« Il allait vite l’animal, je pense qu’il a toujours le record de vitesse dans la courbe de Signes. Mais il pétait les plombs de temps en temps, il « sur-conduisait ». Je me rappelle en Autriche en 85, quand il s’était envolé avec la Ligier, il avait fait un double-salto arrière, et rentré aux boxes, il m’avait dit : « J’ai fait oune tête-à-quou ». Je ne sais même pas s’il s’était rendu compte de la figure ! C’était un mec entier, gros cœur, doué, fou de sport, il voulait juste « y aller ». Un peu trop. Moi, je l’aimais bien De Cesaris ». Gérard Ducarouge décrivait ainsi en 2001 pour Automobile Historique celui qui vient de faire une ultime figure avec sa moto sur un boulevard de Rome, sa ville natale.
Pierre Ménard
S’il ne s’était pas terminé de façon aussi tragique, cet énième « tête-à-quou » d’Andrea aurait pu faire sourire. De Cesaris, le seul pilote qui ait réussi à faire sortir Guy Ligier de ses gonds à force de lui bousiller des bagnoles ! Il faut dire qu’il était passé maître dans l’art de la cabriole, l’Italien au sourire désarmant. Certains pensaient d’ailleurs qu’il ne devait sa place en F1 qu’aux hautes fonctions de son papa chez Marlboro. Pas faux, mais trop restrictif. Andrea avait fait de bonnes classes dans les catégories inférieures et beaucoup dans la péninsule italienne voyaient en lui un surdoué du volant. Il avait grimpé rapidement les échelons menant vers la Formule 1 et s’était retrouvé à 21 ans dans le baquet d’une Alfa Romeo, pour très vite être engagé dans la nouvelle écurie McLaren récemment reprise par Ron Dennis. C’était en 1981 et l’ingénieur John Barnard amenait le concept révolutionnaire de la coque intégralement construite en carbone. L’argument était double : légèreté ET solidité. Sur ce dernier point, Barnard fut rassuré par les performances de De Cesaris.
Le Romain va lui plier 18 châssis dans les rails de sécurité tout au long de l’année ! Une sorte de record. Inutile de préciser que son contrat ne sera pas renouvelé en fin de saison. C’était ça, De Cesaris : un pilote doué, mais ne maîtrisant pas totalement la situation. De l’avis de tous un « gentil garçon », mais certainement trop émotif pour gérer de façon sereine et sécure le pilotage d’une F1. Lorsqu’il réalisa la seule pole-position de sa carrière, à Long Beach en 1982 sur Alfa Romeo, il en fut tellement abasourdi qu’en revenant à son stand après la traditionnelle conférence de presse, il éclata en sanglot devant tous ces gens qui l’entouraient et tenaient à le féliciter !
Andrea eut une carrière longue en Formule 1 – 13 saisons – et faisait partie du club restreint des pilotes ayant disputé plus de 200 Grands Prix, 208 exactement. Mais il était l’unique représentant de cet aéropage à ne jamais en avoir remporté un seul ! Sa valeur intrinsèque n’était pour autant pas feinte. S’il réussit à toujours trouver un volant grâce – il est vrai – à l’appui paternel, il prouva en quelques occasions qu’il était digne de confiance. Comme en amenant la modeste Dallara-Ford sur le podium de Montréal en 1989 sur une piste détrempée et piégeuse à souhait. Ou en 1991 en réussissant à terminer à trois reprises dans les points au volant de la toute nouvelle Jordan et à démontrer que son talent était toujours intact, justifiant par là sa présence en Formule 1 aux yeux de ceux qui soupiraient qu’elle n’était due une fois encore qu’à l’écusson Marlboro cousu sur sa combinaison. Mais c’est vrai, bien trop souvent Andrea de Cesaris donna raison à ses détracteurs par ses loopings hors-piste.
Sa période la plus enthousiasmante fut certainement celle de 1982-83, chez Alfa Romeo. Il ne fut pas toujours à l’arrivée, mais se montra par contre souvent brillant aux avant-postes de la bagarre. A Spa en 1983, il réussit un départ canon depuis la deuxième ligne et prit la tête d’autorité devant Prost et Tambay durant 18 tours avant que son V6 turbo ne le trahisse. Et à Long Beach en 1982, il mena de la même manière devant le revenant Lauda, qui utilisa toute son expérience de vieux renard pour coller une pression de plus en plus pénible au fébrile De Cesaris. La tactique recherchée aboutit au bout de 11 tours : Andrea fit un écart et Niki s’infiltra pour prendre le large. Décontenancé, l’Italien réussit à se maintenir deuxième pendant quelques tours avant que d’être perturbé par la vision d’une fumée suspecte à l’arrière de sa voiture, et d’en perdre immédiatement le contrôle pour finir… dans les barrières de sécurité.
Légendes photos : 1- Andrea de Cesaris © DR 2- Chez Jordan en 1991 © Chronosports Ed. 3- Long Beach 1982 sur Alfa Romeo © DR