Thierry Boutsen a laissé l’image d’un pilote rapide, déterminé et sympathique. De la Formule Ford à la F1, ces qualités lui ont permis de franchir tous les palliers. Il nous a reçu chez Boutsen Aviation et nous a laissés évoquer avec lui une carrière constellée de victoires dans toutes les catégories où il s’est impliqué.
Pourtant nous sommes certains que nos amis lecteurs en ont oublié certaines. Thierry est en effet un homme aussi discret qu’efficace. Trop discret puiqu’on redécouvre sa carrière aujourd’hui et très efficace car en peu de temps, il nous a permis de donner corps à une interview en trois parties !
Olivier Rogar
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Thierry Boutsen sur Wikipedia
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Classic-Courses, Olivier Rogar : Thierry, qu’est-ce qui t’a porté vers le sport automobile, un environnement familial, peut-être ?
Thierry Boutsen : Du tout, du tout ! Il n’y avait dans ma famille, personne qui était en mesure de me montrer ce qu’est une voiture de course ni même une voiture tout court. Donc c’est une passion qui est née comme ça et d’ailleurs quand on demande à ma maman mes origines et ce qui m’aurait amené là-dessus, elle dit toujours que j’ai commencé ma vie professionnelle quand j’avais 3 ans. J’ai alors déclaré à ma famille que je voulais devenir pilote de Formule 1.
Donc d’où ça sort, je n’en ai aucune idée. Ça m’est venu comme ça parce que j’avais, je pense, vu les 24 heures du Mans à la télévision ou quelque chose comme ça. Peut-être même à cause d’une formule 1. Et j’ai tout fait pour y arriver. Et puis à force de travail, de détermination, à force de… je dirais de faire tomber les murs qui étaient devant moi, j’y suis arrivé.
J’ai des souvenirs qui viennent des grands prix dans les années 70 . Il y avait Jacky Ickx qui était là et qui gagnait des grands prix. C’est l’époque où j’ai commencé à faire un petit peu de moto, du trial, des choses comme ça. Pour un petit peu me mettre à apprendre la mécanique, pour un petit peu acquérir un certain équilibre. J’avais vraiment envie d’y arriver et puis tout ce qui me passait par les mains qui était mécanique me passionnait.
CC, OR : Et tes parents étaient plutôt favorables ?
Thierry Boutsen : 100% favorables. Ils m’ont soutenu d’une façon absolument extraordinaire dans tout ce que j’ai fait, dans tout ce que j’ai entrepris. Malheureusement financièrement ou peut-être heureusement, ce n’était pas possible pour eux de faire quoi que ce soit.
Si ce n’est de me payer les cours de pilotage lors de ma toute première année, mais à part ça, de la famille je n’ai pas reçu d’aide financière mais beaucoup plus morale. Quand j’allais à l’école de pilotage chez Pilette en Belgique, mes parents étaient là pour me voir rouler, pour me voir faire, pour m’encourager, pour me féliciter aussi lorsque j’arrivais à faire bien les choses. Donc j’ai eu un soutien familial primordial de mes parents, de mes sœurs et de mon frère également.
CC, OR : Quand on est aussi soutenu, on doit se sentir pousser des ailes !
Thierry Boutsen : Mais j’étais très, très déterminé et je pense que cette détermination a développé une espèce d’adhésion générale de la famille qui a fait que tout le monde était là pour m’aider. J’ai beaucoup d’amis qui m’ont soutenu aussi. Des gens avec qui j’étais à l’école, qui faisaient des déplacements pour aller à Zolder, pour aller à Nivelles lors de mes premières courses. Ça m’a vachement aidé.
CC, OR : A un moment se pose le choix entre la passion et les études. Il a dû être déterminant pour la suite ?
Thierry Boutsen : J’ai fait les deux. C’était une condition sine qua non de mon papa. Il m’a dit « soit tu obtiens un diplôme, soit tu ne fais pas de sport automobile. J’ai choisi d’aller dans une école d’ingénieurs mécaniques. Je n’ai même pas réfléchi.
J’ai obéi à ce qu’il demandait et je me rends compte aujourd’hui que c’était très intelligent de sa part parce que ça m’a permis de développer beaucoup de choses dans la vie qui m’aident aujourd’hui. Le fait d’être là aujourd’hui, de diriger une équipe qui vend des avions dans le monde entier par exemple ou d’avoir une société où on vend des voitures de collection, c’est quelque chose qui n’aurait pas été possible, je pense si je n’avais pas eu cette formation.
De même qu’en étant toujours très intéressé à la technique et à la partie mécanique du sport, au fait de développer des voitures, les mettre au point. J’ai passé beaucoup de temps à toutes les époques de ma carrière avec les ingénieurs, avec les mécaniciens pour travailler sur le contenu mécanique pour améliorer la voiture, trouver des idées et faire des changements sur la voiture qui allaient parfois dans tous les sens mais qui m’ont aidé à comprendre et m’ont permis de développer des voitures.
Quand j’étais chez Williams, par exemple, la première fois que la FW13 est sortie, je pense que je me suis qualifié vers la vingtième place et la voiture n’allait pas plus vite que ça. Et en travaillant les mois qui suivaient, quatre courses plus tard, j’ai gagné en Australie, donc c’est une belle progression.
CC, OR : C’est aussi lié à l’époque où peut-être les talents de metteur au point des pilotes étaient plus déterminants qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’aéro ayant pris le pas sur les réglages mécaniques.
Thierry Boutsen : Plus rien à voir. Plus rien à voir du tout. Le pilote roule avec ce qu’on lui donne et puis c’est tout. Il explique parfois un petit peu les conditions de conduite. En fait, ce qu’on attend dans les commentaires à la télévision quand les pilotes parlent c’est : «ma voiture est inconduisible, ma voiture n’a pas de grip » mais que le pilote apporte une solution au problème qu’il a et pour définir clairement le problème qu’il a, ce sont des choses qu’on n’entend plus. De notre temps il fallait dire dans quel virage la voiture faisait ceci ou cela, suggérer de changer l’amortisseur, la barre antiroulis, l’aileron etc.
C’était ensuite à l’ingénieur de recueillir ces informations et de les résumer en une action sur la voiture. Ça permettait d’avancer.
Maintenant. Tout est réglé soit au simulateur soit par l’ordinateur. C’est très différent. Je ne juge pas la période d’aujourd’hui, c’est très différent. Je pense que j’aurais éprouvé autant de plaisir à rouler avec les voitures actuelles. Mais toute la partie technique, la partie mécanique, engineering que j’ai adoré, pour un pilote d’aujourd’hui, je pense qu’elle n’est plus aussi active qu’avant.
CC, OR : A contrario est-ce que tu penses que les voitures actuelles donnent des sensations différentes aux pilotes que celles que tu as connues ? Elles étaient ultra légères et très puissantes, tout en étant plus rustiques d’un point de vue aérodynamique ?
Thierry Boutsen : Plus rustiques, oui, mais on allait quand même vite. Il y a certains circuits on n’est quand même pas très, très loin des temps actuels. Sur un circuit très sinueux comme en Hongrie par exemple. Il n’y a pas une grosse différence entre les temps que moi, je faisais il y a 30 ans et ceux qu’ils font aujourd’hui. Ça dépend un peu du circuit, il y a des endroits où les voitures ont beaucoup plus d’appui aérodynamique mais elles sont plus lourdes aussi. Donc c’est un compromis qui est très différent.
Je ne dirais pas que ce sont des voitures lourdes à conduire parce qu’une formule 1 n’est jamais lourde, même si elle pèse un certain poids. Mais c’est très différent. En plus avec le moteur électrique, avec le DRS, des choses qu’on n’avait pas.
Mais le sport est très différent c’est devenu beaucoup plus un sport spectacle. mais bon, c’est comme ça. Tout évolue. Il faut se débrouiller avec. Il faut toujours freiner tard et accélérer tôt.
CC, OR : Si on remonte un peu le temps, tu es passé par la Formule V et la Formule Ford ?
Thierry Boutsen : Oui à l’Ecole de Pilotage de Teddy Pilette. J’ai fait quatre courses qui ont été mes premières courses internationales. Je suis passé de circuit de Zolder au circuit de Croix en Ternois ! C’étaient mes premières courses internationales ! Mais c’était mes tout débuts et c’est ce qui m’a lancé en 1975 – 1976 et ensuite je suis passé en Formule Ford. La première, bon, j’étais aux études encore, je terminais mes études et je commençais mon service militaire. J’ai passé dix mois à souffrir dans l’armée, comme on dit !
Ce qui était assez anecdotique d’ailleurs parce que ça correspondait à ma deuxième année en Formule Ford. J’avais ma propre voiture, pas de mécanicien donc je faisais tout moi-même. Je préparais la voiture, je préparais la mécanique et je roulais d’ailleurs avec un moteur que j’avais préparé moi-même et dont j’avais défini la structure interne lors de mes études d’ingénieur. Cette saison-là, en 1978, sur les 18 courses, j’en ai gagnées 15 donc j’étais assez satisfait du résultat.
Mais l’anecdote là-dedans, c’est que je faisais en même temps mon service militaire et il fallait que je tombe malade tous les vendredis pour pouvoir rentrer chez moi et je revenais le lundi matin en pleine forme. Donc après être guéri de ma maladie parce que normalement on doit rester à la caserne toute la semaine, weekend compris. Donc c’était un gros problème à chaque fois de justifier mon absence parce que le lundi matin bien sûr, il y avait dans tous les journaux le fait que j’avais gagné une course et ça a tourné à la rigolade. Ça a été bien accepté. J’ai bénéficié d’une certaine bienveillance. Au début c’était un peu compliqué. Gagner une course ça passait mal, puis deux, trois , quatre , cinq, etc…ça a fini par passer !
CC, OR : Après, en 1979, c’est la F3 où tu as rapidement performé.
Thierry Boutsen : Immédiatement. Ma toute première course F3 je l’ai gagné. C’était à Zolder, en championnat d’Allemagne et puis ça a été un peu plus laborieux parce que je ne connaissais pas les circuits, parce que partout où j’allais je devais apprendre beaucoup de choses. Je ne possédais pas une voiture qui était au top, il y avait Martini qui dominait tout à ce moment-là avec un certain Alain Prost, je crois, donc c’était un peu compliqué à ce niveau-là.
Alors je suis allé voir plusieurs écuries, March notamment et Robin Herd. Je lui ai expliqué que je n’avais pas d’argent mais que je voulais faire de la compétition. Il m’a donné un gros coup de main en me laissant d’abord travailler dans son atelier pour que ça paye une partie du budget de location ou d’achat de la voiture et puis ça s’est très bien passé. Finalement je suis arrivé à réunir suffisamment d’argent pour me lancer là-dedans et puis à trouver de l’argent en cours de saison pour continuer et arriver au bout et comme ça j’ai pu rejoindre l’écurie Martini en 1980 et faire une très bonne saison. J’ai gagné trois courses et fini vice-champion.
CC, OR : Et 1981 te voit arriver en F2 où tu vas faire deux saisons.
Thierry Boutsen : Oui la première avec March BMW et là de nouveau avec l’aide de Robin Herd qui m’a qui m’a permis de rentrer dans une équipe d’usine sans avoir vraiment les budgets pour. Donc c’était pour moi une grosse aide de sa part. J’ai remporté deux victoires. L’année suivante avec Spirit et le moteur Honda avec la possibilité de travailler avec eux sur le long terme parce qu’ils faisaient ça pour développer le futur moteur de F1 et d’ailleurs j’ai participé à pas mal de séances d’essai dans cette perspective. J’ai remporté trois victoires. Nürburgring, Spa et Enna.
On avait installé le moteur de F1 dans une formule 2 et on faisait beaucoup de roulage comme ça aux États-Unis, à Silverstone et sur d’autres circuits et puis finalement ce n’est pas moi qui ai été choisi. Ça a été Stefan Johansson.
CC, OR : Et mettre un moteur turbo F1 sur une F2. Ça doit donner des sensations particulières au pilote, non?
Thierry Boutsen : Oui, mais bon, non, sans plus. Disons que la voiture était très rigide. Une bonne F2. Une très bonne F2 qui m’a permis de gagner des courses qui m’a permis de remporter ma troisième victoire sur trois sur l’ancien circuit du Nürburgring . Je suis très fier de ça. C’était une très bonne voiture donc mettre un moteur un peu plus puissant là-dedans ça passait bien parce qu’on avait les pneus, on avait tout. Pas trop de soucis. C’était plus un banc d’essai pour le moteur, ce n’était pas un banc d’essai pour la voiture.
CC, OR : Et ensuite tu réussis à monter en F1, nous sommes en 1983. Il y a eu cette terrible année 1982 avec plusieurs graves accidents dont deux mortels… et toi, tu réussis à négocier un baquet chez Arrows.
Thierry Boutsen : Alors il faut savoir que là aussi c’est une anecdote intéressante parce qu’en début d’année je ne voulais plus refaire une saison de F2, je voulais vraiment faire de la F1. Mais il n’y avait pas vraiment de siège disponible, je n’avais pas de budget pour et j’étais dans une grosse impasse à ce moment-là.
Et par hasard au mois de mars ou avril, je ne sais plus, je reçois un coup de fil de Reinhold Joest. Il me dit : «Tu sais, j’ai deux voitures dont une qui roule aux 1000 km de Monza, c’est la première course du premier Championnat du Monde du Groupe C et Stefan Johansson qui devait rouler avec Bob Wollek ne peut pas rouler, il n’est pas là. Est-ce que tu veux venir rouler ? » Il n’avait pas encore terminé sa phrase que j’étais déjà dans ma voiture à 250 km/h pour aller à Monza.
Je suis arrivé sur place, j’ai vu la Porsche. Waouh ! Je n’avais jamais vu cette voiture comme ça en réalité. J’avais vu des photos mais jamais en réalité. Je me suis mis dedans. Bob m’a un peu expliqué comment ça marche avec le turbo, la consommation d’essence, les freins. Et puis je me suis mis à rouler. La première séance d’essai j’ai fait quelques tours, la deuxième, un petit peu plus. Bob a mis la voiture, je crois en première ligne comme ça et nous voilà partis en course.
Et la voiture marchait bien, très, très bien. Je me suis vite adapté à ça. J’ai compris le système de fonctionnement du turbo et de la limitation par la consommation qu’on avait etc. Je tournais en cours dans les mêmes temps que Bob, immédiatement en fait. On a bien géré notre course. On était équivalent lui et moi et finalement on a gagné la course.
On a gagné ces 1000 km de Monza. Et pour moi ça a été une porte ouverte parce que dès le lendemain j’ai eu des appels de cinq chefs d’écurie F1 me disant tiens si tu passes en Angleterre viens on va se rencontrer. On va aller faire un petit tour d’essai etc…Et puis Jackie Oliver, le patron d’Arrows, m’a appelé et a vraiment insisté pour que j’aille le plus vite possible en Angleterre…