Comme nous l’avons évoqué il y a quelques jours, ici – même, le temps est venu de rendre hommage à Tony Brooks.
Place aux deux dernières chroniques inspirées de sa passionnante « Autobiography of a supreme Grand Prix driver, Poetry in Motion » parue en mai 2012 et dont on espère avoir conservé la substantifique moelle.
Professeur Reimsparing
La photo qui illustre le début de l’article représente Tony Brooks au volant de sa Ferrari au Grand Prix de l’ACF 1959
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II. – Où Tony révèle qu’il n’appréciait pas vraiment Jean Behra
Selon Tony Brooks, l’énonciation par ordre alphabétique : 1. Behra, 2. Brooks correspondait parfaitement à l’idée que se faisait Jean Behra de la hiérarchie au sein de la Scuderia..
Cette conviction se fondait peut-être sur le fait que le Niçois avait été recruté avant Brooks en début d’année et que lors de la Targa Florio ainsi que des 1 000 kilomètres du Nürburgring précédemment disputés, leur commune monture avait été officiellement engagée pour l’équipage « Behra-Brooks ».
Il était clair cependant que l’un et l’autre argument faisaient peu de cas des palmarès respectifs des deux hommes. Mais Behra fut jusqu’au bout un racer, ainsi que le souligna Sir Stirling Moss, qui l’appréciait pour cela, un coriace qui ne cédait rien à personne, souvent animé par une bonne dose de mauvaise foi ; Moss observa d’ailleurs que des racers, il n’en avait pas croisé tant que cela au cours de sa longue carrière.
D’où la mini-comédie des premiers essais, lors desquels le Niçois avait « annexé » d’autorité la fameuse voiture mixte, censée la plus compétitive mais qui, pour autant, ne lui avait pas permis de dominer Brooks ; et dont l’attribution ultérieure à Gendebien avait généré, on l’a constaté, une « Histoire de Toto » assez gratinée.
C’est donc vraisemblablement non sans une intention (à peine) cachée que Tony Brooks a relaté l’anecdote suivante.
Il avait été étonné (selon lui) de constater, sur la ligne de départ, que le volant de la Ferrari de Dan Gurney présentait une physionomie singulière : il était d’un diamètre inhabituellement large et cerclé d’un bois plus épais que de coutume, au revers duquel avaient été taillées des encoches destinées à accueillir les doigts du pilote.
Brooks ayant alors demandé au Californien en quoi l’habituel volant qui équipait leurs F1 ne lui convenait pas, ce dernier lui avait répondu évasivement qu’il préférait celui-ci ; ce qui pouvait surprendre, de la part d’un sacré gaillard, doté d’une poigne solide.
Il demeure (apparemment) convaincu que Gurney, ayant pris conscience, au cours des essais, des petites magouilles auxquelles étaient susceptibles de recourir certains de ses coéquipiers (suivez mon regard), celui-ci s’était assuré de la sorte qu’on ne lui chiperait pas en douce sa voiture attitrée
Cette opinion est cependant sujette à caution.
Une photo prise au cours des essais laisse en effet apparaître que le fameux volant était alors déjà en place.
Dès lors : soit Tony Brooks était parfaitement au courant dès avant la course ; soit il découvrit effectivement la fameux volant au départ de celle-ci. En toute hypothèse, il exprima implicitement et de manière assez peu charitable (surtout dans la première éventualité), qu’il n’appréciait pas vraiment Jean Behra, avec lequel, force est de le reconnaître, il avait bien peu en commun, hormis le mépris du danger omniprésent.
Quoi qu’il en soit, nombreux furent, parmi lesquels l’auteur de ces lignes, ceux qui eurent la larme à l’œil au soir du 1er août 1959, à l’idée de ne jamais revoir le pilote au casque à damiers.
Sentiment partagé par le célèbre journaliste Nigel Roebuck, lequel, dans une livraison du magazine MotorSport (since 1924 !), révèlera que la première fois qu’il le vit, à Oulton Park, en 1954, à côté de sa Gordini bleue, la cigarette à la bouche, Behra incarna instantanément l’image qu’il se faisait du pilote de course et vint côtoyer, dans son panthéon personnel, Sir Stirling Moss en personne !
Il livra également l’opinion de Dan Gurney à propos de Behra: « C’était un type fougueux, qui était là pour courir. J’avais beaucoup d’estime pour lui et j’admirais vraiment son incroyable esprit de compétition. C’était quelqu’un de fier, un battant, et croyez-moi, il était plutôt rapide ». On voit que le Californien, lui-même brave parmi les braves, partageait pleinement l’analyse de Sir Stirling Moss. Et que, soit dit en passant, il n’éprouvait nulle rancune envers celui qui avait été son très fugace coéquipier au sein de la Scuderia…
Pas mal, comme références.
III. – Où Tony se révèle un metteur au point hors pair
Revenons-en, avec une ultime anecdote liée au GP de l’ACF 59, à l’essence même de la course et à l’incontestable talent de Tony Brooks.
Après, donc, s’être assuré du meilleur temps dès les essais du mercredi, celui-ci s’était abstenu de tourner le jeudi. En revanche, il avait décidé d’accomplir quelques tours le vendredi, afin de procéder à une ultime vérification.
Or, il constata immédiatement que la directive qu’il adressait systématiquement aux directeurs techniques, à savoir ne rien changer sur sa voiture entre les essais et la course, sans l’en informer, n’avait pas été respectée. Il déclara donc tout de go à Carlo Chiti : « Vous avez modifié le réglage de mes amortisseurs arrières ! ».
Ce dernier le considéra avec stupéfaction et demanda : « Comment le savez-vous ? ». A quoi Brooks répondit : « Je m’en suis rendu compte en abordant la courbe (Annie-Bousquet) qui suit le droit très rapide après les stands, car il y a une petite bosse, là où la piste amorce une légère montée » !
« Mais », répliqua Chiti, « nous avons donné un seul tour de clé afin de durcir un tout petit peu les amortisseurs et d’être certains que la voiture ne talonnerait pas ». Brooks mit alors fin à la conversation : « La voiture ne talonnait pas lorsque j’étais à fond, mercredi, aussi vous prierai-je de bien vouloir rétablir les précédents réglages ».
Le malheureux ingénieur avait peine à croire qu’une modification aussi infime ait pu être détectée par le pilote. A partir de là, en tout cas, il porta à la finesse d’analyse de celui-ci la plus grande considération ; et regretta très certainement son départ en fin de saison..
Toutes proportions gardées, cette même finesse n’est pas sans évoquer celle dont feraient preuve, chacun à sa manière, Alain Prost et Ayrton Senna. Emouvante filiation.
Quelle injustice que pareil pilote ait perdu le titre 59 parce qu’un (ce jour-là) décérébré Harry Schell avait cru bon de court-circuiter le tracé lors des essais de l’ultime GP, celui lui des Etats-Unis à Sebring, et de « voler » ainsi la pole, sans être sanctionné, ce qui valut à Brooks d’être heurté à l’arrière dès le départ et de perdre toutes ses chances au profit d’un rugueux Jack Brabham, qui ne le valait pas.
Pour en savoir davantage sur Jean Behra : Ici