3 octobre 2013

Niki Lauda : « Er hätte es verdient! »*

Andreas Nikolaus Lauda aurait du être champion du monde de Formule 1 en 1976. C’est ce que la logique aurait voulu. Mais le sort n’a que faire de la logique, tant mieux pour la beauté de l’histoire. Mais Dieu qu’il l’aurait mérité !

Pierre Ménard

A l’occasion de la sortie du film « Rush » de Ron Howard, pour la saison 1976, voir aussi :

Rush Bande annonce

Le Grand Prix de France 1976

La saison 1976 en vidéo

James Hunt 1976 en Vidéo

Niki Lauda 1976 en Vidéo

He deserved it – James Hunt 

Rush, critique du film

Guy Edwards, le chasseur de sponsors

Brett Lunger, un américain en Europe 

Harald Ertl, la gai barbu

Arturo Merzario, l’inaltérable

Er hätte es verdient ! – Niki Lauda 

 

Le principal intéressé l’a toujours proclamé : il n’a aucun regret de ne pas avoir été champion en 1976 et estime que James Hunt l’a largement mérité. « Je pense que si j’avais été plus détendu, j’aurais obtenu dans problème les deux points qui me manquaient. Je serais aujourd’hui quatre fois champion du monde et j’avoue en toute franchise que, si je ne le suis pas, je m’en fous royalement » [1]. niki lauda,pierre ménard,james hunt,rush,classic courses,classic,coursesDu Lauda pur sucre. Qui ajoute qu’à son avis, l’écurie Ferrari porte sa responsabilité dans l’échec de 1976 avec un moteur cassé au Paul Ricard alors qu’il était en tête et une suspension affaissée au Canada. Sans parler des erreurs du Mont Fuji. Si l’on regarde objectivement sa saison 1976, que peut se reprocher Lauda ? Rien. Hormis sa « faiblesse » de fin de saison. Toujours honnête vis-à-vis de lui-même, l’homme n’a jamais cherché d’excuses fallacieuses à ses (rares) contre-performances, et juge durement son état de la fin 1976. Dans son esprit, cet accident fait partie intégrante de la course et c’est tant pis pour lui. Sous-entendu : il peut s’estimer heureux, il aurait pu se tuer. Comme tant d’autres à cette époque.

Gonflé par son titre de champion du monde 1975 enlevé dans une réelle supériorité face à Emerson Fittipaldi sur McLaren, Niki Lauda attaqua 1976 avec des batteries gonflées à bloc. Face à lui, toujours une McLaren, mais cette fois avec à son volant son vieux pote James Hunt. niki lauda,pierre ménard,james hunt,rush,classic courses,classic,coursesIls avaient vécu ensemble quelques années auparavant dans un gourbi à Londres aux temps tumultueux de la Formule 3 et en avaient gardé des liens si solides que rien, même les basses manœuvres de la saison 1976, ne parviendra à les briser. Mais la course, c’est la course. Une fois le drapeau abaissé, les liens d’amitié n’existent plus et Niki fit mordre la poussière à James un paquet de fois en cette première moitié de la saison. A tel point que l’on craignit un scénario des plus ennuyeux. Il faut reconnaître que Lauda était au sommet de son art, servi par une monoplace extraordinaire au moteur puissant. Même un enragé comme Hunt ne pouvait pas faire grand-chose. Mais le scénario écrit d’avance ne se réalisa jamais et fit place à une intrigue au suspense insoutenable qui fit de cette saison 1976 une des plus belles que la Formule 1 ait jamais produite.

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Comme James, Niki dut se battre contre le sort jusqu’au bout de ses forces. Hunt dut faire face à l’injustice et à la mesquinerie, Lauda affronta par deux fois la grande Faucheuse. On l’oublie trop souvent, mais son accident de tracteur juste avant le Grand Prix d’Espagne aurait très bien pu le tuer [2]. Il réussira l’exploit de participer à l’épreuve (dans tous les sens du terme) et prouvera une première fois qu’il savait se battre même dans les situations les plus douloureuses. Au Grand Prix de France, il était parti pour un nouveau cavalier seul quand le V12 de sa Ferrari serra. Il n’y a qu’en Angleterre à Brands Hatch où il fut battu sans coup férir par Hunt. Considérant qu’il ne pouvait rien faire contre la vélocité de son copain ce jour-là, Lauda fit du Lauda : il renonça à se battre pour préserver une deuxième place dans l’optique du championnat. Deuxième place qui se transforma en victoire sur tapis vert au soir du Grand Prix portant à cinq son nombre de succès contre deux à James. Bref, quand il débarqua dans le paddock du Nürburgring le jeudi 29 juillet 1976, Niki Lauda pouvait légitimement appréhender une deuxième demi-saison placée sous le signe du confort de celui qui mène sereinement les débats et gère son avance.

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Six semaines plus tard dans le paddock de Monza, c’est un Niki méconnaissable qui faisait face à la meute des journalistes assoiffés de sensationnel. La moitié du visage brûlée, un énorme pansement recouvrant son crâne dégarni, il se contentait de répondre mécaniquement aux questions souvent gênantes, parfois franchement odieuses qui lui étaient balancées sans grand ménagement. Il fallait en passer par là mais il se fichait de tout cela. Ce qui lui importait était de courir, de défendre ses chances après les trois épreuves qu’il avait manquées après son accident et où Hunt avait refait une bonne partie de son retard. Il s’était violemment accroché avec Enzo Ferrari qui préférait tout abandonner pour justifier une défaite annoncée. Lauda préférait se battre, même amoindri, plutôt que de rester au lit à pleurer sur son sort. Toute sa carrière avait été bâtie sur une volonté exceptionnelle de traverser les coups du sort et de tout mettre en œuvre pour se sortir des situations désespérées. C’étaient pas quelques sparadraps et une peau brûlée qui allaient l’empêcher de reprendre le volant de sa Ferrari. Sa décision de revenir à Monza fut entérinée sur cette prise de conscience. Sa 4e place au Grand Prix d’Italie n’en fut que plus respectée, comme le fut sa deuxième à Jarama.

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La suite fut alors beaucoup plus difficile. Ce n’est pas faire injure à la mémoire de Clay Regazzoni de dire cela mais, Lauda absent de Fiorano, le développement de la 312 T2 avait stagné [3]. Même si les nouveaux pneus furent pointés du doigt – on ne comprit notamment pas ce qui avait pu causer cet accident – il était évident que la 312 T2 avait un problème de tenue de route qui ne lui permettait plus de tenir la dragée haute à la McLaren M23 qui avait au contraire (enfin) acquis une certaine stabilité en fin de saison. Une suspension écroulée au Grand Prix du Canada, une 3e place au Grand Prix des Etats-Unis pendant que Hunt se faisait « la complète » à chaque fois, et Niki arriva au Mont Fuji le dos au mur.

niki lauda,pierre ménard,james hunt,rush,classic courses,classic,coursesQue pouvait se reprocher Lauda ? Vraiment pas grand-chose. Certains lui reprochèrent son abandon volontaire, et pas des moindres : d’anciens pilotes jugèrent son renoncement indigne d’un champion [4]. Mais Lauda le reconnaît lui-même : au Mont Fuji, il était rincé (sans jeu de mots) ! Psychologiquement, il ne pouvait pas affronter le pilotage d’une F1 pendant deux heures dans un tel déluge et il avait jugé en son âme et conscience que sa vie valait beaucoup plus qu’un titre. Qui pouvait reprocher quoi que ce soit à un homme qui avait vu la mort de si près quelques mois auparavant ? Il quitta le circuit aussitôt, accompagné par Forghieri. Et c’est là que, si reproches il doit y avoir, c’est à la direction de le Scuderia qu’ils doivent être adressés : Regazzoni était toujours en course, il pouvait encore barrer le passage à Hunt. Mais dans la panique, personne ne s’occupa de Rega qui avait des pneus à l’agonie et ne put de fait pas opposer de résistance à la McLaren de l’Anglais. Clay était pourtant connu comme un pilote pouvant se montrer extrêmement difficile à dépasser s’il avait décidé de ne pas ouvrir la porte.  S’il avait pu jouer son rôle ce jour-là, Lauda aurait été champion, même en route pour l’aéroport international d’Haneda alors que la course battait son plein. Mais avec des « si », on mettrait le Fuji Yama dans un verre de saké.

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Niki apprit le résultat de la course à l’aéroport et ne regretta rien : il était vivant et aurait certainement d’autres occasions de remporter un championnat du monde de Formule 1. Il le prouvera l’année suivante en faisant taire les sceptiques qui l’avaient traité de « lâche » et  remettra triomphalement le couvert en 1984, après un arrêt de la compétition durant deux ans, s’il vous plaît ! Et il y a ce rendez-vous manqué de 1976. Il l’aurait pourtant vraiment mérité.

Pierre MENARD

(*) Il l’aurait mérité

[1] Extrait de Niki Lauda, 300 à l’heure (Ed. Robert laffont)

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[2] Il avait emprunté son tracteur à son voisin pour niveler des mottes de terre sur le terrain de sa toute nouvelle maison dans le bourg de Hof, au-dessus de Salzbourg. Maniant apparemment mieux une F1 qu’un engin agricole, le pilote s’engagea dans une pente et ne put empêcher le tracteur de se retourner sur lui. Il ne dut la vie sauve qu’à la terre assez meuble à cet endroit. Il fut retiré de sous la machine fortement contusionné et avec deux côtes cassées. Il fut à peu près retapé par le kiné de l’équipe de ski autrichienne Willy Dungl – qui deviendra son soigneur attitré – mais courut à Jarama le torse solidement bandé  en proie à de fortes douleurs. Sa 2e place derrière Hunt n’en était que plus méritoire.

[3] Dès son arrivée à Maranello fin 1973, Lauda s’impliqua à fond dans la mise au point des voitures et travailla en étroite collaboration avec Mauro Forghieri sur le sujet. Pour un ingénieur, Lauda était le pilote analytique idéal pour un retour d’informations satisfaisant et il s’appuyait principalement sur lui. Comme tous les grands champions, l’Autrichien examinait attentivement chaque détail – ce que faisait moins son coéquipier, plus instinctif – et allait par exemple chez Goodyear choisir lui-même ses pneus, alors que Clay prenait ceux qu’on lui donnait – Clay reconnaissait volontiers que Lauda se procurait dans ces occasions un avantage certain. Aussi, quand Lauda fut éloigné des pistes suite à son accident, la Ferrari n’évolua pas et lorsqu’il revint, il dut composer avec une voiture bien moins performante que celle de la première demi-saison. Il est significatif de constater qu’il se reproduisit à peu près la même chose à Fiorano 23 plus tard, lorsque Schumacher fut à son tour absent de Maranello suite à son accident de Silverstone en 1999 et que Irvine dut mener la barque à lui tout seul.

[4] Comme tous ses collègues, Niki prit le départ du Grand Prix du Japon sous des trombes d’eau d’une opacité effrayante, mais lui rentra définitivement aux stands au troisième tour, alors qu’il était 23e. Il expliqua à Mauro Forghieri qu’il ne pouvait pas piloter dans ces conditions. L’ingénieur lui proposa une « sortie honorable » avec un communiqué de presse faisant état d’un problème électrique. Lauda refusa : il en prenait la responsabilité, c’était lui qui abandonnait, pas la Ferrari.

Légendes des photos :

CC 1

1976, au volant de la 312 T2  © Auto Motor und Sport

CC 2

1976, au temps de la domination © picture alliance / HOCH ZWEI

CC 3

Grand Prix de Monaco 1976 © LAT Photographic

CC 4

Grand Prix d’Allemagne 1976, Lauda et Hunt au moment du départ © DR

CC 5

Grand Prix d’Italie 1976 en compagnie de sa femme, Marlene © The Cahier Archives

CC 6

Grand Prix du Japon 1976, l’abandon © LAT Photographic

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