En 2011 Il participait à Goodwood Revival.
Sir Stirling sort du Club Pilotes de Goodwood Revival. Son regard croise mon objectif, œil droit directeur… L’expression de celui qui en a vu beaucoup, il marche difficilement, séquelle bénigne de sa terrible chute l’hiver dernier. Sa canne pliante lui sert d’appui. Son épouse le suit. Un garde du corps les escorte.
Olivier Rogar
Les passionnés se pressent à la sortie de l’étroit passage. Fatigue, lassitude, effet de l’âge ? Il prend les stylos tendus et signe machinalement les programmes ou photos, sans un mot, sans un regard. L’air égaré et préoccupé, il s’éloigne, entrainé par le garde du corps. La voiture de golf vintage va le ramener au calme.
Stirling Moss est probablement le pilote vivant le plus vénéré en Grande Bretagne. Jeune retraité, cela ne l’empêche pas d’être largement mis à contribution pendant Goodwood Revival. Que ce soit comme ouvreur des cessions de courses ou lors de parades notamment celle en hommage à Juan Manuel Fangio. Il contribue largement au prestige de toute manifestation à laquelle il participe.Ferrari 250 SWB
Sa position de conduite allongée demeure caractéristique. Son pilotage reste d’élégance et de finesse.
A bord de la Ferrari 250 GT SWB qu’il a conduite à la victoire ici même en 1961, il revit peut être sa longue liaison avec Goodwood, sa carrière de pilote de course, une vie dont les contemporains se font rares depuis longtemps déjà…
D’où peut – être cette lassitude qui se lit dans ses yeux, dans son attitude.
Dépositaire malgré lui de la mémoire de ses pairs disparus, se sent il déconnecté d’un monde- aux valeurs trop différentes ? Le courage devenu irresponsabilité, l’humour relevant désormais de la justice, la réussite cédant à l’avidité et la bienveillance aux sarcasmes… Stirling Moss est l’un des derniers de son époque. Toujours sur le devant de la scène des épreuves ou manifestations historiques, il est constamment ramené au passé. A son passé. Passé de course, de joies et de peines.
La vision qu’il nous donne dans sa combinaison bleue pâle à bord de la Mercedes 300 SLR 1955 lors de l’hommage à Fangio est marquante. La presse a montré certaines photos ; assis dans la voiture, il parait plus que concentré, recueilli.
Sur le circuit ; aucune manifestation de joie, pas de main levée vers la foule qui l’applaudit. Moss est dans l’auto de celui qui fût peut être son seul maître. Il roule. Il conduit. Il pilote. Une bonne vingtaine d’autos participent à cet hommage. Moss semble seul. A qui pense-t-il ? A quoi pense-t-il ?
A Fangio ? A tous leurs copains partis, désormais ? Au crash qui ici même mit un terme à sa carrière ? A toutes ses victoires en ces mêmes lieux ?
Dans le programme de Goodwood, Stirling Moss livre quelques anecdotes au sujet de Fangio. Nous les reprenons ici :
«Il n’était pas seulement le plus grand pilote du monde, mais aussi l’être le plus courtois que je n’ai jamais rencontré. Il était simplement un être authentiquement bien. Un homme calme, très humble, mais rien ne l’empêchait de combattre lorsqu’il le fallait, bien qu’il ne fût en aucune manière « limite ». Je pense que ça venait de son éducation qui était très modeste. Dans ce domaine, il était comme Jim Clark, calme, humble et sacrément rapide. »
« Mon souvenir préféré à son sujet date de 1952. Je pilotais une HWM et me faisait rattraper par Fangio et Farina. Farina précédait Fangio. Farina était un pilote « limite » et il m’a serré plus que de besoin pour prendre ce virage. En faisant cela, il se mit en survirage. Il perdit du temps, je réussis à me dédoubler à la sortie du virage. En quelques centaines de mêtres il m’avait repassé et Fangio, au passage me sourit, l’air de dire « mais que diable voulait faire Farina ? ». Et cela me parut être une réaction tout à fait typique de Fangio. »
« Si vous observiez Fangio il était un pilote très fluide, comme Farina, bien sûr, ce n’était pas leur style de lutter contre leur voiture. D’autres pilotes auraient beaucoup plus bataillé avec leur volant. Fangio était un homme solide, avec une ténacité exceptionnelle et il ne souffrait pas de la chaleur. A cette époque les courses de F1 duraient 3 heures au minimum, maintenant c’est juste un sprint. Il était très affuté, non parce qu’il faisait de l’exercice, mais parce qu’il conduisait beaucoup. Lorsque vous faisiez de la course à cette époque – j’en fis jusqu’à 52 par an – vous n’aviez pas à vous maintenir en forme, vous étiez automatiquement en forme. »
Photo extraite du programme Goodwood Revival 2011 Stirling et Fangio
Les liens de Sir Stirling avec Goodwood sont forts , sans prétendre à la moindre exhaustivité, la lecture des programmes de Goodwood est édifiante :
Easter Glover Trophy 23 mars 1962 :
Il est très gravement accidenté alors qu’il pilote une Lotus Climax 18/21.
En 1963, toujours à Goodwood, à l’issue d’un test sur Lotus 19, sur piste humide, il décide de ne pas reprendre sa carrière en F1.
Earl of March Trophy :
Stirling Moss remporte la première course de F3 – 500 cc sur Cooper. Nous sommes en 1948, il a 19 ans. Il gagne à nouveau en 1949 sur Cooper Jap et en 1952 sur Kieft Norton. En 1954 il finit second sur une Beart Cooper.
Richmond Trophy :
Vainqueur en 1954 et 1956 sur Maserati 250 F.
Au sujet de cette auto, Stirling Moss, interviewé par ITV en 2008 dira : « La Maserati était belle, si vous la sentiez bien, vous pouviez la piloter en glissades constantes, dans les lignes droites vous cherchiez les filles et toute cette sorte de choses, mais lorsque vous alliez prendre un virage, là il fallait vraiment être concentré. »
Royal Automobile Club – Tourist Trophy Celebration :
Cette course est créée en 1905 sur l’île de Man. En 1928 elle migre vers le circuit de Ards en Irlande du nord jusqu’n 1936. En 1937 et 38 elle a lieu à Donington avant de revenir en Ulster sur le circuit de Dundrod jusqu’en 1957.
Après avoir triomphé trois fois à Dundrod, Moss poursuit sa série de victoires lors du transfert à Goodwood. Il gagne ainsi en 1958 et 1959 sur Aston Martin DBR1 et enchaîne par deux nouvelles victoires sur Ferrari 250 Swb en 1960 et 1961 lorsque les prototypes laissent la place aux GT.
Ses 16 victoires en championnat du monde de F1, ses 12 victoires en championnat du monde des voitures de sport et ses innombrables victoires dans toutes les catégories inférieures, aussi bien que dans de prestigieuses épreuves hors championnat ont fait de lui l’un des plus grands champions de tous les temps. Un concours de circonstances exceptionnelles ne lui a cependant pas permis d’être Champion du Monde de F1.
Malgré cela – ou peut être à cause de celà – vécu comme une criante injustice – 49 ans après s’être retiré de la compétition, Stirling Moss jouit d’une incomparable aura en Grande Bretagne.
A 82 ans, il vient d’annoncer sa retraite des compétitions historiques auxquelles il participait encore activement. Son explication ? : « Je ne voudrais pas avoir peur, ce qui ne m’est jamais arrivé dans ma carrière ».
Chapeau bas Sir Stirling.
Photos © Olivier Rogar sauf précision contraire
* : publié en 2011 sur le site Mémoire de stands