Johnny Rives clôture avec les Grands Prix de France 1989 et 1990 son analyse des liens entre Alain Prost, quatre fois champion du monde et le Circuit Paul Ricard.
Il nous permet ainsi de boucler en beauté notre rétrospective entamée il y a un peu plus d’un an. Même si rien ne dit que de temps en temps, un sujet relatif à la grande ou à la petite histoire de « notre » circuit ne viendra compléter cette saga !
Nous en profitons, pour présenter nos meilleurs voeux aux lecteurs de Classic Courses : que 2019 vous apporte, ainsi qu’aux vôtres, santé, paix et accomplissements !
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GRAND PRIX DE FRANCE 1989
PROST DANS UN GRAND CHAMBARDEMENT
Nouveaux moteurs
La saison 1989 de Formule 1 a été, à plus d’un titre, celle des grands chambardements, tant au plan technique qu’humain. Tout d’abord ce fut, au plan règlementaire, l’interdiction des moteurs turbos qui régnaient sur le championnat du monde depuis 1983. Cela avait débuté avec le titre de Nelson Piquet sur sa Brabham-BMW turbo, après quoi avaient suivi les dominations des moteurs TAG-Porsche (1984, 1985 et 1986), puis Honda (1987, 1988). Après les avoir bridés de différentes façons pour limiter l’accroissement de leur puissance (consommation d’essence, pression de suralimentation), la FIA avait fini par les bannir. Désormais l’alimentation des moteurs de course devait donc être libre (pression atmosphérique), leur cylindrée ayant été fixée à 3,5 litres.
Ferrari en avait profité pour revenir à une architecture qui lui était chère : 12 cylindres en V. Honda, champion du monde avec des V6 turbos depuis trois saisons, s’était orienté vers des moteurs à 10 cylindres en V, tout comme Renault d’ailleurs. Après une éclipse de deux saisons, la firme française réapparaissait en Grand Prix comme fournisseur de moteurs. Le Renault V10 conçu par Bernard Dudot allait propulser les Williams.
Nouvelle boîte
Au plan technique, l’apport destiné à faire date était dû à l’ingénieur John Barnard (ex-McLaren) que Ferrari avait engagé en lui faisant la grâce – pour lui éviter un exil en Italie loin de son Angleterre natale – de construire à son intention une succursale à Guilford ! C’est là que Barnard avait conçu les toutes nouvelles Ferrari 6 40 dont l’originalité était de n’avoir plus de levier de changement de vitesses. Elles étaient munies d’une boîte semi-automatique à commande électro-magnétique au moyen de deux petites palettes placées derrière le volant. Solution permettant aux pilotes de ne jamais lâcher le volant. Toutes les équipes allaient la reprendre à leur compte. Elle est devenue universelle aujourd’hui.
La nouvelle Ferrari avait fait sensation en s’imposant avec Mansell assez miraculeusement à Jacarepagua (Rio de Janeiro) dès l’ouverture du championnat – alors que ses deux pilotes avaient été accablés d’ennuis incessants aux essais. Après quoi McLaren avait réussi à réinstaurer sa domination avec des doublés Senna-Prost à Imola et Monaco. Mais les difficultés n’étaient par écartées pour autant pour l’équipe dirigée par Ron Dennis, un schisme s’étant produit entre ses deux pilotes au cours du G.P. de Saint-Marin, Senna n’ayant pas respecté un mode d’affrontement dans le premier virage qu’il avait pourtant lui-même suggéré. Alain Prost lui en voulut durablement. La belle entente qui, malgré leur rivalité aiguë, les avait unis au cours de la saison 1988 était bel et bien révolue.
Quand les F1 débarquèrent au Camp du Castellet pour le Grand Prix prévu le 9 juillet, Ayrton Senna et Alain Prost comptaient le même nombre de points (27), Ayrton, avec trois victoires, marquant un léger avantage sur Alain (une victoire et trois 2e places).
Coup de théatre
On n’en avait pas fini pour autant avec les coups de théâtre. Lors d’une conférence de presse hâtivement organisée juste avant les premiers essais du vendredi, Alain Prost, avec Ron Dennis à côté de lui, annonçait sa décision de quitter l’équipe McLaren à la fin de la saison en cours. C’était la fin d’une histoire de six ans entre le Français et l’équipe britannique, ponctuée par deux titres mondiaux à cet instant, et bientôt trois…
Scindée en deux, car les pilotes se battaient froid, l’équipe McLaren n’en restait pas moins redoutable : à l’issue des qualifications du G.P. de France, elle monopolisait la première ligne de la grille de départ devant la Ferrari de Mansell et la Benetton de l’Italien Nannini. Mais pour une fois, la pole avait échappé à Senna. Prost avait réussi à se l’adjuger par la plus infime des marges : 25/1000 de seconde d’avance. Etant donné le contexte, c’était une grande satisfaction pour le Français à propos duquel Ron Dennis avait affirmé qu’il continuerait à être pleinement soutenu par son équipe jusqu’à la fin de la saison. Promesse qui fut tenue jusqu’à Monza, deux mois plus tard… quand Prost dévoila qu’il rejoindrait Ferrari l’année suivante !
Deux départs
Le G.P. de France 1989 donna lieu à deux départs, en raison du spectaculaire accident déclenché par le Brésilien Mauricio Gugelmin : sa March, en se faufilant dans le peloton, accrocha la Ferrari de Mansell et partit en tonneaux, semant la pagaille derrière elle. Drapeau rouge. Il fut une chance pour Patrese, dont la Williams-Renault avait été arrêtée par une panne électrique lors des tours de mise en place. Il put, pour le second départ, s’installer au volant du « mulet » Williams qui avait été préparé pour Boutsen. Berger également avait hérité du mulet de l’équipe Ferrari (préparé pour Mansell) suite à une fuite d’huile. Gugelmin, indemne, ayant pu lui aussi récupérer le mulet de March, les 26 F1 s’élancèrent lors du second départ – Mansell et Gugelmin ayant dû partir des stands faute d’avoir été prêts à temps.
Si lors du premier départ Senna avait pris l’avantage, tel ne fut pas le cas au second où une rupture de transmission le stoppa dés les premiers mètres. En abordant en tête le premier virage, Alain Prost n’avait déjà plus d’adversaire capable de l’inquiéter ! Concentré au maximum, il entama alors un cavalier seul qui le conduisit à la trente septième victoire de sa carrière.
Chasse
La chasse derrière lui fut d’abord menée par Berger (sur la Ferrari de réserve de Mansell) pendant 11 tours jusqu’à son abandon (boîte cassée). Puis ne fut Nannini jusqu’au 23e tour, puis Boutsen, et de nouveau Nannini qui fut arrêté par une suspension cassée juste à la mi-course. Les suivants à se mettre en évidence furent Capelli (du 41e au 43e tour), puis le débutant Jean Alesi qui avait été choisi par Ken Tyrrell pour remplacer Alboreto. Puis Patrese (sur le mulet de Boutsen) et enfin Mansell revenu du diable vauvert au volant de la Ferrari qui avait joué un mauvais tour à Berger lors des tours de chauffe. Et dont la fuite d’huile avait été efficacement enrayée.
Parti depuis les stands, Mansell avait été l’auteur d’une remontée lui ayant permis de pointer en 6e position à la mi-course quand Nannini avait abandonné. Poursuivant son effort, il put déborder la Williams de Boutsen avant de gagner une place supplémentaire quand Alesi s’arrêta pour ravitailler. Il lui restait à déborder Patrese, ce qu’il fit aux deux tiers de la distance (61e tour). Alain Prost étant hors de portée, il en resta là pour offrir à Ferrari son second bon résultat de la saison après l’incroyable victoire qu’il avait obtenue au Brésil.
Victoire
Alain Prost n’était pas le seul Français à avoir régalé le public du circuit Paul-Ricard : Jean Alesi, pour son tout premier Grand Prix, apportait une superbe 4e place à l’équipe Tyrrell qui l’adopta immédiatement ! Autre belle performance, la 6e place d’Olivier Grouillard qui apportait un point d’autant plus précieux qu’il était inattendu à l’équipe Ligier.
Sur le podium, Alain Prost pouvait sourire : sa victoire le plaçait sur orbite dans la conquête du titre de champion du monde 1989. A ses côtés Mansell et Patrese pouvaient eux aussi se montrer satisfaits – ils ne s’attendaient surement pas à un tel résultat quand ils avaient récupéré in extremis les F1 de leurs équipiers Berger et Boutsen pour le second départ du Grand Prix. Autre performance incroyable, ce jour là : le meilleur tour en course fut décroché par Mauricio Gugelmin. Ce jeune Brésilien était sans doute loin d’imaginer une telle issue lorsqu’il s’était extirpé de sa March en piteux état après le premier départ. Pour lui aussi, le « mulet » de son équipe avait été le bienvenu !
GRAND PRIX DE FRANCE 1990
PROST CONDUIT LA SCUDERIA !
Numéro 1
Fraîchement couronné à l’issue de la saison 1989, Alain Prost apporta avec lui le n°1 de champion du monde chez Ferrari pour la saison 1990. Nigel Mansell, son nouvel équipier, devrait se satisfaire du n°2… Et ce fut le cas à tous les sens du terme ! Techniquement la nouvelle Ferrari 641 était la jumelle de la 640 si brillante en 1989, les efforts principaux ayant été portés sur le développement du moteur V12. Au plan du châssis, le principal apport état constitué par la méticulosité avec laquelle Alain Prost en développait la mise au point, en collaboration notamment avec l’ingénieur Steve Nichols, lui aussi transfuge de McLaren où il était l’ingénieur de piste de… Senna.
L’extraordinaire victoire qu’Alain Prost venait de décrocher dans le G.P. du Mexique, peut-être la plus flatteuse de sa carrière, avait mis en valeur les qualités routières de la Ferrari 641 sur ce circuit exigeant au plan de la tenue de route. Treizième en début de course, Prost avait effectué une remontée irrésistible, avant de venir à bout, en fin de parcours, de Mansell, Berger et enfin Senna au prix d’affrontements spectaculaires.
Aérodynamique
Au plan technique, cette année là, précisons que le plus gros apport dû à la F1 (après la boîte de vitesses à commande électro-magnétique des Ferrari en 1989) fut d’ordre aérodynamique. Il était dû à l’ingénieur Jean-Claude Migeot qui innova vraiment en dessinant la Tyrrell 019 avec un nez haut, permettant une meilleure exploitation de l’air circulant sous le fond plat pour obtenir plus d’appui aérodynamique. Solution que toutes les autres équipes n’allaient pas tarder à adopter. Et toujours en vigueur aujourd’hui encore.
Le G.P. de France était la septième épreuve de la saison. Ayrton Senna (trois victoires) était en tête du championnat du monde avec 31 points, devant Prost (deux victoires) qui en totalisait 23 à égalité avec Gerhard Berger. Le public du circuit Paul-Ricard guettait impatiemment Alain bien sûr, dont la belle victoire de 1989 était encore dans les mémoires. Mais aussi Jean Alesi, brillant lui aussi un an plus tôt, et dont les spectaculaires progrès s’étaient exprimés en 1990 dès l’ouverture de la saison à Phoenix (où il avait rivalisé avec Senna pour la victoire), puis à Monaco où avec la nouvelle Tyrrell 019 il avait obtenu une nouvelle 2e place derrière Senna et devant Berger.
Qualifications
En qualification, les deux équipes reines firent la loi en s’emparant des quatre meilleures places de la grille, Mansell créant une certaine surprise là où le public espérait Prost : il s’adjugea la pole devant, autre surprise, Berger qui précédait Senna. Le tout avec des écarts très faibles, Alain Prost, 4e, n’ayant concédé que 78/100 à son équipier. Se mêlant aux Williams-Renault de Patrese et Boutsen, la Benetton de Nannini et, plus inattendue encore, la March-Leyton House de Capelli complétaient le haut de la grille. Tout ce beau monde resta groupé au cours du premier tiers de la course.
Mansell n’avait pas profité de sa pole position : Berger lui grilla la politesse au départ. Senna aussi le passa dès le second tour. Les McLaren dominaient donc la situation. Encore que le verbe dominer soit inapproprié : quoiqu’au commandement pendant 27 tours, Berger ne parvenait pas à lâcher ses poursuivants. On avait l’impression que Senna aurait pu soutenir une cadence plus élevée, mais il ne parvenait pas à le dépasser. Et ainsi de suite.
Si bien qu’après 20 tours, moins de 9 secondes séparaient le leader Berger d’Ivan Capelli, alors 9e sur la March turquoise de l’équipe Leyton House. Avec 10 secondes de retard sur son équipier, Mauricio Gugelmin emmenait le reste du peloton au volant de la seconde des March-Leyton House.
March Leyton House
La position ou, mieux encore, la cadence de ces deux F1 couleur turquoise était surprenante en ce sens qu’au Mexique elles n’avaient pas réussi à se qualifier ! Mais, sur le circuit Paul-Ricard au revêtement impeccable, elles affichaient, grâce à une garde au sol très faible, des aptitudes routières surprenantes – tout comme l’année précédente d’ailleurs, quand Gugelmin avait signé le meilleur tour en course.
Cette rapide procession initialement maîtrisée par Berger ne prit fin qu’avec les ravitaillements. Alain Prost fut le premier des favoris à visiter son stand. L’arrêt pour les roues et le carburant ne dura que 5 secondes, si bien que de sixième il ne recula qu’en 8e position… derrière Gulgelmin.
Les ravitaillements des McLaren furent catastrophiques (12’’ pour Berger, 16’’ pour Senna). Celui de Mansell ne fut guère meilleur (10’’). Tant et si bien que, après que chacun se fut astreint à cette halte, la course prit une tout autre physionomie : les March de Capelli et Gulgelmin étaient au commandement devant la Ferrari de Prost !
Une bonne raison à cela : la stratégie de l’équipe Leyton House était de faire toute la course avec le même train de pneus. Gugelmin, dont le retard sur Capelli restait stable (autour de huit secondes), résistait vaillamment à Prost, lui-même talonné par un pressant Nannini (Benetton). Les dépassements étaient rendus difficiles par les turbulences aérodynamiques.
Prost second ?
Prost réussit néanmoins à venir à bout de Gugelmin après une longue poursuite (54e tour), le jeune Brésilien se retirant quatre tours plus tard, moteur cassé. Les huit secondes le séparant du leader Capelli furent effacées par Prost en quelques tours. Si bien qu’au 61e passage la Ferrari était en mesure d’attaquer la March pour lui ravir la première place. Mais profitant de l’avantage que lui conféraient ses propres turbulences aérodynamiques qui gênaient Prost, Capelli résista vaillamment à la pression exercée sur lui par le favori du public français. D’autant plus qu’inexplicablement la Ferrari semblait nettement manquer de nerfs aux reprises. Cela empêchait Alain de se tenir aussi près qu’il l’aurait souhaité de son adversaire pour l’attaquer au freinage du raccordement après les stands, ou à l’entrée du double droite du Beausset.
« J’ai envisagé d’assurer la deuxième place, devait-il avouer après la course. Mais la tentation de gagner était trop grande ! »
La centième de Ferrari
Pendant de nombreux tours, le Français médita une ruse. Il ne restait plus que quatre des 80 tours à parcourir quand il fit mine d’une première attaque. Freinant complètement à l’extérieur à l’entrée du Beausset, il fit mine d’attaquer Capelli de cette façon. Pour, au tour suivant (le 78e !), l’attaquer à l’intérieur au même endroit. Et s’imposer enfin, imparablement. Dès lors, il vola littéralement jusqu’à l’arrivée, pour la franchir avec 8 secondes et demie d’avance sur Capelli, et plus de onze sur Senna. C’était sa 42e victoire en Grand Prix. Et la centième de Ferrari, tout un symbole ! Le public était enchanté.
Ivan Capelli accepta sa défaite avec bonne humeur, tant il était conscient d’avoir réussi l’impossible avec sa March au modeste moteur Judd. D’ailleurs les « tifosi » ne s’y trompèrent point qui scandèrent au pied du podium une supplique pour que Ferrari l’engage dès l’année suivante.