Récemment, nous déjeunions à Toulon avec Lysiane et Johnny Rives, ainsi qu’avec le photographe Bernard Asset, leur voisin et ami. Ces moments étaient conviviaux et très agréables, un peu tristes cependant : nous avions appris le matin-même le décès de Niki Lauda. Et là, à table, ça m’est revenu d’un coup. Quand, en juin 1979, Lauda avait brutalement quitté la F1 et l’écurie Brabham, Johnny avait immédiatement écrit dans l’Equipe un article ainsi titré : « Le funambule pris de vertige. » Papier époustouflant : informatif, sensible, unique. Les mots de Rives ont toujours fait mouche.
Texte Eric Bhat – Photos Bernard Asset
Avec Lysiane et Johnny Rives, nous sommes toujours amis. Lysiane m’a surnommé « le docteur fourchette » : passionné d’ayurvéda et de réflexologie, je lui ai fait une démonstration avec une fourchette (le bon bout, rassurez-vous ) ! Cette anecdote m’a valu un sobriquet à vie. Et provoque entre nous de fameux fous-rire.
Ce n’est pas rien de bosser tout près de Johnny Rives. Je vous l’assure, on ne fait pas le fanfaron. Un jour – était-ce la présentation de la F 40 ? – nous étions chez Ferrari à Modène, pour interviewer Enzo Ferrari. Quand je dis nous, je cite de mémoire Johnny Rives, Gérard Flocon dit Djou-Djou de l’Automobile Magazine, Thierry Bovy de l’agence photo DPPI, et moi. J’imagine que je devais cette bonne fortune à l’édition italienne de Grand Prix International, ma gazette d’alors. Ayant abandonné mes culottes courtes depuis pas si longtemps, j’avais un trac abyssal.
L’entretien a duré une petite heure. M. Ferrari nous a offert à chacun une cravate estampillée Ferrari, c’était un rituel. Puis Johnny a pris en italien les commandes de l’interview. Je me souviens n’avoir posé aucune question. J’ai fait la plante verte : je regardais obstinément mes chaussures, tandis que Johnny enchainait les questions et que visiblement, au-delà des cravates, c’était surtout à lui que le Commendatore répondait. En plus je ne comprenais rien aux réponses. Là, j’ai senti que j’avais du chemin à faire.
Johnny Rives, c’est son honneur, sa caractéristique et sa marque de fabrique, aime raconter les histoires extraordinaires dont il est le témoin. Mieux encore, il en façonne de fabuleuses épopées.
La terre entière s’arrachait sa plume et se l’arrache encore, mais il est resté fidèle à L’Equipe jusqu’à l’heure de prendre sa retraite. Il signait tout de même quelques piges ici et là dans la presse, et rédigeait de jolis bouquins : une trentaine à ce jour. Il a consacré l’un d’eux à sa guerre d’Algérie. Un souvenir abominable. Il a recommencé à sourire grâce au sport automobile – et grâce à Lysiane.
Aujourd’hui encore, il écrit les textes de magnifiques anthologies annuelles, que Richard Mille publie à partir des archives de DPPI – « Ce sont surtout des livres de belles images. C’est beaucoup dire que je les écris » minimise notre plumitif.
Johnny Rives si présent dans le sport automobile
Johnny Rives n’est pas seulement un journaliste de première bourre. Il a été de surcroit impliqué dans un nombre incalculable d’aventures en sport automobile. Remarquable pilote, il a gagné avec Greder le Marathon de la route 1965, sur le grand Nürburgring ; couru une saison entière en Formule France (1969) ; et copiloté les plus grands pilotes dans les rallyes les plus difficiles, y-compris dans ce célèbre rallye ivoirien où il n’y eut aucun arrivant, tant la barre était placée haut – la Chrysler 180 qu’il partageait avec Pescarolo était en morceaux au bout de 400 km, alors que l’épreuve en comportait quelque chose comme 4000.
Paul Ricard
Plus encore, comment dire, c’est son immersion totale dans les arcanes du sport automobile qui était magique. Quand Paul Ricard s’est mis dans la tête de créer le circuit le plus sûr du monde, qui a-t-il consulté avant même le premier coup de pioche ? Beltoise, Paoli, Jabouille, Mazet et… Johnny Rives. Quand Matra a posé deux fantastiques protos du Mans sur les routes du Tour France, qui retrouvait-ton aux côtés de Pesca ? Johnny Rives.
Tour Auto
Second en 1970, Johnny gagnera en 1971, associé à Gérard Larrousse. Quand Ligier a décidé de lancer une équipe en F1, qui est-ce qui était présent à la toute première réunion scellant le projet ? Beltoise, Pescarolo, Gérard Ducarouge, Stéphane Collaro (la puissance de la télé) et… Johnny Rives encore lui : il ne s’agissait rien moins que de convaincre Matra de fournir le moteur, et Gitanes d’être le sponsor majoritaire de l’affaire.
Quand les circonstances devenaient plus pesantes, il était là aussi. Les potes de Beltoise se raréfiaient, en Argentine, après l’horrible accident qui coûta la vie à Giunti. Qui retrouvait-on dans le carré de réconfort auprès de Jean-Pierre ? Le grand Fangio lui-même, Pescarolo, Jabouille, Ronnie Peterson et Johnny Rives, toujours lui !
Pas Johnny
Emouvant de retrouver aux premières loges le Monsieur que je lisais dans l’Equipe avant de filer en cours. Pour un fanatique de sport automobile, c’était très sympa de dévorer tout ça dans le journal. On vivait au jour le jour au contact des idoles.
Encore ado à Pau, j’ai bientôt gribouillé dans les journaux locaux. Chaque année le circuit dans la cité déclenchait ma jubilation. Je trainais indéfiniment dans le paddock, et tournoyait comme une mouche autour de mes héros. Avec le recul, le crois que mes interlocuteurs me trouvaient collant comme le sparadrap aux doigts du capitaine Haddock. Pas Johnny.
Courte échelle vers la grande vie
En m’aiguillant vers Etienne Moity et Scratch (qui devint Auto-hebdo) il a conditionné quarante années de ma vie professionnelle. Cette courte échelle décisive m’a entrainé dans un flirt enfiévré avec l’encre et le papier. Il n’y avait pas que les journaux. Lorsque, gascon morveux, je suis « monté à la capitale », les Rives m’ont ouvert leur porte bien amicalement, lasagnes d’enfer et grande ambiance à l’appui. Jean-Marc Andrié et Bernard Asset partageaient ces agapes. Nous étions les rois du monde.
Cette bienveillance confraternelle, je ne suis pas le seul à l’avoir connue. Johnny est un excellent camarade. Combien de journalistes a-t-il accueillis au bord des pistes de F1, leur facilitant les contacts avec les pilotes, refilant des tuyaux, répondant à toutes les questions. Vraiment toutes ? Il n’était pas forcément un saint et deux têtes l’importunaient puissamment, mais nous abordons là le domaine privé et ceci ne nous regarde pas.
« Conteur » de vitesse
Johnny est un incomparable conteur de vitesse, je ne sais pas à qui j’ai piqué cette image mais je l’adore. Au vernissage à Toulon de l’exposition des photos cubaines de Bernard Asset, en mai 2017, Johnny a improvisé un passionnant discours, racontant au public le kidnapping du grand Fangio à Cuba en février 1958. Un récit haletant, précis, documenté, formidablement vivant en somme. La salle a beaucoup applaudi, subjuguée.
Il met un tel cœur à rédiger ses papiers ! Il a toujours un matos d’enfer, des informations du tonnerre, une intuition sans pareille. Il n’a jamais traqué le scoop, mais il en a tant dévoilés. Pour autant il n’a jamais trahi personne. La frontière est très nette. S’il a promis la discrétion, il sait tenir sa parole. C’est ainsi qu’il a gagné – et conservé – la confiance de tous.
Le cadeau de Senna à Johnny Rives
Senna, finalement, faisait partie du lot. La proximité supposée de Johnny avec Prost avait d’abord refroidi l’estime que portait le pilote brésilien au journaliste. Une paix des braves les réunit bientôt. Une fin d’après-midi, alors qu’Ayrton visitait officiellement les locaux de L’Equipe, il fut question d’un diner pour honorer cet hôte de prestige. « Je ne resterai pas » a précisé Johnny après leur interview, « c’est mon anniversaire, je vais le fêter avec ma femme et mes filles ».
Devant la rédaction ébahie, Ayrton a souri : « Yes, I know ! » Il a sorti de sa veste un paquet cadeau (contenant un précieux porte-clef à l’effigie du champion) et l’a offert à Johnny. Sympa, non ? Dans ce milieu égotique, fêter les anniversaires des copains n’est pas chose courante… Johnny, bien entendu, conserve ce trophée précieusement. Comme il conserve également une superbe édition de Piloti, che gente, que l’auteur, Enzo ferrai, lui a dédicacée en novembre 1987, neuf mois avant de disparaître.
Tour par tour
Bien avant les développements de l’informatique – et bien après – les « tour par tours » de Johnny (ses notes pendant les courses) restent les plus aboutis du monde et devraient figurer dans toutes les écoles de journalisme. Aussi loin que je remonte, je n’ai pas vu mieux.
Ils étaient toujours écrits au crayon. Au bord des circuits, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, la page restait intacte, fût-elle mouillée. Moi, avant de l’imiter, j’étais bien embêté à la moindre averse : mon carnet devenait illisible. Bien entendu, la mine d’un fidèle crayon s’use. Johnny le pro avait toujours un taille-crayon à portée de main.
Il ne se déplace plus vers les circuits. Pas même quand le GP de France est disputé à sa porte, sur ce circuit Paul-Ricard qu’il a contribué à enfanter. « GP de France ou pas, dit Johnny, je ne vais plus tomber là-dedans, j’ai tiré un trait. » C’est dans son salon, à Toulon, en regardant Canal Plus, qu’il scrute en direct chaque Grand Prix, un grand cahier ouvert devant lui, bien vite noirci d’infos ! On n’entend pas une mouche voler tant il est concentré. Sans doute lisez-vous régulièrement ses commentaires sur Classic Courses 24 heures après chaque Grand Prix. Sinon je vous y incite fort.
La passion cinéma
Je ne vous dirai pas l’âge de Johnny et ce n’est pas une étourderie. Lysiane, peintre de talent, veille sur son grand homme et partage sa passion. Leur bonheur est immense quand ils retrouvent leur progéniture. La petite famille est fort impliquée dans le cinéma : Nina, la cadette, bosse comme assistante-réalisatrice. Elle a rencontré puis épousé le cinéaste Hugo Gélin.
Je vais vous livrer un secret qui n’en est pas un : si vous ouvrez bien l’œil, Johnny et Lysiane apparaissent fidèlement parmi les acteurs figurants des films de leur gendre. Quand on le sait, on les guette, et c’est un bonheur de les retrouver sur les écrans.