Le championnat change de trajectoire
Classement en trompe l’œil. Lorsque le grand cirque de la F1 débarque au Circuit Paul Ricard pour le Grand Prix de France 1976, le championnat est posé. Niki Lauda et sa Ferrari mènent avec 55 points devant Jody Schekter 23 points et Patrick Depailler 20 points. Suivent Regazzoni, Laffite et Mass tandis que James Hunt est 7e avec 8 points… Hunt est même à la lutte avec son coéquipier Mass pour le statut de premier pilote McLaren qui doit être donné au mieux classé des deux à la mi-saison.
Olivier Rogar
Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 1/2 Circuit Paul Ricard – Genèse – Jean Pierre Paoli 2/2 Circuit Paul Ricard – Trophée de France F2 1970 Circuit Paul Ricard – Sports Protos – Jarier en son jardin Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1971 Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1976 Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1978 Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1980 Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1986 Circuit Paul Ricard – Grand Prix de France 1990 Circuit Paul Ricard – Stéphane Clair Circuit Paul Ricard - Grand Prix de France 2018
Le Castellet
L’année du Castellet se présente bien, comme nous le dit François Chevalier, (1) mais l’avenir est incertain. Pas d’épreuve auto fixe. L’alternance est déjà à la mode. En 1977 le Grand Prix sera à Dijon. Il y a donc une option de prise sur une course de championnat du monde de sport protos.
Le circuit s’est un peu dégradé. Touffes d’herbe, bordures de piste cassées, revêtement de plus en plus abrasif et de moins en moins adhérent.
Outre la F1, le circuit accueille la moto, avec le Moto journal 200. Mal rentabilisé par les 35 000 spectateurs. Une tentative est également faite avec le Airsport 76. Course d’avions, des racers aux ailes courtes, autour de trois pylônes reprenant le schéma du circuit Paul Ricard. A nouveau dur échec financier.
Et comme l’énergie ne manque pas, grand concert en plein air ; le Riviera 76 avec Keith Jarrett, Steve McLaughlin, Chick Corea etc… La chaleur aidant, l’atmosphère en ces années de liberté, est torride. Mais 20 000 spectateurs seront insuffisants au regard des 40 000 attendus. ..
Réglementation
La réglementation a changé depuis le Grand Prix d’Espagne. Désormais les dimensions des F1 sont encadrées. Les mensurations du plateau ont été prises. La FIA a retenu les maxima en longueur et largeur. A réduit la hauteur et supprimé les prises d’air verticales ainsi que le porte à faux de l’aileron arrière de 20 cm en le passant à 80 cm de l’axe des roues. James Hunt a gagné ce même Grand Prix d’Espagne mais s’est vu déclassé dans la foulée pour largeur excessive. 15 mm. L’écurie a fait appel.
Casse-tête
Aussi anodin que cela puisse paraître, la mise à la bonne largeur de la voiture va amener les ingénieurs à modifier plusieurs paramètres. Et la belle M23 ne fonctionnera plus comme auparavant. Hunt ne marque de points ni en Belgique ni à Monaco, et seulement 2 en suède. Ne parlons pas des poles positions dont il était devenu le principal détenteur en ce début de saison. Les mécaniciens de Gordon Coppuck, son concepteur, se démènent, dérèglent, règlent, démontent, remontent, il n’y peuvent mais…. La voiture ne marche plus. Chez McLaren, on commence à s’inquiéter. « Nous étions certains que le montage des refroidisseurs d’huile n’intervenait pas dans les mauvaises performances de la voiture. Rien, logiquement ne nous incitait à penser le contraire. Certes, nous n’ignorions pas qu’installés à l’arrière, les refroidisseurs d’huile risquaient de modifier les effets de l’aile, mais ils avaient si peu bougé par rapport à leur ancienne position que nous ne pouvions imaginer que la clé du mystère se trouvait là. » (2) . Ce n’est qu’après avoir remonté les radiateurs d’huile à leur ancien emplacement que la voiture se remet à fonctionner. 15 mm sur les pneus, 30 mm sur les refroidisseurs. Voilà comment mettre une saison en l’air !
Six roues
Ken Tyrrell et son ingénieur Derek Gardner ont dû faire montre de persuasion et de détermination pour convaincre le géant de la gomme. Fournir des pneus taille mini pour la nouvelle Tyrrell P34 à 6 roues tient du coup de pub comme du pari technique. Quatre petites roues directrices de 10′ à l’avant. Deux énormes pneus à l’arrière comme toutes les F1. Good Year a marché pour 1976. Si le début de saison s’est effectué avec la 007 classique, dès le Grand Prix d’Espagne est apparu le « monstre ». Double abandon. Mais déjà en Belgique Jody Schekter lui fait marquer ses premiers points. 4e place. A Monaco, les deux P34 complètent le podium autour de la Ferrari de Lauda. Et en Suède, consécration et doublé des deux Tyrrell. Schekter vainqueur se présente au Grand Prix de France en 2e position au classement du championnat et Depailler en 3e .
Deux Ligier
Fin 1975, Matra a cédé la place à Ligier. Pas que la place d’ailleurs. Ingénieurs, Moteur, sponsor. Jean Pierre Beltoise a été le facilitateur de ce rapprochement. Puis l’essayeur de la belle JS5 qui en a résulté. Il devait la piloter en course. Juste retour des choses. C’était sans compter avec le pragmatique – ou rusé … – Guy Ligier. Un volant fut organisé. Jean-Pierre Beltoise d’un côté, à court de compétition, Jacques Laffite de l’autre, récent vainqueur du championnat d’Europe de F2 avec en outre quelques courses de F1 chez Williams. Si les conditions de cet impromptu restent à discuter, le résultat fut sans appel et Laffite promu pilote de cette unique JS5 pour la saison 1976. ( « Pour ses qualités de metteur au point » lira-t-on sur le programme du Grand Prix …)
En cette veille de Grand Prix de France, la grande question est de savoir combien de Ligier seront alignées. Guy Ligier a pris la décision d’engager Jean-Pierre Jarier aux côtés d’un Jacques Laffite quelque peu dépité. Celui qu’on surnomme Godasse de plomb a une fameuse réputation et faute d’avoir fait la révolution, a plusieurs fois fait parler la poudre en Amérique du Sud avec sa Shadow. Toujours est-il qu’au cours de ces préliminaires, Jacques Laffite se montre plus rapide et, semble-t-il, meilleur metteur au point. (3)
Finalement la seconde JS5 ne sera pas alignée. Jarier rentre à l’écurie la tête basse et se fera assez discret du côté du stand Ligier. Droit et dollars. Il semble que Don Nichols, le patron de Shadow lui a fait relire son contrat. Ouvrant pour l’écurie, la possibilité de ne le payer qu’en fin de saison. Mettant à bas l’argument n°1 du pilote ; ne pas avoir été payé depuis début 1976.
Il n’y aura donc qu’une Ligier au Paul Ricard en ce mois de Juillet. Jarier est penaud, Ligier fulmine comme il sait le faire et pas seulement à cause de Gitanes, ses 600 000 francs de pièces détachées inutiles lui pèsent, Laffite « drinks little milk » (4) désormais chez Ligier les « vieux » de Matra et notamment Gérard Ducarouge, vont moins lui dire « A la Matra on faisait comme ça ».
Cinq français et des chaises musicales
Outre Jarier, Laffite et Depailler que nous venons d’évoquer, le plateau est complété par Henri Pescarolo. Il officie désormais sur une Surtees TS19 aux côtés d’Alan Jones et de Brett Lunger. Michel Leclère est notre cinquième représentant. Il court sur la Williams FW 05 aux côtés de Jacky Ickx.
Si les performances de la Ligier et surtout de la Tyrrell sont de premier ordre, la Shadow n’est plus que l’ombre d’elle-même (!), ses prestations s’effondrant de Grand Prix en Grand Prix. Du moins pour celle de Jarier…
Les Surtees sont au nombre de trois, Jones et Lunger étant les titulaires réguliers, Pescarolo les rejoint pour 8 courses. On verra à leur volant plusieurs pilotes de passage : Anderson, Divina Gallica et Takahara.
Quant aux Williams, on peut dire que le loup est dans la bergerie… Walter Wolf a racheté à Frank Williams 60 % de l’écurie Williams Racing. Le Wolf Williams Racing a récupéré Harvey Postlethwaite et sa dernière création développée pour Hesketh. Il ne parvient pas à la faire fonctionner. Michel Leclère comme Jacky Ickx , pourtant une référence, vivent un calvaire. Frank Williams sera débarqué avant la fin de la saison. En attendant l’écurie semble vivre d’expédients, louant ses voitures à Divina Gallica, Renzo Zorzi, Arturo Merzario, Chris Amon, X Brown, Hans Binder et Emilio Zapico…Neuf pilotes en une saison ! Pas sûr qu’on revoit cela avant un moment.
Plateau
Il est certain que la participation est étoffée. Puisqu’au cours de cette saison, 20 pilotes et 13 écuries marqueront des points. Pour le Grand Prix de France, nous avons 30 candidats et 26 voitures au départ.
La présence anglaise est à son apogée avec McLaren, Lotus, Brabham, March, Williams, Surtees, Ensign et Hesketh engagées par leurs teams officiels mais aussi à titre privé. Penske et Shadow représentent les Usa, Copersucar-Fittipaldi le Brésil, Ligier la France et bien sûr Ferrari l’Italie.
Le moteur V8 Ford Cosworth équipe la grande majorité du plateau. Mais quatre équipes en sont dépourvues : Ferrari chez qui le 12 cylindres est encore une tradition. BRM. Las, ce dernier n’effectue qu’une seule course début 1976. Mais entre temps de « nouveaux » motoristes ont fait leur retour ; Le 12 cylindres Alfa – Romeo équipe les belles Brabham BT45 conçues par Gordon Murray et le 12 cylindres Matra aux vocalises si expressives, équipe la Ligier JS5 dessinée par Gérard Ducarouge.
Les pneus sont des Good Year. Les monocoques sont en aluminium. Le nombre de roues n’est pas encore réglementé, ce qui nous vaut la P34 évoquée plus haut.
Les contraintes imposées aux aérodynamiciens sont peu importantes, ce qui contribue à laisser libre cours à leur imagination pour l’emplacement des radiateurs, la forme des ailerons, et nous offre une belle diversité de formes.
Une équipe a généralement deux voitures, parfois une seule, elle participe à tout ou partie du championnat, peut changer ses pilotes en cours de saison, leur donner des consignes… Quelques dizaines de personnes y travaillent. Son budget représente en moyenne 6 millions de francs de l’époque, soit en monnaie constante moins de 6 millions d’euros 2018… (Pour rappel, le budget 2018 moyen-bas d’une équipe est de 100 millions d’euros avec plus de 200 employés).
Et pourtant dans le programme de ce Grand Prix de France 1976, on peut lire : « la F1 de la génération précédente [ ressemble] à une antédiluvienne distraction de patronage. ……il est évident que par les sommes astronomiques et les intérêts mis en jeu, le sport est quelque peu dépassé par les évênements »
Essais
La première séance d’essais est dominée par Carlos Pace dont la belle – mais lourde – Brabham Alfa Roméo réalise 1’48’’76. La seconde séance voit une hiérarchie plus habituelle se mettre en place, dominée par James Hunt 1’47’’89, dont la McLaren a retrouvé toute sa vitesse, devant Lauda en 1’48’’17. Suivent Depailler, Regazzoni, Peterson et Pace. Laffite est 13e, la belle Ligier a été incapable de rééditer ses temps d’intersaison, les autres français sont derrière : Jarier 15e, Leclère 20e, Pescarolo 22e.
AUTO vélo
Après les essais, Auto Hebdo organise une course de vélos pour les pilotes. Un tour de circuit. Jacky Ickx fait honneur à son compatriote Eddy Merckx, et remporte la course.
Course
La parade des pilotes a lieu sur la nouvelle Porsche 924.
Chez McLaren, on a remarqué que les Good-Year neufs, s’ils sont trop sollicités ont tendance à voir leurs performances s’effondrer. Par contre les caractéristiques de leur mélange mou sont constantes une fois les pneus rodés. Hunt prend donc le départ avec des gommes usagées tandis que Lauda privilégie des pneus neufs.
Lauda s’envole et prend une seconde au tour à ses poursuivants. Mais au 9e tour, abandon sur casse moteur ( villebrequin). Hunt en tête est talonné par Regazzoni sur l’autre Ferrari. Jusqu’au 18e tour. Rupture moteur également sur la seconde Ferrari.
Suivent Depailler, Schekter, Peterson, Watson, Pace et Andretti. Peterson, remonté en 3e position sur sa fine March atteint une vitesse de 297 km/h dans la ligne droite du Mistral mais abandonne sur rupture du distributeur d’alimentation. Scheckter chute à la 6e place sur problème moteur.
Depailler est un beau second. Mais jamais il n’a pu inquiéter Hunt. Celui-ci a pourtant le coeur au bord des lèvres, intoxiqué par on ne sait quelle substance depuis le vendredi soir. La fin du Grand Prix lui parait bien longue. Que se serait-il passé si Depailler avait pu attaquer ? En soirée on apprend le déclassement de John Watson, 3e sur la Penske, pour dimensions non conformes de son aileron. Il sera rapidement rétabli à sa juste place.
Outre Depailler, second, les français finissent 12e, Jarier, 13e, Leclere, 14e, Laffite. Pescarolo a abandonné.
Tapis vert
Après le podium, la fête. On peut compter sur James que ce genre de perspective revigore sûrement. Long dîner à l’Hôtel de d’Ile-Rousse à Bandol. A l’aube du lundi, Teddy Mayer, le patron de McLaren et James Hunt embarquent dans l’avion de Colin Chapman. Cap sur Paris où va être jugé l’appel fait par l’écurie suite à son déclassement en Espagne. Chapman doit témoigner contre la sévérité du verdict. James Hunt est rétabli dans sa victoire. En 24heures, il augmente son capital de 18 points tandis que Lauda diminue le sien de 3 points. (En passant de la 1e à la 2nde place du Grand Prix d’Espagne).
A l’issue du Grand Prix de France, Lauda conserve largement la tête du championnat avec 52 points, Mais Hunt, revenu de nulle part, est second avec 26 points dont deux victoires, Depailler second ex aequo avec 26 points mais pas de victoire, Scheckter est 4e avec 24 points.
Lauda gagnera en Grande Bretagne mais ne marquera plus que 16 points jusqu’à la fin de la saison, du fait de son accident au Nurbürgring. Hunt en marquera 43 et remportera le championnat d’un point, au Japon, dans des conditions qui sont entrées dans l’histoire de la F1.
Notes
1 : Entretiens avec François Chevalier et livre « Circuit Paul Ricard – François Chevalier – Editions ETAI – 2004 »
2 : Livre « James Hunt – Pari gagné – Editions Solar – 1977 » – Fonds Johnny Rives
3 : Livre « Trajectoire » Jacques Laffite – Editions Solar – 1978
4 : Selon l’expression prêtée à Jean Marie Balestre, traduction littérale de « boire du petit lait », à laquelle les anglo- saxons n’ont strictement rien compris. Et pour cause.