5 septembre 2020

Tour Auto 2020 : Saints-Cylindres-sur-Corrèze

Jaguar Mk II 3,8L de 1965 à l’entrée de Turenne.

Le Tour Auto, cette manifestation entre gens de bonne compagnie qui débute toujours sous les ors du Grand Palais et se termine invariablement sur un site prestigieux, reste en fait une épreuve populaire.
Comme son homologue cycliste, il va au-devant de celles et ceux qui, pour la plupart, ne fichent jamais les pieds sur un circuit ou dans un salon, mais qui aiment l’automobile. L’occasion pour nous de suivre, lors de la 3e étape de cette édition 2020, quelques deux cents voitures sous le soleil du Causse Corrézien. 

Pierre Ménard (texte & photos)

La super récré

Tour Auto 2020 – Dans la bourgade de Larche à 9h45, la récréation a été exceptionnellement décalée pour que les loupiots voient passer les premiers concurrents. Et ça piaille, et ça lève les bras à la vue de ces rutilantes mécaniques au bruit d’enfer dont les conducteurs envoient au passage un petit coup de klaxon – ou d’accélérateur – et saluent chaleureusement les gamins !

Saluts aussi à tous les autochtones qui se sont retrouvés sur les trottoirs, au bord des routes ou des champs pour assister au défilé de ce Tour Auto 2020 repoussé aux premiers jours de septembre pour cause de vous-savez-quoi. Tant mieux parce qu’il fait un temps à rendre un printemps jaloux et rouler sur le Causse dans cette douce température matinale est un plaisir dont on ne se lasse pas.

A la limite de la Corrèze et de la Dordogne, Larche accueille les premiers concurrents du Tour Auto 2020, MG B 1965 et Morgan +4 Super Sport 1962.
Deux aristocrates italiennes passent le pont sur la Vézère à Larche, Ferrari 250 GT Passo Corte 1960 et Alfa Romeo Giulia Sprint GT Veloce 1966.

Au cul de la Porsche

Et ça roule ! Au cul d’un cycle-car corrézien, lui même à la poursuite d’une Porsche 904 Carrera GTS de 1963 et d’une 911 2,0 litres de 1965.

On est en étape de liaison en ce matin entre Larche et Turenne. Donc respect de la réglementation routière (sur les petites routes empruntées, rouler à 90 km/h – vitesse autorisée en Corrèze – est déjà assez sportif) et surtout, possibilité pour le vulgum pecus de s’insérer dans le peloton et de parcourir quelques kilomètres derrière une Porsche 911 2L, une Corvette C3, une Ferrari 250 GT Lusso ou même un cycle-car non compris dans le programme venu se joindre à la parade.

Les belles routes où on peut un chouïa laisser parler les chevaux : la Chevrolet Corvette C3 de 1969 mène bon train devant une BMW 2002 Tii, suivies par deux Lotus Elise du cru.

Puis, on se pose dans un endroit sympa et on écoute les conversations pittoresques qui vont bon train sur toutes ces belles autos. Les souvenirs refont surface, on se remémore la Simca du tonton ou la Panhard du voisin. Et le cousin « c’ui-là qui avait acheté une Porsche, et même qu’il s’était mis dans un noyer avec » ! C’est sûr, on n’est pas sur les soyeuses moquettes de Rétromobile ou du Grand Palais, mais ici, la voiture vit, elle exprime la musique de ses soupapes à travers ses échappements.

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Une rutilante Aston Martin DB5 venue elle aussi en franc-tireur, mais très appréciée par le public.

On abandonne le joli village pour se poster ensuite sur le bord d’un beau tronçon avec un enchaînement appelant au plaisir mécanique. On jouit alors des montées en régime provenant de derrière la colline, du passage en trombe des concurrents devant nos yeux émerveillés et enfin de l’énergique talon-pointe qui annonce le virage à négocier au fond du vallon. C’est ça le Tour Auto : des bagnoles souvent hors de prix mais qui viennent dans ces cambrousses accueillantes pour le plus grand bonheur des gens d’ici qui n’ont pas le loisir de « monter à la Capitale » ou d’aller sur un circuit pour admirer ces mécaniques envoûtantes.

L’impressionnante Ferrari 308 Gr IV Michelotto 1981 est sans doute venue pour le plaisir, mais aussi pour la gagne.
Voir – et entendre – sur les petites routes du causse corrézien une BMW M1 Procar de 1979 est un événement rare à déguster pleinement.

Les clubs en première ligne

Et puis on tombe sur les clubs locaux, qui ont amené une dizaine de véhicules, fièrement exhibés le long de la route près de la place de l’église ou celle de la mairie. A Nespouls, ce sont les Vieux Pistons Périgordins (1) qui squattent les trottoirs avec leurs Simca 1000, R8, 403 ou autre R5 GT Turbo. C’est une occasion comme une autre de se rassembler et de comparer les mérites respectifs de leurs belles en attendant l’arrivée d’un groupe de concurrents qui déclencheront les commentaires d’usage.

Le Tour est acclamé dans les villages et passe devant les belles autos des clubs locaux.
Souriez mesdames, c’est pour Classic Courses ! Merci !

Les spéciales sont naturellement très spectaculaires, surtout dans la catégorie « Compétition », et si vous en avez la possibilité, une demi-journée sur un circuit pour observer ces superbes autos poussées dans leurs retranchements est fortement conseillée. Reste ce plaisir simple, de s’installer sur le bas-côté, si possible avec quelques autres amoureux(euses) de la belle automobile, et de se gaver sans modération de la vue de ces magnifiques voitures venues saluer la lointaine province.

La Peugeot 204 Coupé Gr.2 1969 sort du beau village de Nespouls.

Turbo sauce V6 PRV

Il se trouve que parmi tous ces valeureux équipages, il en est un qui m’intéresse tout particulièrement pour des raisons strictement personnelles. Etienne Bruet, journaliste-essayeur à Turbo sur M6, en est déjà à son 5e Tour. Il court sur une somptueuse Peugeot 504 V6 Groupe 4 de 1975, préparée dans les ateliers d’Orhès Racing. Il est cette fois accompagné au road-book par Clémence de Bernis, rédactrice en chef du site Les enjoliveuses. Ils sont inscrits en régularité « intermédiaire ».

Pierre Ménard : Au fait Etienne, c’est quoi exactement la « régularité intermédiaire » ?

Etienne Bruet : C’est une moyenne à effectuer pour chaque spéciale avec une vitesse imposée. Par exemple la prochaine est de 58 km/h, à respecter sur l’ensemble de la spéciale. Si tu vas trop vite, tu prends des pénalités, idem si tu vas trop doucement. Il y a trois tranches de régularité, haute, basse et intermédiaire. Tu choisis en fonction de ce que la voiture peut faire, de façon cohérente car tu ne peux plus changer ensuite. Il est évident que si tu choisis la haute et que tu es en 2CV, tu vas avoir des problèmes dans les côtes ! »

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La belle 504 V6 Gr.4 au sortir de Turenne.

PM : Je me suis laissé dire que ça n’a pas été facile de monter ce programme avec tout ce qui s’est passé depuis quelques mois.

Etienne Bruet : Pour la cinquième année consécutive, j’étais parti pour un programme avec Peugeot. A cause du Covid, Peugeot a décidé de se retirer deux mois avant, pour des problèmes économiques et d’image. De fait, l’émission [Turbo, NDLA] et moi, on s’est retrouvé à poil ! Il a fallu remonter un nouveau programme en deux mois et essayer de le financer. La 504 était déjà préparée, le préparateur, Orhès, a décidé de me faire confiance mais, comme il ne pouvait pas financer l’intégralité, j’ai dû aller à la pêche aux sponsors, un peu à l’ancienne, quoi ! On a bouclé le budget 48 heures avant la date butoir pour les inscriptions. Dunlop et le Tour Auto m’ont énormément aidé. On fait donc le rallye avec cette voiture préparée pour Peugeot à l’origine.

Elle est magnifique et produit un bruit bien sympathique.

PM : Qu’est-ce que ça représente pour toi, le Tour Auto ?

Etienne Bruet : C’est une sorte de musée roulant. Il y a de tout, des propriétaires qui décident de sortir leur plus belle voiture, et de ne pas forcément la ménager, des modèles très rares mais aussi des autos à petit budget. C’est magique parce que, une fois par an, on a parmi les plus belles voitures anciennes sur les routes de France, avec des modèles extrêmement différents. Chaque année, le Tour consacre un constructeur, cette année c’est Porsche. Il y a notamment une 906 exceptionnelle. C’est une très belle course, dans un bon esprit et également populaire. On se rend compte que les gens sont tout simplement passionnés, passion qu’on croit souvent perdue en ces temps de disette et d’anxiété automobile. On voit ainsi plus de 200 voitures parcourir les routes de France avec fierté, et c’est ça qui me plaît. C’est une superbe randonnée mécanique.

PM : Ce qui m’a frappé, ce sont les gamins dans les cours des écoles. Tu as vu ?

Etienne Bruet : Oui, ça gueulait à chaque passage (rires) ! En fait, on s’aperçoit qu’il y a une passion, mais un peu retenue et qu’il faut libérer. Il y a de belles voitures qu’on n’a pas l’habitude de voir rouler, certaines coûtent plusieurs millions, mais leurs propriétaires les sortent volontiers. J’en connais particulièrement un qui roule en Ferrari Lusso, et qui est d’ailleurs ici : il fait entre 9000 et 13000 kilomètres par an ! On a envie de montrer la capacité à rouler de ses voitures qui ont illustré l’histoire des marques. Encore une fois, c’est la diversité des modèles présents qui fait le charme de cette manifestation.

9000 bornes par an pour cette superbe Ferrari 250 GT Lusso ! Au même titre qu’une guitare est faite pour jouer, une voiture est faite pour rouler !

PM : Il y a même une GS !

Etienne Bruet : Exactement ! Ce sont les cinquante ans de la GS, et ils ont tenu à être là. Ils ont eu quelques soucis de démarrage à Montlhéry, ils ont loupé une spéciale, ben tant pis ! Il y a une compétition dans la compétition, il y a plusieurs plateaux, plusieurs classements. Certaines personnes jouent un peu la course, et d’autres en ont rien à faire.

Il n’y a pas que les belles italiennes ou les envoûtantes allemandes dans la vie. Cette Renault 12 Gordini en est la preuve.

PM : Pour terminer, cette 504 V6 se comporte comment ?

Etienne Bruet : Pour l’instant, elle marche bien, on est 2e de notre catégorie et 11e au général [résultat au soir de la 3e étape ; ils finiront sur la 3e marche podium dans leur catégorie et 15e au général, NDLA], on est plutôt pas mal. Par contre on a beaucoup de soucis de table et de régularité, on tâtonne, on recalcule des tables pour arriver à être dans le coup. La voiture nous aide beaucoup car elle est bien préparée : le moteur a deux triples carbus, pont long, boîte 4, elle est plutôt bien amortie, elle fait un boucan de feu, ce qui est assez sympa parce que ça participe à l’attrait de l’épreuve. Elle est en plus très belle avec ses couleurs des rallyes anciens, elle a gagné avec Jean-Pierre Nicolas en 1978 [Safari et Bandama, NDLA], entre autres. On espère aller jusqu’au bout, c’est ça le principal. On gagne pas le championnat du monde de F1 (rires), même si on se prend parfois au jeu. Qu’on gagne, qu’on perde, pas de problème. Le plaisir est de mener la voiture à la fin et de rouler sur toutes ces belles routes.

(1) Ne leur dites surtout pas « périgourdins » : ils sont les tenants d’une certaine orthodoxie qui anime un très vieux débat toujours en vigueur dans le Périgord pour savoir si on met un « u » ou pas entre le « o » et le « r ». De quoi occuper les longues soirées d’hiver !

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