La victoire de Daniel Ricciardo, à l’issue d’un scénario haletant, a provoqué un mouvement unanime de sympathie. Si l’Australien avait été francophone, il aurait suscité autant d’enthousiasme chez les cousins québécois que Jean Alesi en 1995. Heureux hasard : le protocole a voulu que le Français ait été désigné pour recueillir les déclarations des trois premiers sur le podium à l’intention du public. Dans leurs communiqués d’après course, la plupart des écuries ont adressé leurs félicitations au vainqueur et les plus beaux hommages ont été rendus par ceux qui auraient pu pourtant ressentir quelque amertume.
Luc Augier
Jean Eric Vergne, auteur d’une course parfaite et opiniâtre qui lui a valu la huitième place, pouvait mesurer tout ce qui sépare la condition d’un pilote Red Bull de celle d’un sociétaire de Toro Rosso. Probablement convaincu en son for intérieur qu’à sa place, Ricciardo n’aurait pas fait mieux, Vergne s’est spontanément réjoui de la victoire de son ancien partenaire. Vettel, pour sa part, pouvait se sentir frustré de se retrouver derrière Ricciardo après leur deuxième changement de pneus alors qu’il l’avait devancé jusqu’alors. Par bonheur, le quadruple champion du Monde a terminé troisième et accédé au podium : les caméras ont donc témoigné de l’élégance de son comportement et de ses félicitations sincère. Daniel Ricciardo avait déjà conquis par son sourire, son enthousiasme, sa joie de vivre et son urbanité. Depuis le début de la saison, sans sembler se départir de ses qualités humaines, il a convaincu par son talent, sa combativité et sa clairvoyance, au delà même, à les en croire, de ce que ses employeurs espéraient.
Pour la première fois de la saison, une brêche s’est ouverte dans la forteresse Mercedes. Jusqu’alors, Daniel Ricciardo était souvent aux avant postes pour la guetter. Il n’est donc pas illogique que ce soit lui qui s’y soit engouffré. Pourtant, la Red Bull n’était pas la meilleure arme sur le circuit Gilles Villeneuve. Certes, Sebastian Vettel avait signé de troisième temps en qualification, derrière les deux Mercedes. Cela grâce à sa tenue de route sur les secteurs sinueux. Mais en course, il faut impérativement une bonne vitesse de pointe dans la longue ligne droite et elle faisait cruellement défaut aux Red Bull. Même avec leur DRS (volet d’aileron arrière) ouvert, Vettel et Ricciardo ne parvenaient pas à dépasser leurs adversaires. Ils rongèrent ainsi leur frein derrière les Force India qui avaient opté pour une stratégie à un arrêt au lieu de deux et qui ménageaient donc leurs pneus. Ce n’est que quand Sergio Perez connut des ennuis de freins, en toute fin de course, que Ricciardo et Vettel purent faire sauter le bouchon. A l’évidence, le propulseur Renault manque encore de puissance par rapport au Mercedes.
De quoi aviver les regrets le Sergio Lopez et de Felipe Massa. Sans une défaillance de DRS qui le handicapait dans sa poursuite, le Mexicain aurait pu prétendre dépasser Rosberg et distancer les Red Bull. Sans une hésitation de Williams dans le choix de la stratégie et un deuxième changement de roue erratique, le Brésilien aurait pu recoller plus tôt au peloton de chasse et s’y frayer un passage avec des pneus plus frais. Mais à un tour de l’arrivée, les deux protagonistes ne se disputaient que la quatrième place avant de s’auto éliminer dans une effroyable collision. A qui la faute ? A l’approche du freinage, une vue aérienne révèle un infléchissement de la trajectoire de Perez vers la gauche tandis qu’au même instant, Massa infléchit la sienne vers la droite. Et le contact est d’autant plus violent que la différence de vitesse est importante, Massa ayant à l’évidence opté pour un freinage bien plus tardif que celui de Perez. Sebastian Vettel eut le bonheur d’échapper au « strike ».
Nico Rosberg peut donc finalement s’estimer chanceux de n’avoir été dépassé que par Ricciardo et de sauver la deuxième place alors qu’il aurait pu tout aussi bien chuter à la cinquième. Il a donc fait mieux que limiter les dégâts et les déconvenues de Mercedes -dont l’écurie doit identifier la cause- donnent un éclairage sur les spécificités de ces nouvelles technologies. Sur les deux voitures, et quasiment au même moment (peu avant le 40ème des 70 tours), le récupérateur d’énergie cinétique a rendu l’âme. Sans appoint d’énergie électrique, la puissance a chuté et sans contribution du système à la décélération, les freins arrière étaient anormalement sollicités sur un tracé parmi les plus exigeants à cet égard. Leur défaillance a provoqué l’abandon d’Hamilton. Rosberg, lui, a pu survivre en adaptant sa conduite : négocier les virages et les chicanes en mode « qualif » tout en ajustant ses zones de freinage sans détruire ses pneus. Jusqu’alors, le duel avait été encore somptueux à trois détails près. La porte sèchement fermée par Rosberg au nez d’Hamilton à l’abord du premier virage : mais l’emplacement de la pole position à gauche est-il le plus approprié pour avoir l’avantage d’une meilleure adhérence au départ ? Le « tout droit » au 25ème tour à la chicane des stands, qui lui permet de garder l’avantage sur son adversaire mais qui, après investigation, ne sera pas sanctionné. Enfin, le changement de pneus moins bien négocié par l’équipe pour l’Allemand que pour l’Anglais, avec pour conséquence une inversion des positions. Voilà Hamilton contraint à l’offensive. Mais Rosberg se contentera-til de voir venir pour autant ?
Photo 1 : Luc Augier © Guy Lepage www.Le-page.net Photo 2 : Arrivée Montreal 2014 © DR