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Après Port-Marly il longe la Seine, prend la D 321 qui grimpe vers Versailles. La nuit est tombée, la chaussée luisante de pluie. Patrick Baussan n’en a cure. Son pied est lourd, son compte-tours peine à suivre. Sanglé sur le baquet de droite je suis partagé entre plaisir et peur tandis que le décor forestier de la D 446 se brouille en un filé inquiétant.
Nous revenons de chez Pierre Chrétien. Après-midi diapos. Photos des 24 heures du Mans, Pesca et Larrousse échoués sur la Matra 670 naviguant sur une mer humaine, façon Radeau de la Méduse. Bois de l’homme mort, bois du chat noir, la Simca Rallye 2 file comme sur les Hunaudières sauf que Baussan n’est pas Pescarolo, ses nerfs sont en chewing-gum.
Il fond sur la patte d’oie qui sépare les directions de Bièvres et Saclay, hésite à environ 160 à l’heure, opte à la dernière seconde pour Saclay, l’auto part en toupie, un tour, deux tours, trois tours. L’univers stable et sûr dans lequel je me meus depuis un quart de siècle part lui aussi en sucette. Ainsi c’est ça la mort. Dans un silence impressionnant car aucun de nous ne pipe mot, la Rallye 2 s’éteint, moteur et phares, meurt sur un obstacle mou. Un talus entre deux arbres. Ce n’est pas encore notre jour.
C’est par contre celui des Israéliens, envahis ce matin par les armées de Sadate et Hassad, le jour du Yom Kippour. Le petit Blaupunkt crachotait avant de s’éteindre les échos de cette guerre nouvelle qui installait une drôle d’impression en nous. Aurions-nous pu deviner qu’elle marquait la fin de l’innocence, les prémices de la prise de conscience, par effet indirect, de la rareté des énergies fossiles, le début de la fin d’un monde de richesse, d’opulence que nous supposions éternel ?
La Rallye 2 repart, intacte. Mon beau-père m’ouvre la porte, à Villebon. Maison chaude où la guerre n’a pas pénétré. Sur le ton de celui qui annonce des côtes de porc au dîner, il dit qu’au fait Cevert est mort, avant de retourner classer ses papiers.
Image © Archives Monsieur Lafilé