« … Comme souvent quand il a quelque chose à me dire, mon père s’est préalablement approché, a posé sa main sur mon avant-bras et a glissé entre ses dents une phrase tout sauf sibylline …
Marc Pontier
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Nous sommes sur le port de Monaco en mai 2006 et il ne faut pas rater cette photo d’un rendez-vous pris 45 ans plus tôt … Plus jeune, cette pression m’aurait peut-être paralysé… dans la mesure où « La photo est bonne », comme aurait dit Barbara, j’ai probablement été capable de resituer l’ enjeu pour mieux le dépasser.Rembobinons ensemble si vous le voulez bien …
Monaco 1961
Voir extrait de la course ici
Monaco Mai 1961 : le jeune homme qu’est alors mon père assiste au Grand Prix assis sur un contrefort du Rocher avec vue sur l’épingle du gazomètre. Enfant il me raconta cette course mythique ou un pilote seul battit à plate couture une armada de bolides rouges à nez de requin … Goliath c’était la Scuderia Ferrari et David, bien évidemment, Stirling Moss, au volant d’une modeste Lotus 18 privée dépourvue, détail important, de ses carénages inférieurs…
Mon père me raconta la polémique qui suivit cette victoire à propos des dits carénages ou plutôt de leur absence ayant prétendument donné un avantage à Stirling Moss qui évoqua pour sa part son seul confort de pilotage avec une meilleure aération lors d’une course disputée par une chaleur étouffante …
Tour Auto 2004
Bien des années plus tard il me fut offert de lui poser directement LA question … En 2004 le Tour Auto Classic passe à Lédenon qui reste mon fief gardois, celui qui, depuis, est devenu Sir Stirling s’y aligne avec pour copilote sa femme Susie. L’occasion est trop belle. La petite MG Numéro 138 est vite repérée sur le paddock du circuit. Sir Stirling est au volant, étrangement situé du mauvais coté…
Il sort très gentiment à ma demande pour une photo que ma copilote Sylvie s’empresse de faire, sans trop de pression j’espère … Une fois côte à côte je lui apprends que Maurice Trintignant vit non loin de là, à Vergèze. Il m’écoute amusé et me dit en français dans le texte et agrémenté d’une grimace : « Il est très vieux ! C’est un grand père ! » Maurice Trintignant, qui mourut l’année suivante, était né en 1917 Stirling en 1929 …
On repasse en anglais pour LA question que je lui pose après lui avoir dit que mon père l’a vu gagner en 1961 à Monaco sans ces fameux carénages … alors pourquoi les avoir enlevés ? … « Trop chaud …trop chaud : il faisait si chaud ! A l’époque nous courrions sur 100 tours aujourd’hui ils en font 78 … ». « J’avais non pas LA réponse mais MA réponse.
… Deux années s’écoulent encore et nous voilà en 2006 à Monaco pour le Grand Prix historique de Monaco avec mon père qui découvre, entre autres merveilles restaurées à la perfection, une Lotus 18 similaire à celle victorieuse en 61 bien que banalement pourvue de ses carénages inférieurs …
MONACO 2006
Point de Stirling Moss en ce dimanche de course : engagé sur une Ferguson il est forfait pour cause de défaillance technique. Déçus de ne pas le voir au volant, nous nous régalons des courses de la matinée.
C’est alors qu’au moment du ravitaillement, en sortant de la Tribune T, sur le port de Monaco, nous tombons sur lui. Il semblait nous attendre en blaguant avec quelques compatriotes … Quarante-cinq ans après, La légende est là, fidèle au rendez-vous… Les carénages, on sait … on ne va pas l’embêter avec ça… Mais la photo… oh oui la photo …on va la faire cette photo !
On s’avance vers lui, je lui présente mon père en lui disant, pour la seconde fois, qu’il l’a vu gagner ici même en 1961 … Instantanément Sir Stirling le saisit par la taille, ce qui le met assez à l’aise pour le prendre à son tour par les épaules, les regards se dirigent vers l’objectif, la balle est dans mon camp …. et là !
SIR STIRLING ET MON PERE
Alors cette photo ?! … Stirling est bien là, campé sur ses deux jambes, pleine face, présent sur ce port qui l’a vu 3 fois victorieux. Il incarne sa légende : comment ne pas le remercier de cela ?
Mon père en prenant Stirling par l’épaule s’est un peu décalé par rapport à l’axe de l’objectif, comme pour aller un peu au-delà de ce moment qui reste magique … Si l’expression du visage ne peut cacher le contentement, on peut lire dans son regard toute l’émotion de ce moment.
Un peu d’ironie aussi peut-être, à destination du porteur de l’appareil photo. Une manière de dire : « Alors fils ! En 61 tu n’étais même pas né et voilà que tu prends la photo du vainqueur avec ton père. Lui qui, en plus, t’a transmis sa passion. alors n’oublies pas ce que je viens de te dire : cette photo je t’interdis de la rater !
Depuis ce dimanche 12 avril 2020, cette photo n’est plus possible. Ce dernier départ de Sir Stirling m’a inspiré ce petit billet, mais mon père est toujours là pour le lire. Et il en va des papas comme des légendes : il ne faut pas attendre qu’elles partent pour leur dire qu’on les aime !