La chronique de Patrice Vatan du 11-12-2019
La DS qui emmène Simon Duroc à Orly va doubler une grosse Mercedes 600 où rêve à l’arrière Sarah. Ces deux-là vont se retrouver par hasard dans le même avion pour JKF. Claude Lelouch a confié comme d’habitude son scénario au hasard.
Charlot descend de la DS, donne sa valise à Duroc. Il y a toujours un gars nommé Simon Duroc dans les Films 13 et il y a toujours Charlot, Charles Gérard, l’ami de toujours, moins un comédien qu’un type pour qui jouer est aussi naturel que vivre.
Et il y a toujours moi.
« Toute une vie » est sorti hier. Une panne de courant providentiellement survenue ce matin à la Documentation française m’a permis de le voir cet après-midi car Robert Taulet, notre chef d’atelier, nous a donné quartier libre.
« Et maintenant que vais-je faire » lancine Gilbert Bécaud sur l’écran géant du Normandie. Sûrement pas attendre l’an 2000 pour vivre, pas attendre que l’air soit si pollué que, comme l’envisage Toute une vie, la procréation soit réglementée.
Pis, 19 ans après, le réel serait devenu tellement invivable qu’on proposerait à un nommé Auteuil – pour l’heure rien qu’un quartier de Paris -, de revivre la date de son choix dans un film appelé « La belle époque ». Il optera pour le 16 mai 1974.
La belle époque c’est ici et maintenant mais je ne le sais pas. Le soleil neuf de ce printemps de rêve me plisse les yeux au sortir du perron tendu de bleu nuit du Normandie, la superbe salle du haut des Champs.
Le nez sur la une de « L’Equipe » qu’un passager face à moi a déployé dans le 72, chopé à la volée devant le placage de bois qui sert de devanture au Drugstore Publicis qui a brûlé il y a un peu moins de deux ans.
On y a collé l’affiche d’une pièce d’André Pieyre de Mandiargues au théâtre d’Orsay, juste à côté de la Doc, qui ne serait transformé en musée que dans 12 ans.
Un entrefilet que j’arrive à peine à déchiffrer stagne au bas du quotidien sportif de ce jeudi 16 mai 1974. Niki Lauda crève le mur des 7 minutes au Nürburgring sur sa Ferrari 312 B3, lors d’essais privés. À l’image de la Mercedes 600 glissant sur l’autoroute du sud chez Lelouch s’en superpose une autre, faite des deux 600 de Beltoise et Cevert jouant au petit train à 200 à l’heure vers le Paul-Ricard. Back to reality.
Mitterrand et Giscard font la une de L’Épique (selon le bon mot de mon collègue jean-Claude B). On leur demande leurs programmes s’agissant de la politique sportive.
Le bus 72 passe devant l’immeuble du Figaro dont la façade s’agrémente de vitrines qui affichent le quotidien : deux organisations palestiniennes revendiquent l’attaque de Ma’alot en israël ; l’Inde se dote de la bombe atomique.
Les noms convoqués de Giscard et Mitterrand m’envolent vers Jarama. Dans la fumée des merguez, le soir tombant en ce 26 avril, vendredi des essais, le transistor crachouillait en ondes courtes la campagne du premier tour.
Une Carte orange RATP brandie au nez du préposé à la barrière du paddock l’avait convaincu de notre droit à pénétrer le dimanche dans ce saint des saints.
Toute une vie de course automobile, de cinéma de Claude Lelouch, de musique de Pink Floyd.
Nivelles le week-end dernier. Un large public est disséminé le long des 3,754 km dessinés pour ressembler, dirait-on, à un pistolet-mitrailleur. Nous étions perchés sur la butte dominant le grand droit qui suit les stands.
Il faisait chaud. Fittipaldi avait gagné. Etienne Moity titrerait dans « Scratch » : Fittipaldi nivelle.
Revenu à la Doc où la lumière est revenue aussi, coup de fil de Jean-Michel S. Ok pour le Ring dimanche. Rendez-vous chez Autorent pour prendre une caisse de loc à 5 heures du matin.
Une R16 TX rugit à toute blinde sur la nationale 4 car l’autoroute de l’Est est encore en construction. Retour dans la soirée des 1000 km du Nürburgring. Il va être 20 heures. L’un de mes deux favoris du jour a gagné, Jean-Pierre Beltoise qui, avec Jean-Pierre Jarier, a mené la 670 à la victoire.
Reste le second, Giscard…
On aura droit à un magnifique « Carrousel Matra » dans Scratch le mois prochain.
Martine D. cherche France Inter. On emmenait toujours Martine D. en Allemagne parce qu’elle parlait la langue de Jochen Mass. Le fait qu’elle avait un beau cul, ce dont je m’étais rendu compte à l’hôtel d’El Molar où nous logions à Jarama, n’était pas accessoire non plus.
Le monde était simple, facile et basique le 16 mai 1974, et s’annonçerait tel le 19 mai 1974 lorsque Ivan Levaï proclamerait sur Europe 1, seule radio audible depuis l’auto : « Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République avec 50,60 % des suffrages exprimés contre 49% à François Mitterrand. »
Beltoise et Giscard côte-à-côte en tête, mais quelle belle époque.
Image © Extrait du film « Toute une vie », de Claude Lelouch.