Modène et plus largement la Motor Valley est une terre de génie. Dans l’ombre et autour des grands constructeurs se sont établis quantité d’établissements souvent familiaux qui œuvrent discrètement pour l’automobile et les sports mécaniques.
Grâce à notre ami Lauro Malavolti, nous avons eu la chance de visiter l’une d’elles particulièrement prestigieuse, nichée via Gandhi au milieu d’une des zones industrielles modénaises, la maison Schedoni, icône de la maroquinerie de luxe pour l’industrie automobile de prestige.
Jean Paul Orjebin
Simone Schedoni, le patron, nous accueille d’un large sourire et présentation faite, nous fait visiter ses ateliers. Dire que des arômes de cuir nous saisissent dès les premiers pas semblera être un lieu commun éculé, je sais, je sais et pourtant impossible de vous transporter dans l’ambiance sans évoquer cela. Impossible également de ne pas parler d’un autre sens flatté chez Schedoni, le toucher. Le velouté des peaux, leur souplesse, leur finesse, la délicatesse d’un grain, le raffiné d’un tannage. Une évidente sensualité des matières travaillées ici contraste avec le décor de l’atelier somme toute de facture fonctionnelle.
Cette belle affaire démarra quatre générations plus tôt à Formigine, petit village proche de Modène. En 1880, Celso Schedoni s’installe comme cordonnier et fabrique de manière artisanale des souliers pour homme, son fils Giuseppe prendra sa suite et transfèrera l’activité à Modène. Puis viendra Mauro qui par hasard fera prendre un virage étonnant à cette belle petite affaire familiale.
A l’été 1976, un membre de la famille, un oncle, achète une Ferrari 308 GTB et se plaint auprès de Mauro de la difficulté de faire entrer les bagages dans le coffre pour un voyage d’une dizaine de jours en Toscane.
Mauro, pour se débarrasser de son cousin, oublie de rappeler la belle réponse de Sergio Scaglietti au Roi Leopold pour le même problème :
« Ce n’est pas le coffre qui est trop petit, ce sont les valises de la Reine qui sont trop grandes ».
Mauro grommelle que sa charge de travail ne lui permet pas de fabriquer si vite une série de valises, mais en douce prend les mesures exactes du coffre de la Ferrari et entreprend en secret la fabrication de bagages ad hoc. Au Noel 76, l’oncle Franco, l’heureux propriétaire de la 308 trouvera au pied du sapin, un ensemble de valises parfaitement adapté aux dimensions de sa rossa.
Modène est un village, la belle histoire sera vite connue par Enzo Ferrari qui invitera Mauro afin de décider si un partenariat est possible.
La première rencontre entre les deux hommes aura lieu en 1978, l’idée étant de faire confectionner par la maison Schedoni la couverture de l’agenda Ferrari 1979 et pour cela de choisir un joli cuir. L’affaire se traite autour d’une bonne assiette de Tortellini in brodo et de quelques verres de Lambrusco, Mauro en remerciement offrira une bouteille de son excellent vinaigre balsamique.
Simone Schedoni, le fils de Mauro s’amuse à raconter le deuxième rendez-vous et l’œil noir de Ferrari en direction de son père lorsqu’il pénétra dans le bureau sombre de Maranello.
– « Cela ne va pas du tout Schedoni » On peut facilement imaginer Mauro, brusquement dans ses petits souliers
– « Qu’il y a-t-il Commendatore ? »
– « La dernière fois, vous m’avez donné une bouteille d’aceto balsamico n’est-ce-pas » ?
– « Exact Commendatore »
Un grand sourire malicieux éclaire subitement le visage du Grand Vieux
– « C’est deux flacons qu’il me faut, un pour la maison et un que je laisserais au Cavallino, il est vraiment excellent votre aceto, Schedoni. »
Nous saurons que Ferrari laissait les serveurs du Cavallino proposer à ses invités l’Aceto maison et discrètement se faisait servir l’aceto Schedoni pour lui seul.
Apres cette « période d’essais » et l’accord pour la confection de divers objets promotionnels en cuir pour la maison de Maranello, Mauro Schedoni prendra précisément les mesures des coffres des autos produites a Maranello pour confectionner les bagages qui les occuperaient de manière optimale. Ces dimensions pouvant être différentes pour un même modèle, par exemple la 308 destinée au marché américain et dotée d’un pot catalytique avait un coffre plus petit que le modèle européen, de même que la 400GT dont le système d’air conditionné pouvait varier. Un vrai métier de métreur en plus d’être Maitre maroquinier.
En 1983, la Gestione Sportive fait appel aux Schedoni afin de couvrir de cuir les baquets des F1. Apres de nombreux essais, c’est un cuir de daim qui sera retenu. C’est la matière qui offre le meilleur grip et absorbe le mieux la sueur. Malgré cela, il était nécessaire de changer ces housses de baquets tous les deux GP. Les Schedoni ont pieusement conservé ces housses-reliques.
Aujourd’hui, on les voit entassés sans précautions particulières, j’avoue avoir eu une sueur froide en imaginant une personne chargée du ménage, non informée, décidant de jeter aux ordures ce tas de chiffons impropres et encombrants…
Lorsque Tambay quitta Ferrari pour Renault, il souhaita rester en contact avec les Schedoni et obtenir le même cuir de baquet sur la RE50. Mauro prudent et diplomate préféra en parler au Commendatore avant de commettre un impair, il s’entendit répondre « Non Schedoni, je veux qu’il se souvienne qu’il était bien assis dans la Ferrari »
Maintenant, les pilotes pour gagner 200g sont assis directement sur la fibre de carbone mais la collaboration avec la Scuderia n’a pas cessé. Ils fournissent les coussins de protection que les pilotes ont aux bras et aux jambes. Ils ne sont plus en cuir mais en tissus Nomex.
En son temps, Mauro n’oubliant pas son métier de cordonnier, avait confectionné pour Michael Schumacher (le bien nommé en l’occurrence) qui s’était blessé au GP de Grande Bretagne 99, une coquille en fibre de carbone adaptée au contrefort et talon de sa bottine. Cette pièce rigide protégeait son talon meurtri. Ceci au grand dam de Nike, la coquille cachait quelques centimètres du logo.
En janvier 2021, le décès de Mauro Schedoni à l’âge de 78 ans provoque une grande tristesse dans la Motor Valley, c’est son fils Simone qui prend les rênes de la maison avec sérieux et compétence.
Maintenant la principale activité de la trentaine de collaborateurs qui travaillent pour la Maison Schedoni est la confection de bagages sur mesure pour les marques de prestiges.
Ferrari évidemment représente une belle part de leur chiffre d’affaires, mais aussi Lamborghini depuis le succès de l’Urus, pour laquelle ils fabriquent la valise destinée aux concessionnaires présentant, à partir du nuancier des peintures, les divers cuirs possibles, passepoils et fils couture.
Bentley, Aston Martin, McLaren ont leurs bagages adaptés. Simone passe un à deux jours par mois en Angleterre, pour mettre à jour ses bases de données. Pour chacun de ces constructeurs, il s’approvisionne en peau chez leurs propres fournisseurs, ce qui représente un stock de cuir assez impressionnant.
On peut s’attarder sur le set, proposé aux clients Rolls-Royce, en particulier sur la valise à roulettes. Il fallait bien sûr que ces mesures extérieures s’adaptent parfaitement au coffre et au reste des autres valises composant l’ensemble, ça c’est relativement simple. Pour l’intérieur, ce fut plus pointu. La guilde des majordomes anglais a été contactée afin qu’elle donne les dimensions précises d’une chemise pliée comme doit l’être celle d’un gentleman gardant un minimum de maintien. Pas la peine de préciser que les roulettes de ces valises possèdent un système de masselottes qui permettent à l’enjoliveur RR de rester toujours vertical et lisible, comme sur l’auto, what else !
Pour les bagages destinés au voitures produites par l’ami et voisin Oracio, sur chaque vis en titane, le logo Pagani est gravé au laser
La McLaren Speedtail a été produite en douze exemplaires, n’est-ce pas ? et bien Schedoni a fourni 8 sets de bagages, bien vue la part de marché !
Nous allions évoquer les spécificités des bagages destinés aux Bugatti lorsque Simone interrompt la visite et nous accorde une confidence sur la modification de la clientèle ces dernières années.
Nous avons moins de collectionneurs passionnés par l’automobile de sport, de plus en plus notre clientèle rajeunie, nous rencontrons de jeunes hommes d’affaire en tee shirt et sneakers. Certains par exemple pourraient hésiter entre une McLaren et une Bugatti, ce qui les fera basculer sur l’une plutôt que l’autre, ce ne sera pas le 400m départ arrêté ou le couple du moteur, mais la facilité à raccorder l’IPhone sur la voiture.
Simone après cet aparté reste coi mais il me semble discerner un fond de tristesse dans le regard.
Nous passons à proximité d’une ouvrière, je devrais dire une artiste, elle coud à la machine une valisette, la précision de son travail est impressionnante, elle reste totalement concentrée, les yeux rivés sur son ouvrage, nous n’existons pas. Chapeau l’artiste.
Il faut compter 150 heures de travail pour achever un set de trois valises, cela explique le prix de ventes d’environ 45 000 € facturé par les marques constructeurs, Schedoni ne vendant jamais en direct au client final.
La collection de bagages destinés à la Bugatti Chiron est étalée devant nos yeux, sur les flancs de chaque sac est gravé le fameux éléphant, hommage d’Ettore a son frère Rembrandt. De chaque sac sauf un, celui du footballeur Cristiano Ronaldo sur lequel au lieu de l’éléphant sont gravés ses initiales et un numéro, sans doute celui de son maillot. Vanitas vanitatum et omnia vanitas. L’aparté de Simone prend ici un sens concret.
En Italie, dès sa naissance le petit italien est confronté à l’Art, omniprésent dans son pays, sa région, sa ville, sa rue, ça te forge un homme. En Emilie Romagne, il est mêlé également au monde de l’entreprise familiale, dynamique, réactive, inventive, sans lourdeur administrative. La maison Schedoni est l’exemple parfait de cette synthèse, esthétique, élégance, respect de la tradition, modernisme : Cuir, Titane et Fibre de Carbone.
Forza Schedoni !
Jean-Paul Orjebin