Chris Amon par lui-même 2/3
(Chris Amon in his own words)
La publication de la 1ère partie de cet entretien a été l’occasion, pour moi, de vous présenter le journaliste Peter Windsor. Il faut maintenant revenir un peu sur certains aspects de ce témoignage de Chris Amon.
Incontestablement, la première partie a montré l’importance du châssis dans la performance d’une voiture, surtout à une époque où les concurrents étaient sur un pied d’égalité avec les pneus puisque Dunlop était le seul manufacturier (du moins jusqu’en 1965). On prend ainsi conscience de l’énorme avantage dont a bénéficié Jim Clark par rapport à ses concurrents avec la Lotus 25 à partir de 1962. Il fallut deux à trois années pour que ceux-ci comblent progressivement ce handicap. Sans la malchance qui l’accabla, Jim Clark aurait pu être champion du Monde quatre fois de suite de 1962 à 1965, alors qu’il ne le fut que deux fois. Cette première partie a aussi montré l’importance du style de pilotage, et donc les réglages qui en résultaient. Ce fut incontestablement un âge d’or pour les pilotes de cette époque : une fois que l’ingénieur avait conçu la voiture, avec ses qualités et ses défauts, c’était le pilote qui « prenait la main ». Les choses ont bien changé de nos jours.
Lors de cette deuxième partie, Chris Amon revient longuement sur les circonstances de l’arrivée des 24 heures du Mans de 1966. Ce qui est un utile complément au texte que j’ai écrit récemment sur le sujet (« Le chagrin de Ken Miles »). Tout au long de l’entretien, le malaise est palpable. La dernière phrase de Chris Amon est très significative : « personne ne nous a fait savoir chez Ford que ne n’était pas les bonnes personnes qui avaient gagné »). Chris Amon livre sa propre version : il ne conteste pas que Ken Miles et Denny Hulme étaient en tête à la fin de la course, mais il conteste la façon dont ils y étaient parvenus, de façon subreptice, Ken Miles ne respectant pas les consignes de course indiquant qu’il fallait ralentir.
Je connaissais cette version, et j’ai fait quelques recherches pour essayer d’y voir plus clair. Ce qui est très difficile, tant il y a de versions contradictoires en circulation. Mais il y a un certain nombre de choses avérées, grâce notamment aux informations fournies dans le livre écrit par les journalistes Christian Moity, Jean-Marc Teissèdre et Alain Bienvenu : Les 24 Heures du Mans 1923-1992, (éditions J.P. Barthélémy).
La voiture de Miles-Hulme avait été en tête pendant une bonne partie de la nuit jusqu’à ce qu’elle s’arrête au petit matin pour opérer un changement de plaquettes de frein. Un arrêt catastrophique puisqu’il leur fallut s’arrêter une seconde fois car le jeu de plaquettes ne fonctionnait pas bien. Ils perdirent un temps considérable et l’équipage Gurney
-Grant prit alors la tête de la course, devant Amon-McLaren (14ème heure de course, soit 6 heures du matin).
La voiture de Gurney-Grant abandonna à la 18ème heure (10 heures du matin), laissant l’équipage McLaren-Amon en tête assez largement devant l’équipage Miles-Hulme. A ce moment, la consigne de ralentir avait déjà été donnée aux pilotes.
En début d’après-midi (vers 13 heures) l’équipe Shelby, inquiète de l’état des freins de la voiture de tête, décida de changer les plaquettes de freins avant. Ce qui permit à Miles et Hulme de reprendre la tête de la course.
Je pense que c’est ainsi que les choses se sont passées. C’est donc un fait de course qui a mis en tête l’équipage Miles-Hulme, et non une sorte de tricherie. Mais à partir de là, les partisans de McLaren et Amon ont développé une « conspiration theory » : l’équipe Shelby, qui voulait faire gagner Ken Miles (qui était le pilote-maison), a opéré ce changement pour retarder l’équipage McLaren-Amon (source : témoignage de Duncan Fox, qui a eu accès au courrier privé de Bruce McLaren, sur TNF-AutoSport, 2007). Je dois dire que cette version me laisse un peu perplexe : comment admettre qu’un équipage aussi expérimenté que McLaren et Amon ait accepté qu’on change les plaquettes de freins s’ils ne le jugeaient pas nécessaire, alors même que la victoire était en jeu et qu’ils étaient en tête de la course ? J’ai plutôt l’impression qu’il s’agissait d’un changement nécessaire, et programmé déjà longtemps à l’avance.
Mais finalement, la thèse développée ici par Chris Amon est peut-être assez proche de la vérité : il est parfaitement possible que Ken Miles, sachant que la GT40 de McLaren-Amon avait un arrêt programmé pour le changement des plaquettes de frein, n’ait pas respecté autant que McLaren les consignes de ralentissement, et qu’il se soit rapproché progressivement de la voiture de tête. Ne se doutant de rien, McLaren et Amon ont procédé au changement de plaquettes de frein en pensant que leur avance leur permettait de le faire. Ce qui ne fut pas le cas.
Evidemment, tout ceci peut vous paraître extrêmement anecdotique. Mais il faut bien savoir qu’on ne plaisantait pas avec une victoire aux 24 Heures du Mans en ce temps-là. C’était la plus grande course du monde. On comprend que Chris Amon veuille réaffirmer, presque cinquante ans plus tard, la légitimité de sa victoire avec Bruce McLaren.
René Fiévet
Illustrations © DR