GROSJEAN EN PLEINE LUMIÈRE
La domination des Mercedes W 06 est telle depuis le début championnat 2015 qu’à l’issue du Grand Prix de Belgique tranquillement survolé par Hamilton et Rosberg, le héros de la course a finalement été Romain Grosjean. Le hasard n’y est pour rien. Car dès les essais, Romain nous avait démontré combien il avait évolué ces derniers mois – devenant un autre pilote, peut-être même un autre homme…
Johnny Rives
Des essais au cours desquels il n’avait pourtant pas été épargné, contraint de surmonter plusieurs handicaps. En premier lieu les conséquences morales et techniques des soucis financiers qui pèsent de plus en plus lourd sur son équipe, l’écurie Lotus. A quoi on ajoutera l’obligation de ne pas rouler lors de la première séance de roulage – sa voiture étant alors confiée à Jason Palmer dont l’apport financier est aussi peu négligeable pour Lotus que celui apporté par le leader de l’équipe ( ?), le Vénézuélien Pastor Maldonado. Pour en finir avec cette litanie, on rappellera que ce jour là, vendredi, Grosjean finit par être stoppé par une panne de boîte de vitesses avec pour conséquence grave (puisqu’il a fallu la remplacer) une pénalité de cinq places au départ. Une pénalité sans laquelle il se serait élancé en 2e ligne après avoir signé une qualification de toute première valeur à 24/1000e seulement de la Williams de Bottas. Ce même Bottas en qui beaucoup voyaient un candidat sérieux pour éventuellement succéder à Raïkkonen chez Ferrari. Après sa démonstration belge, sur un circuit qui en dit long sur les capacités d’un pilote de course, de quelle future équipe de F1 Grosjean suscitera-t-il le désir d’avoir recours à son talent ?
Sa victoire, il ne fallut pas longtemps à Lewis Hamilton pour s’en assurer : les 5/10e de seconde d’avance qui lui permirent de battre Rosberg pour la conquête de la pole. Et les cinq premières secondes du Grand Prix. A l’issue desquelles il virait en tête dans l’épingle de la Source, cependant que Nico était débordé par quelques pilotes plus vifs que lui : l’étonnant Sergio Perez et même Daniel Ricciardo que l’essor du jeune Danil Kvyat aiguillonne opportunément. Il ne fallut pas moins de huit tours au monégasque d’adoption pour se hisser derrière son équipier. Lequel s’était gentiment bâti une avance de huit secondes qui, sauf mauvaise surprise, le mettait à l’abri de toute velléité de son équipier. Or de mauvaise surprise, il n’y en eut point…
Après les qualifs, quelque peu marri, Rosberg avait convenu qu’Hamilton l’avait largué pour sans doute avoir découvert un petit truc qui lui avait échappé. En course, une fois acquise la 2e place, il expliqua que si ses efforts lui avaient permis de signer le meilleur tour en course, ils avaient été insuffisants pour inquiéter vraiment Hamilton. Un meilleur tour qui n’a qu’une valeur relative car Hamilton avait beau jeu, compte tenu de son avance, à gérer la situation sans en demander trop à sa mécanique ou à ses pneus. « Je suis heureux !» devait s’exclamer Lewis après sa 6evictoire de la saison (contre trois à Rosberg et deux à Vettel). On le comprend.
PIRELLI SUR LA SELLETTE
Malgré le récital des deux Mercedes – dont la seule menace résidait dans l’éventuel déclenchement d’une averse qui arriva bien après l’arrivée – la course ne sombra pas dans l’indifférence. D’une part parce que du haut de leur fière jeunesse, Danil Kvyat et Max Verstappen y mirent du leur pour troubler le bon ordonnancement de la hiérarchie. Mais surtout parce que la lutte pour la troisième place déboucha sur un joli et tendu duel à distance entre Sebastian Vettel et Romain Grosjean. Comme très souvent, l’ancien champion du monde de Red Bull, réussit à compenser par son intelligence de la course les insuffisances criantes des Ferrari. Et émerger progressivement en tête des poursuivants des Mercedes.
Cela essentiellement grâce à une stratégie ambitieuse. Que la tenue discutable des pneus Pirelli devait transformer en stratégie dangereuse : accomplir tout le grand prix avec deux trains de pneus seulement – donc un seul arrêt au stand. Malgré la pondération de Vettel, qui se contenta du 14e meilleur tour en course (à près de trois secondes du meilleur de Rosberg !) ce pari échoua de manière spectaculaire. Heureusement l’éclatement de son pneu arrière droit n’eut aucun conséquence dramatique pour Sebastian qui s’en sortit avec le même bonheur qui avait souri à Rosberg aux essais le vendredi. Deux incidents à considérer avec gravité au moment où les responsables des grands prix devront prendre la décision de renouveler (ou pas) leur confiance à Pirelli, alors que Michelin est candidat pour revenir en F1.
Le fâcheux abandon de Vettel nous a privés d’un duel au finish entre lui et Grosjean. Lequel, cependant que se déroulaient les évènements que l’on vient de raconter, taillait fort joliment son chemin. On l’avait vu prendre, sans coup férir, l’avantage sur Bottas, Ricciardo et Perez au freinage pour le « S » des Combes tout en haut de la ligne droite. Et progressivement réduire son retard sur la Ferrari de Vettel. Vers la mi-course, juste après la neutralisation par « safety car virtuelle » due à la panne de Ricciardo, son retard sur Vettel était de cinq secondes. Patiemment, dixième par dixième, Grosjean se mit alors en devoir de le grignoter.
Romain était tout près de se rapprocher à moins d’une seconde de la Ferrari (la fatidique seconde qui permet d’avoir recours au DRS, si précieux pour doubler en ligne droite) quand explosa le pneu du malchanceux Vettel. On ne saura évidemment jamais si Grosjean aurait été capable d’infliger à Vettel le même sorte de dépassement qu’il avait fait subir à Bottas, Ricciardo et Perez un peu plus tôt. Mais qu’importe : la troisième place qui a récompensé sa course n’est nullement usurpée. Bravo à lui.