insisté auprès de son père pour qu’il le teste. Il a tourné tout de suite plus vite que les autres pilotes de l’écurie. Après la mort de Paul, il est devenu mon coéquipier. Nous étions les plus rapides et je me souviens que j’étais un peu plus vite que lui, du moins au début ».
Malgré une victoire à l’indice énergétique obtenue par Beltoise au Mans, les résultats en 1963 ne sont guère meilleurs. La barquette s’est muée en coupé en adoptant un toit pour améliorer son aérodynamique tandis que son châssis a été rigidifié. Mais elle se révèle moins véloce que la nouvelle Alpine M63 car Bonnet n’est plus la seule équipe officielle de Renault. Il se retrouve le dindon de la farce car son contrat signé avec la Régie, l’oblige d’utiliser que des pièces Renault ce qui n’est pas le cas d’Alpine. Avec sa boîte à seulement 4 rapports d’Estafette et ses freins de R8, le proto est moins vite que la M63 équipée de freins Girling et d’une boîte Hewland à 5 rapports.
Alpine a le vent en poupe auprès de médias tandis que l’écurie Bonnet est en train de sombrer d’autant que l’argent manque de plus en plus suite à la mévente du Missile qui devait être le cheval commercial de la petite marque. En plus, Bonnet a décidé de produire une Formule 3 en petite série pour les clients sportifs et de se lancer dans la nouvelle Formule 2 – 1000 cm3 qui vient de voir le jour.
Hubert a dessiné une monoplace de Formule 2 très originale, trop certainement mais belle et fine comme toutes ses créations. Elle fait appel à une technologie innovante au niveau des suspensions in-board à interconnexion à l’avant tandis que sa structure mixte châssis double coque intègre le réservoir d’essence. Technologie dont Matra s’appropriera la paternité lorsqu’il reprendra la firme. Mais l’argent et le temps et l’expérience manquent pour la mettre au point une voiture aussi novatrice.
Le talentueux Claude Bareau Sire qui redonne la vie à des D.B et des Aérodjet termine actuellement la refabrication à partir des plans d’origine des Formule 2 et Formule 3 René Bonnet. S’il est resté fidèle à leur dessin original, il a utilisé des tubes de châssis bien plus rigides que ceux employés en 1964. C’était son gros vice. Dès les premiers essais à Pau, Gérard Laureau se rend compte que sa René Bonnet ne peut rien faire contre les Lotus et Cooper » Nous avons débuté avec à Pau. Il fallait se déchausser pour monter dedans. C’était un véritable cercueil roulant, le train avant s’ouvrait au freinage et elle tenait mal la route. Une vraie sauterelle ! »
Au Grand Prix de Pau, au volant de la F2 qui manque de mise au point, Laureau se qualifie à prés de 20 secondes de Jim Clark auteur du meilleur temps et se classera 8eme à un tour après un arrêt au stand pour faire resserrer la suspension arrière. En Proto, ça ne marche pas mieux : aux 1000 km du Nurburgring, Beltoise privé de freins quitte la piste dès le départ, au Mans, Laureau tombe en panne d’essence. Aux essais des 12 heures de Reims, la voiture est victime d’un début d’incendie.
La nuit à l’hôpital
Les 12 Heures ont lieu la veille de la course de Formule 2 où Laureau et Beltoise sont engagés. Au volant du proto, Beltoise qui a pris le départ sort violemment sur une flaque d’essence. Éjecté, il est gravement blessé (17 fractures). Emmené à l’hôpital de Reims, le chirurgien veut lui couper le bras et la jambe. Présent, Laureau insiste pour que l’opération ne se fasse pas et pique une colère contre le chirurgien. Le matin, il appelle le célèbre professeur Dautry qui accepte d’opérer Beltoise rapatrié en hélicoptère sur Paris. Le pilote restera plusieurs mois cloué sur un lit d’hôpital. Mais son son bras et sa jambe seront sauvés. L’après-midi, crevé par sa nuit, Laureau prend le départ de la course des Formule 2 en dernière ligne car les Bonnet ne se sont pas qualifiées mais ont été repêchées par l’organisation. Mais l’ambiance s’est encore délitée et le cœur n’y est plus et il abandonnera au 5eme tour sur ennuis mécanique. Ce sera sa dernière course à 44 ans.
« Je me sentais en pleine forme et je savais que j’étais encore rapide. Mais ma femme me demandait très fermement d’arrêter la compétition. Les voitures étaient très dangereuses et l’ambiance plus très bonne. Je n’ai plus recouru et j’ai su résister à plusieurs propositions de Jean Rédélé qui m’a proposé de conduire les Alpine proto notamment au Mans ».
Tout va aller très vite, Bonnet qui doit de l’argent à Matra est évincé sans élégance de son affaire fin septembre. La firme désormais dirigée par Jean-Luc Lagardère ne manque pas d’ambitions sportives en continuant la production du Djet et en se lançant en Formule 3 avec une voiture dérivée de la Bonnet mais bien améliorée.
Laureau connaît Jean-Luc Lagardère chez qui il a effectué des forages. Ce dernier le consulte sur le choix de ses pilotes pour la saison 1965. Laureau insiste pour qu’on prenne Beltoise qui est encore très handicapé par son accident. » Ils le considéraient comme un infirme mais finalement ils l’ont pris et il leur a prouvé qu’il était le meilleur. Jean Pierre m’a dit, un jour, je te renverrai l’ascenseur et il l’a fait « .
Il reprend à plein temps son métier de puisatier tandis que l’étoile de Beltoise monte au firmament des pilotes. Dans les années 80, ce dernier ouvre une école de pilotage à Trappes et demande à Gérard de s’en occuper. A plus de 65 ans, Gérard qui roule quotidiennement en 205 GTI car il aime toujours la vitesse, reprend goût à la piste » Je prends encore mon pied » me racontait-il « lorsque je conduis la 205 Turbo 16, avec ses 400 ch, ça colle au siège et fait mal aux lombaires mais c’est si bon ! ».
Superstitieux, il se rappelait de ne jamais avoir terminé une épreuve quand sa voiture avait le chiffre 13 formé de la combinaison ou de l’addition de son numéro. Il a couru un temps où si le pilotes savaient mourir mais aussi savaient vivre. De ce coté là, le joyeux Gérard dévora la vie avec gourmandise jamais rassasiée jusqu’au bout du bout. On peut regretter qu’il n’ait pas pu disposer de voitures plus rapides qui auraient mieux mis en avant son talent de pilote et la finesse de sa conduite. Mais grâce à son petit fils, Antoine, le nom de Laureau résonne encore avec celui de D.B et R.B.