Difficile d’imaginer la course automobile sans les sponsors qui échangent la visibilité de leur marque sur une carrosserie contre une somme plus ou moins rondelette. Certains sont très connus, d’autres nettement moins. En voici deux qui apparurent il y a un peu plus de cinquante ans et qui partageaient un point commun : la pétrochimie.
Olivier Favre
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Apparus en 1968 en Europe, les sponsors extra-sportifs ont grandement contribué à l’essor de la course automobile des 50 dernières années. Marlboro, Martini, John Player Special …, certains d’entre eux, présents pendant des décennies au plus haut niveau, ont marqué l’histoire du sport. D’autres sont passés plus brièvement mais ont quand même imprimé leurs couleurs sur la rétine des « fanatiques ». Ainsi, quand on pense à Yardley, on voit forcément une F1 BRM ou McLaren au début des seventies. Alitalia convoque tout de suite les images d’une Lancia Stratos dans les neiges du Monte-Carlo. Et Silk Cut est indissociable des Jaguar groupe C des années 86-92.
Et puis il y a tous les autres sponsors, bien plus discrets. Que ce soit par la taille de leurs stickers, par les résultats des voitures ou par leur très bref passage en compétition auto. Il y a aussi parfois des publicités un peu atypiques ou mystérieuses. Par exemple, intéressons-nous à deux d’entre elles, apparues à peu près en même temps et qui appartiennent à la grande famille des produits synthétiques dérivés du pétrole.
Les tissus synthétiques
C’est avec l’avènement du pétrole au début du XXe siècle que l’on a commencé à produire des fibres synthétiques. La toute première commercialisée fut le nylon en 1938, par DuPont de Nemours. Elle fut popularisée auprès des femmes (et des hommes !) par les bas, les fameux bas nylon. Puis vinrent notamment les fibres acryliques et le polyester.
Comme la plupart des enfants des années 70, j’ai connu les joies des sous-pulls à col roulé produisant de l’électricité statique à foison. Pour moi le responsable de ces désagréables décharges s’appelait Trevira. C’était le nom de la fibre de polyester produite par la branche textile de la firme allemande Hoechst, pour laquelle travaillait mon père, qui nous en équipait de pied en cap.
Chaque grand pays se devait d’avoir son polyester et donc l’appellation variait selon les pays. Aux Etats-Unis régnait le Dacron de DuPont de Nemours, au Royaume-Uni c’était le Térylène d’ICI (Imperial Chemical Industries). En France, la version locale fut le Tergal, (polyesTER GALlicus, soit polyester gaulois), que la firme Rhodiacéta produisit à Besançon à partir de 1954. Doux au toucher, résistant et infroissable, le Tergal fut très en vogue dans les années 60 et 70. C’est de l’autre côté des Pyrénées que vint l’impulsion d’associer cette fibre à la course auto.
TERGAL
Créée à la fin des années 60 en Catalogne, l’Escuderia Montjuich rassemblait plusieurs gentlemen drivers. Après s’être lancée en 1969 dans les courses internationales d’endurance avec une Ford GT40 rouge (l’ex AM-GT2 de Paul Hawkins) dépourvue de publicités extra-sportives, l’écurie décide de viser un cran au-dessus pour 1970. Direction Maranello pour acquérir la 512 S n° 1002, le premier des 25 exemplaires produits pour l’homologation. Sans doute le prix de la belle (4 millions de pesetas, environ 320 000 francs de l’époque) a-t-il motivé le recours au sponsoring. Il se trouve que parmi les principaux sociétaires de l’Escuderia figuraient les frères Juncadella, José Maria et Javier. Ceux-ci étaient propriétaires d’une grosse usine textile produisant de nombreux articles en Tergal. Les couleurs promotionnelles du Tergal étant depuis longtemps le jaune et le vert, la 512 va adopter ces couleurs. Celles-ci seront désormais pour plusieurs années emblématiques de l’Escuderia Montjuich.
Le spider fait ses débuts aux 24 Heures du Mans avec un seul sticker Tergal sur le capot avant. Son abandon précoce ne décourage pas l’Escuderia. En effet, ce châssis 1002 va avoir une carrière bien remplie. Une fois reconditionné en version M, il connaît l’année suivante sa double heure de gloire : il mène brièvement les 24 heures du Mans et termine 2e du Tour de France auto derrière la Matra de Larrousse-Rives. L’apport de pilotes professionnels réputés, Vaccarella au Mans et Jabouille au Tour Auto, pour épauler Juncadella n’est pas étranger à ces résultats flatteurs. Quant aux stickers Tergal, ils sont désormais nettement plus nombreux sur la carrosserie.
Faisant feu de tout bois, les années suivantes l’écurie catalane engagera, en endurance et en championnat d’Europe 2 litres, des prototypes Porsche (908/3), Chevron, Lola. Mais aussi en courses de côte et en rallyes des GT (De Tomaso Pantera au Mans, Porsche 914 au Monte-Carlo) et Tourisme (BMW 2002, Seat). Puis, les frères Juncadella cessent en 1976 leur soutien financier. Cela entraînera le déclin puis la disparition de l’Escuderia Montjuich en 1979.
Ajoutons enfin pour l’anecdote que Tergal fut, bien avant Marlboro, le premier sponsor non technique affiché sur une Ferrari F1. C’était au Grand Prix d’Espagne 1971. Pour cette épreuve José Maria Juncadella avait négocié avec Peter Schetty, le directeur sportif de la Scuderia, la pose de stickers Tergal sur l’aileron arrière des 312 B. Les 50 000 pesetas (4 000 francs de l’époque) furent partagés entre les pilotes, Andretti, Ickx et Regazzoni.
ROLANAFLOR
Fin 1970 Herbert Müller, le rouquin au cigare, achète pas moins de six Ferrari 512 S. Deux à Solar Productions, deux autres à la Scuderia Filipinetti et deux directement chez Ferrari. Il en fait reconditionner deux à Maranello en version M. Son idée est de piloter le châssis 1044 avec son compatriote René Herzog (décédé l’année dernière – DNF 2023). Pour l’autre, la 1008, il fera du « rent a car », au gré des occasions.
La 1044 effectue ses débuts en M en avril 71 aux 1000 km de Brands Hatch. Ce jour-là nombre de spectateurs ont dû se gratter la tête en voyant les stickers sur la voiture n°1. ROLANAFLOR, what’s the f… ?! Une tisane aux plantes ? un autre produit naturel issu des alpages suisses ? Pas du tout. En fait, il s’agit très prosaïquement de tapis et revêtements de sols. Ceux-ci sont produits à Reichenburg (canton de Schwyz, au sud de Zurich), dans l’usine E. Kistler-Zingg SA, dirigée par Roland Kistler, pilote amateur à ses heures. Créée en 1948, cette firme se veut à la pointe des avancées technologiques, notamment en matière de fibres synthétiques. Outre leur facilité de pose, les tapis Rolanaflor sont antidérapants, thermiquement isolants, insonorisants et élastiques au pas. En 1971 l’entreprise lance trois nouvelles gammes de produits sous cette appellation qui existe depuis déjà quelques années.
Soldée par une 4e place, juste devant sa cousine espagnole, cette première sortie en championnat du monde restera la meilleure pour la 1044. Ensuite, elle sera sérieusement accidentée fin mai aux 1000 km du Nürburgring et remplacée par la 1046. Sa sœur d’écurie n°1008 aura une carrière encore plus courte et connaîtra un sort funeste. Après l’avoir louée à Gianpiero Moretti (les volants Momo) pour les 1000 km de Monza, Müller la confie à Pedro Rodriguez afin de décrocher de belles primes de départ aux 200 Miles du Norisring le 11 juillet 1971. On sait ce qu’il advint. Cette tragédie influença-t-elle négativement Roland Kistler ? Possible (1). En tout cas, l’année 1971 fut la première et la dernière de Rolanaflor en tant que sponsor, du moins au plus haut niveau.
NOTE :
(1) Il faut dire que les 512 de Müller semblèrent avoir le mauvais œil tout au long de l’année 71. Le pire fut l’accident fatal à Rodriguez. Mais après la 1044 accidentée au Nürburgring, la 1046 le fut également à Zeltweg, puis à Watkins Glen.