Une marque mal connue qui puise ses racines au XIXe siècle. Une marque qui est le reflet des soubresauts de l’histoire du XXe siècle. Une marque qui a oscillé entre avant-garde et choix techniques obsolètes. Entre libéralisme, nazisme, communisme et qui a succombé, comme fabriquant de voitures particulières, au libéralisme.
Une visite rapide au musée des Techniques de Prague, puis une exposition dignement présentée au salon Rétromobile 2020 nous ont donné envie d’en savoir davantage sur la vieille dame de Kopřivnická.
Olivier Rogar
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Sur la piste des mystérieuses Tatra – 2/2
Quand Porsche copiait Tatra
1989 Rideau de velours et Tatra 613
Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est suite à l’intrusion d’une R21 – oui, une Renault – dans la vie politique tchèque que la firme Tatra mettra un terme à la production de véhicules particuliers. Simple coïncidence, mais tout de même…
En 1989, ça bouge depuis quelques années déjà à l’est de l’Europe. Solidarnosc et Lech Walesa ont initié le mouvement dès 1980. Et depuis qu’en 1983 Jean-Paul II a dit aux polonais : «N’ayez pas peur », ceux-ci, gonflés de foi et d’espoir, n’ont fait que renforcer le mouvement. Pologne puis RDA, Hongrie, Tchécoslovaquie…
… Prague, Novembre 1989, Vaclav Havel est porté à la tête du Forum Civique. La révolution de velours qui s’ensuit laisse penser que l’issue sera comparable à celle de l’Allemagne de l’Est. Graduellement les instances étatiques se rangent derrière le mouvement contestataire.
Fin 1989, le drapeau rouge ne flotte plus sur Prague. Vaclav Havel se trouve à la tête de l’état. Le leader portugais Mario Soares, l’homme de la révolution des œillets, fait parvenir à son ami tchèque un cadeau : une voiture française, une Renault 21 TSE. Lorsque celle-ci arrive, Vaclav Havel a été porté à la présidence.
Comme il ne souhaite pas rouler dans une ZIL soviétique ou une Tatra tchèque, la voiture des apparatchiks communistes, il conserve la R21 pendant plusieurs mois comme véhicule officiel du chef de l’Etat… Destin unique pour une Renault moderne. Au pays des Tatra comme ailleurs !
Ayant bien mérité de la jeune République, elle est remise au Musée des Techniques de Prague en 1993. De son côté la marque Tatra a été transformée en société anonyme en 1992 et dès 1995 il est décidé d’arrêter la production de voitures particulières.
Pourtant, la Tatra 613 produite de 1973 à 1995 à 11 009 exemplaires faisait encore illusion. V8 3.5L arrière à 4 arbres à cames en tête, refroidi par air et développant 165 ch. Carrosserie monocoque dessinée par Vignale et basée sur des études tchèques, dont celle de Vaclav Hasik.
La Tatra 700 lui succède et s’écoule péniblement à 97 exemplaires jusqu’en 1998. Elle sera donc la dernière automobile produite par la marque tchèque. V8 3.5L ou 4.5L à 4 arbres à cames en tête, refroidi par air développant 200 ou 230 ch. Propulsion, toujours. Carrosserie restylée par l’anglais Geoff Wordle.
La raison économique l’a emporté. Les capitaux allemands se sont déversés sur l’industrieuse Tchéquie. Skoda est repris par le groupe VAG. Le pays devient l’un des principaux producteurs automobiles européens, en 5e position entre la Grande Bretagne et l’Italie. ( Classement 2017)
Ce que les communistes n’ont pas réussi à imposer, le libéralisme l’a fait : Tatra se concentre désormais uniquement sur les camions, très réputés et qui ont notamment brillé en compétition. Ils ont remporté le Paris-Dakar à six reprises en 1988, 1994, 1995, 1998, 1999 et 2001 avec Karel Loprais comme pilote.
1968 Rideau de fer et Tatra 603
De janvier à Août 1968, un vent de réforme et de liberté souffle sur la Tchécoslovaquie. Alexander Dubcek a lancé le concept du « socialisme à visage humain ». Le camarade Brejnev a hésité entre une « partie de chasse » et l’envoi de ses chars avec ceux des « pays frères » pour « aider » à la « normalisation ».
Tant de guillemets donnent la dimension du décalage dans l’interprétation des concepts…
Les blindés ont donc envahi les rues de la vieille ville. Les étudiants et manifestants ont bien tenté d’interpeller les jeunes russes d’un beau : « C’est la liberté que tu viens tuer, Camarade», rien n’y a fait. L’occident n’a pas bougé. Les T55 ont tenu le pavé le temps nécessaire pour que fane le printemps…
Quoiqu’on fasse, difficile de penser à Tatra sans voir une longue 603 noir avec son inquiétant faciès cyclopéen et trois types à l’air lugubre venant arrêter un pauvre bougre ayant émis – ou pas – une idée qui n’était pas dans la ligne…
Costa-Gavras a fait davantage en 1970 pour faire connaître cette étrange voiture que tous les efforts de marketing de la firme. Pas question que des particuliers puissent en être propriétaires. Elle est réservée à la nomenkaltura tchécoslovaque. Ce n’est pas son engagement dans quelques rallyes européens, dont le fameux Marathon de la route qui la rendent célèbre – malgré des performances très honorables. Le film « L’aveu » en a fait le véhicule de la répression et des grands procès staliniens qui purgèrent également la Tchécoslovaquie des années 50.
La Tatra 603 n’aurait d’ailleurs jamais du exister. Pas à cause de sa dénomination , avec le fameux « 0 » au milieu qui avait valu à Porsche, les foudres de Peugeot pour sa 901, devenue 911.
Dès 1951, l’organisation scientifique du socialisme, pronnée par Moscou, affectait à chaque pays et à chaque firme un type de production. Tatra s’était donc vu imposer la production de camions. Déjà. Skoda les voitures « populaires » et pour les limousines et autres voitures d’apparat, il fallait s’en remettre à la production soviétique.
Face à la piètre qualité de celle-ci et aux délais d’approvisionnement, les ingénieurs de Tatra furent sommés de remettre l’ouvrage sur le métier. Sous la direction de Julius Mackerle un prototype fut prêt dès 1955. Un arbitrage favorable leur fut donné par le Comecon au détriment de la RDA qui, elle aussi, voulait sa voiture d’apparat. La Tatra 603, dont les premières études avaient été camouflées sous l’apparence d’un bus, allait pouvoir exister.
Dotée d’un V8 alu à refroidissement par air de 2472 cm3 en porte à faux, d’une carrosserie monocoque en acier, cette grande berline à quatre roues indépendantes et freins hydrauliques à disques ( à partir de 1968) atteint 160 km/h avec ses 95 ch et un Cx de 0.36. La production sera de 20 422 exemplaires répartis en trois phases de production dont le signe d’évolution extérieur le plus notable sera l’élargissement croissant de l’entraxe des phares avant.
Nous ne pouvons évoquer ici sa tenue de route. Cette architecture et la taille de la voiture devait la rendre assez « sportive ». Nous pensons aux routes de l’est en hiver. Ceci étant avec cette voiture le danger venait déjà et surtout des utilisateurs….
En décalage complet avec l’angoissante ambiance régnant dans les pays de l’est en pleine guerre froide, nous avons repris ici une publicité de l’époque. Tellement excessive qu’elle en finit par être drôle. Nous vous laissons juges.
1948 République populaire… et Tatra 600
Voulant mettre la main sur l’outil industriel et mécanique tchèque, le 3e Reich fait envahir le pays par ses troupes le 15 mars 1939 et établit le « Protectorat de Bohême Moravie ». Le sinistre « Reich Protektor » Heydrich est tellement sûr de lui qu’il roule en décapotable. Les résistants parachutés par les anglais en profiteront. Son successeur, le tout aussi sinistre Frank, fera blinder son cabriolet Mercedes.
Le 9 mai 1945, le pays est libéré suite à la bataille de Prague, lancée par les soviétiques. Les américains se sont arrêtés plus à l’ouest.
Edvard Benes, le chef du Gouvernement Provisoire Tchécoslovaque, en exil à Londres, rentre à Prague et constitue un gouvernement de coalition.
Las, le 25 février 1948, son premier ministre Klement Gottwald, communiste, s’empare de tous les pouvoirs et proclame la « République populaire ».
Il est un fait c’est qu’aujourd’hui , les tchèques considèrent ces deux périodes, l’une a duré 6 ans et l’autre 41 ans…, aussi néfastes l’une que l’autre. Que ce soit dans les conversations, dans la rue, devant les monuments ou dans les musées, les mêmes commentaires, écriteaux, légendes, renvoient dos à dos les deux infernales périodes.
Tatra remet donc en service ses chaines de fabrication et à l’instar de nombreux pays , commence par produire des véhicules d’avant guerre. Il en est ainsi de la Tatra 87. Produite de 1937 à 1950, avec l’interruption de la guerre, elle est dotée d’un moteur arrière V8 bloc alu avec arbre à came en tête de 2968 cm3 refroidi par air. Il développe 75 ch et lui permet avec sa boite 4 et ses 4 roues indépendantes, d’atteindre 160 km/h. 3023 exemplaires ont été fabriqués.
L’exemplaire qui nous est présenté lors de l’exposition de Retromobile est celui qui figure habituellement au Musée des Techniques de Prague. ( Mais sans le sable !)
Une voiture d’apparence plus moderne est lancée en 1947, la T600 ou Tatraplan à moteur arrière 4 cylindres de 2L, 52 ch, 4 roues indépendantes. 140 km/h. Les perturbations politiques donneront à cette voiture une très courte carrière de 4 ans. 6342 exemplaires seront malgré tout construits.
Dans notre remontée dans le temps sur la piste de Tatra, nous aborderons dans la seconde partie de cet article, la période d’avant-guerre au cours de laquelle plusieurs ingénieurs firent de la marque un exemple d’avant-gardisme. Entre-autre.