Le retour des F1 à Zandvoort est un évènement qui, bien sûr, touche les fans de « Verstappen le Jeune » mais aussi les vieux briscards qui fréquentaient les dunes dès les années 60.
Notre ami Rossano Candrini, le modénais à la plume prolixe, profite de ce retour pour nous produire un souvenir comme Classic Courses les aime.
Nous avons tenté dans l’urgence de traduire cette note pour qu’elle colle à l’actualité.
Rossano Candrini
Traduit de l’italien par Jean Paul Orjebin
Ce dimanche, un Grand Prix de formule 1 sera de nouveau disputé à Zandvoort aux Pays Bas.
J’attends avec une certaine impatience cet événement, pas tant dans l’espoir d’y voir briller nos monoplaces au Cavallino mais plutôt la curiosité de voir comment vont se comporter les pilotes sur ces nouvelles courbes en banking.
Mais le motif encore plus fort est un souvenir de jeunesse, c’était il y a…56 ans.
Mario, mon Père, en cette année 1965 avait enfin accepté que j’aille voir un Grand Prix hors d’Italie, il se trouve que c’était le Grand Prix de Hollande, il faut dire que je l’avais épuisé par mes demandes répétées.
Plus d’une raison alimentaient la passion de mes 18 ans :
Chez Ferrari, le pilote leader était mon idole John Surtees, Champion du monde en titre de l’année précédente, et comme deuxième pilote, un valeureux Italien, Lorenzo Bandini.
En plus, le jeune Ingénier Modenese, Mauro Forghieri, venait remplacer la ′′ vieille garde ′′ à la direction technique de la gestion sportive à Maranello – Si bien d’ailleurs, qu’il ramènera le championnat du monde des constructeurs à la maison seulement deux ou trois ans après que le Commendatore lui eut confié la mission.
Je rappelle, pour les plus jeunes, qu’en 1961 à la suite de la ′′ purification ′′ survenue à la Casa Ferrari de certains cadres dirigeants, dont la direction technique conduite par Carlo Chiti, le Commendatore avait nommé responsable de la conception des voitures de course Ferrari un tout jeune Diplômé Mauro Forghieri. Il avait 26 ans.
Mamma mia, Directeur technique de Ferrari à 26 ans !!!
Quel flair a eu Enzo Ferrari et pas seulement à cette occasion.
Les déclarations faites à plusieurs reprises récemment par Mauro Forghieri expliquent la perplexité qu’il avait ressentie à l’époque à propos de cette énorme responsabilité que lui avait confiée Ferrari.
Mais retournons à Zandvoort en 1965, pour vous dire que ce qui me rend ce souvenir inoubliable est qu’il s’agit de mon premier voyage en voiture et pour un Grand Prix hors de l’Italie. Dans ces années-là l’Union Européenne n’existait pas, donc douanes, passeports, et devises étaient nécessaires pour les pays à traverser.
Evidemment, pas de GPS, seulement les cartes routières et l’insouciance de mes dix-huit ans. Mais ça a fonctionné correctement, ce, malgré ma maitrise de la seule langue italienne et du dialecte modénais.
Cesare Casarini, employé dans la firme de mon père, fut la seule condition que Mario m’ait imposée. Pour consentir au voyage, il devrait m’accompagner.
Je devais accepter d’être « chaperonné » par Cesare. Aujourd’hui je plains sincèrement ce brave collaborateur qui a dû se contenter d’être passager, je ne lui ai jamais laissé le volant sur les plus de 2000 km de ce voyage Modène Zandvoort aller et retour. Passager courageux d’un jeune conducteur dont le permis n’avait que quelques mois. Le voyage s’est bien passé et le quatre cylindres refroidi par air de ma Porsche 356 S90 n’a jamais montré de signes de fatigue.
Moi non plus, nous nous sommes arrêtés juste pour faire des pleins d’essence et quelques pauses pipi. Hôtel à Haarlem tout près de ce circuit réalisé dans les dunes sableuses de la mer du Nord.
Cesare, malchanceux jusqu’au bout, victime d’une grosse fièvre passera les trois jours du GP dans sa chambre d’hôtel.
Je me retrouvais donc tout seul à l’entrée de Zandvoort ce vendredi matin quand je vis arriver la Peugeot break de l’Ecurie Ferrari. En criant bien fort, je signalai ma présence, la 404 s’arrêta . J’ai compris ce jour-là que le meilleur laisser-passer qui soit est le dialecte modénais. Les mécanos ont ouvert le hayon et m’ont dit de m’assoir au milieu des pneus et des pièces détachées, je suis rentré sur le circuit assis à l’envers les jambes pendouillant à l’extérieur, le roi n’était pas mon cousin.
Un mécanicien de Ferrari m’a conseillé de prendre place à l’intérieur du virage Tarzan m’expliquant que c’était le meilleur endroit pour voir les dépassements. Le vent de la mer du Nord, le sable dans les yeux et dans les cheveux, ainsi que sur la piste, les vendeurs de harengs fumés et de bière, constituent ces souvenirs exotiques jamais oubliés.
Deux jeunes bénévoles de la Croix-Rouge, très mignonnes, cheveux blonds et sabots de bois caractéristiques sont pour toujours gravées dans ma mémoire.
Elles m’ont offert quelques drapeaux de leur belle terre des Pays-Bas.
Malheureusement, je ne les ai jamais retrouvés, ils ont peut-être fait partie des ′′ trophées » saisis par Nicoletta que je devais épouser deux ans après.
La course n’a pas été bonne pour nous les Ferraristes, nous courrions avec une douze cylindres pilotée par le Champion du Monde Surtees qui a dû abandonner (1), et une deuxième monoplace avec Lorenzo Bandini à son volant motorisée par un huit cylindres, qui a fini à un tour.
Nous sommes repartis le lundi matin pour Modène, heureusement la fièvre de Cesare était passée, il m’a tenu compagnie avec sa bonne humeur dont je me souviens encore, plus jeune, il avait été chanteur dans divers dancings de notre province.
La nuit était déjà bien avancée quand nous sommes arrivés à Modène, mais la fatigue du voyage n’a pas été suffisante pour effacer de notre mémoire Clark qui a gagné la course et le championnat de cette année-là, Graham Hill qui avait fait la pole et tous les autres pilotes de ces inoubliables années 60.
Plaise à Dieu, je regarderai certainement la course dimanche prochain et serai curieux de voir le comportement des monoplaces dans les bankings de Zandvoort. Mais je ne me fais pas d’illusions pour ma marque de cœur.
Je pense que je vais essayer de voir dans le public si, par hasard, une jeune femme de la Croix Rouge aux cheveux blonds en sabots de bois est toujours en service.
Texte de Rossano Candrini, traduit de l’italien par Jean-Paul Orjebin
- Rossano emporté par la passion garde le souvenir d’un abandon, en fait Surtees termine 7ème à 1 tour. Pour notre ami, une Ferrari à 1 tour équivaut à un abandon