Jean Papon évoque le livre « Porsche 917- 21 – The fabulous story » de Jacques Breuer. S’agissant d’une résurrection, son enthousiasme l’a poussé à parler , dans son style bien particulier, à la place de la miraculée… Nous le suivons bien volontiers dans cette aventure non dépourvue d’ésotérisme…
Je suis née en 1969 à Zuffenhausen avec le numéro de châssis 012. Je suis l’une des 25 voitures construites en vue de l’homologation groupe 5. La production totale a été de 65 exemplaires : une famille nombreuse !
Mon papa, Ferdinand Piëch, fut élevé à la dure par Grand-Mère Louise (Porsche). Je pense que cette stricte éducation lui a forgé le fort caractère que nous lui connaissons !
Très récemment, lors du feuilleton VW v/s Porsche – le Dallas germanique – j’ai pu constater qu’il avait encore du répondant le père ! Ceci pour la petite histoire.
Mais je m’égare. Revenons à ma naissance. L’équipe de mon papa mettra seulement neuf mois à me faire passer de ses rêves à la réalité.
Mes premiers tours de roues furent un peu délicats. Mon instabilité du début faisant peur aux pilotes de la marque. Ils refusèrent de me conduire sur le circuit du Nurburgring préférant mes petites cousines les 908, bien moins puissantes pourtant.
L’usine trouva donc quelque Anglais ou Australien un peu fou, comme David Piper ou Frank Gardner, pour nous engager sur le Ring en juin 1969 – chassis n°4 – et finir 8e.
La première victoire d’une 917 arriva en août 1969 avec la victoire de Jo Siffert et de Kurt Ahrens lors des 1.000 kilomètres en Autriche. Deux titres constructeurs s’ensuivirent en 1970 et 1971.
Il faut dire aussi que j’ai reçu un superbe moteur V12 à 180° de 4494 cc et quelques 520 ch dans sa première version. Oeuvre de Hans Metzger. Inspirée d’une étude moteur faite pour… les chars de l’armée allemande ! Il y eut aussi pour le CanAm une version suralimentée de 1400 cv…
Mais revenons à moi. De toute la famille 917, je suis peut-être celle dont la vie a été la plus dissolue.
J’ai changé de longueur de robe. Au début j’avais une robe longue, puis on me l’a raccourcie. Je me préfère comme cela. J’ai aussi changé de couleur de maquillage pour plaire a mes nombreux fiancés
En 1970 j’en ai eu deux ; A.A.W Racing, un Finlandais. Couleurs Shell, jaune et rouge puis modification pour blanche et jaune. Puis MARTINI Racing, un Italien celui là. Je les ai gardées un peu plus longtemps. Et enfin un nouveau look psychédélique : mauve et vert.
La même année sous la pluie lors des 24 Heures du Mans avec David Piper, nous sommes sortis de la piste. Après réparation de fortune nous avons repris la course avec G. Van Lennep. Jusqu’à l’éclatement d’un pneu…Châssis faussé, ce sera l’abandon.
Retour Outre-Rhin où je fus reconstruite sous l’appellation 021. Et, je me suis retrouvée dans les mains de Manfred Freisinger.
Ensuite j’ai fait la connaissance d’un compatriote, Herr Joachim Grossman, menuisier de son état. Je m’en souviens bien car il a eu « le culot » de me transformer en citadine toute blanche ; vous vous rendez compte ! Moi, la championne, au milieu des Coccinelles, et autres bagnoles de ce genre…
Mais, ce n’est pas fini. Après ce triste épisode j’ai encore connu d’autres types : le collectionneur Américain Don Marsh avec lequel je retrouvai mes couleurs mauve et vert psychédéliques, mais pas conformes à l’ origine. Un champion US de l’Indy Car : Bobby Rahal. Puis le Danois Juan Barazi.
Et disons le, plus jeune je suis sortie avec pas mal de garçons. Quelques noms me reviennent à l’esprit ; Hans Laine, Toivonen-père, Axelsson, Kurt Ahrens. Un Français talentueux : Gérard Larrousse. Et mes grandes amours, mon Jo Siffert (021) et le Pédro Rodriguez (012). Vous savez je pense souvent a eux, ils me manquent. Beaucoup. A vous aussi, je suppose ?
Et puis en 2007 j’ai eu le coup de foudre pour un gentil Belge. Il m’offrit un lifting complet, quelques soins esthétiques et surtout une très grosse opération chirurgicale : la reconstuction de mon squelette. Regardez mon fin châssis avant sa reconstruction. Toutes les fractures et déformations de mes os sont repérées avec un adhésif bleu, il y en a beaucoup !
J’ai roulé dans cet état… J’espère que mon fiancé de l’époque ignorait à quel point j’étais malade. Mon squelette est noyé dans ma carrosserie donc invisible. Mes soeurs et moi étions d’ailleurs équipées d’un manomêtre. Notre frèle chassis de tubes était sous pression. La moindre chute de celle-ci révélait l’apparition d’un crique ou d’une rupture de soudure. Astucieux et sécurisant , non ?
L’équipe MECauto a fait du bon … Ach ! En Français ? Oui, c’est ça… du bon boulot !
En guise de voyage de noces, mon époux m’emmena faire un galop d’essai presque à domicile, sur le plus beau, le plus agréable circuit du monde : Spa. Il ne pouvait pas mieux choisir. Il est vrai que les humaines préfèrent Venise. Ce n’est qu’une question de goût. Mais qu’est-ce que j’irai faire à Venise ? Je ne suis pas amphibie !
C’est avec une grande joie que je suis revenue en France, au Mans Classic 2012. Je n’ai pas beaucoup bronzé durant ce long week-end de fête. J’ai même connu quelques misères : une rupture du porte-moyeu arrière droit, lors des essais du vendredi. L’équipe en a fait venir un d’Outre-Quiévrain. Et le samedi nous nous sommes bien amusés Vincent et moi. Malgré les ondées. Hélas Dimanche j’ai pris quelques bosses et c’est une aïeule 906 qui m’a sortie de la piste.
Ach du schiste !
Tout au long de cette grande fête de l’automobile j’ai reçue beaucoup de visites, dont toute la bande de Barcelone. Le fan club de Vincent. Ils étaient venus pour voir si le Vincent allait me faire ressortir du raccordement, ou du Dunlop, en glisse, comme il le fait avec la Ferrari 250 SW. Sa « vieille copine d’enfance ». Enfin , copine, c’‘est-ce qu‘il veut me faire croire ! Pour ma part je les trouve un peu trop complices… mais bon…je suis une voiture libérée !
Pas de chance pour le Fan’s club ; nous avons bien roulé, sans fantaisie, fait de bons chronos. Bien sûr le type qui écrit des petites notes sur ce site est venu me voir. Toujours à tourner autour de moi. A me dire que j’ai le plus beau train arrière du monde. Que je suis belle avec ma robe courte. Qu’il rêve de moi. Et j‘en passe…C’est bien le genre de Français contre lequel mes sœurs m’ont mise en garde. C’est d’autant plus vrai qu’il a été surpris il y a deux ans ici même, disant les mêmes choses à une Ferrari P4. Entre moi et cette Italienne, il doit choisir !…Ach
Je lui ai conseillé d’aller faire pénitence et de réfléchir, pas très loin de mon nouveau domicile, à l’Abbaye de Maredsous…quoi ? …Ce n’est peut-être pas une très bonne idée…?
Salutations sportives signées : 917 / 021
PS :
La Porsche 917, fut élue voiture de compétition du siècle par la revue Anglaise « Motor Sport ».
1971 : la fin d’une grande époque, celle des protos 5 litres. Pédro Rodriguez et Jo Siffert rejoignirent le paradis des grands.
Ferry Porsche vira son beau-frère Ferdinand Piëch, sous le prétexte qu’il dépensait trop d’argent.
Il prendra sa revanche … quelques décennies plus tard.
Lâchée par Porsche, l’écurie de John Wyer doucement périclita.
J’ai bien aimé, au Mans Classic, la réflexion d’Emmanuel Collard (18 participations aux 24 Heures) au sortir de la Porsche 935 Moby Dick : « Ils avaient des bras les anciens ! » Et moi d’ajouter : Die Eier aussi !
REMERCIEMENTS :
Vincent Gaye, pour sa gentillesse.
MECauto, pour leur travail d’artiste.
Jacques Breuer, pour ses photos et son travail de recherches sur moi 917/021.
J’ai pu voir la maquette du magnifique livre et les belles photos que Jacques a écrit sur ma vie.
Livre à paraître en France en Octobre 2012.
A l’Abbaye de Maredsous (Belgique) pour ses blondes, sa brune, et ses tartines.
Le site : www.917-021.com
Au fait, entre la 917 et la P4, je n’ai toujours pas choisi ; elles sont trop belles !
Jean Papon
Crédit photos :
Photos @ Jacques Breuer
Sauf précision contraire.