Fiorano
20 décembre 2020

Test secret à Fiorano jour d’Epiphanie


Rossano assiste aux premiers tours de roues de la 126 CK, l’air est glacial à Fiorano ce 6 janvier 1980 , en revanche, l’ère turbo chauffe les esprits.

Jean-Paul Orjebin, traducteur des souvenirs de Rossano Candrini

Dans la même série :
Rossano Candrini 1
Rossano Candrini 2
Rossano Candrini 3
Rossano Candrini 4

Nous sommes à la fin de l’année 1979, Dino Tagliazucchi, le chauffeur du Commandatore, vient me rendre visite à l’atelier au 117 de la via Emilia Est. Il m’apporte le précieux et traditionnel agenda annuel que Ferrari offre et dans lequel sont écrits les vœux du patron. Il en profite pour me remettre une très agréable invitation pour assister à un test   ′′ top secret ′′ à Fiorano … il y a des gens comme ça.

Sur l’invitation une date : Le 6 janvier 1980. Ce jour-là dans les premières heures de l’après-midi, sur la piste à Fiorano, la nouvelle monoplace 126 CK effectuera ses premiers tours de roues. Pour cette occasion, le test sera confié au pilote canadien Gilles Villeneuve. L’Écurie, qui courra pour le Championnat de F1 avec la version T5 dotée du moteur 12 cylindres atmosphérique, décida simultanément de poursuivre le développement de la monoplace avec le moteur 1500 cc turbocompressé.

Dino Tagliazucchi me dit qu’aucune information de cet événement ne sera annoncée, que le 6 janvier est férié, c’est Befana (L’Epiphanie), cela garantit l’absence de la Presse et finit en me disant que si j’accepte cette invitation, le Commandatore qui sera présent pour ce test aura le plaisir de vous saluer.

Impossible pour moi de recevoir un plus beau cadeau que celui-là.

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Enfin, le 6 janvier 1980 tant attendu arrive. Ma Porsche turbo rouge a franchi les portes de Fiorano peu après 13 h. Je l ‘ai garée comme d’habitude à l’intérieur de la piste dans un petit espace que je connais bien, destiné aux voitures des visiteurs. C’était un mois de janvier très froid comme souvent chez nous. Le soleil qui peinait à nous réchauffer offrait un peu de lumière mais semblait être avalé par notre visiteur habituel en hiver  

 ′′ Nebia « , le brouillard.

Emmitouflé dans mon Loden vert, j’atteins les boxs. Seule personne présente, ce bon Giorgio Ferri, directeur de la piste et qui officie également en tant que secrétaire du Commandatore, ici dans l’enceinte de Fiorano.

« Oh,Candrini al vegna pur deinter » (1)  « Oh Candrini  allez viens à l’intérieur »  , je m’exécute et nous attendons au chaud que les autres arrivent. Ce sera en premier le pilote canadien, puis Enzo Ferrari avec son fils Piero, puis très vite Forghieri, Tomaini et un petit détachement de mécaniciens fidèles.

 Pour tromper l’attente de la voiture pas encore arrivée et se réchauffer, Gilles enveloppé dans son blouson entreprend de faire un peu de footing. Le souffle de Villeneuve se mêlait joliment au brouillard qui nous entourait. En janvier, la lumière du jour n’est pas forte et la monoplace, comme chaque premier rendez-vous avec une jeune femme se faisait attendre. Le temps de passer quelques coups de fil à l’usine et un camion porteur, avec la 126 CK dessus, arrive au box. Avec un peu d’excitation et d’agitation, elle est déchargée et préparée pour être mise en piste.

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Fiorano
Gille Villeneuve (c) DR

Nous allions enfin entendre son rugissement. Gilles s’était déjà installé dans le petit habitacle. Ceintures et mise en route du moteur avec démarreur extérieur. L’ingénieur Forghieri se penche dans la monoplace et fait les recommandations à Gilles : » pas plus de deux tours, n’oublies pas de t’arrêter car nous devons faire des contrôles, et quand tu t’arrêteras, laisses tourner le moteur un instant avant de couper, je veux vérifier quelque chose et je ne voudrais pas me tromper.

C ‘est fait. Nous entendons le ′′ bruit ′′ un peu décevant, par rapport au hurlement du 12 aspiré. Mais il se fait pardonner très vite, l’accélération, les coups sourds de la soupape wasgate à l’occasion des surrégimes, que Gilles n’a pas tardés à nous faire à plusieurs reprises nous rassurent sur sa musicalité brutale.

Comme il lui avait été dit, le Canadien, après deux tours rentre au box, laissant pendant un instant le moteur tourner au ralenti.

L’émotion était au maximum pour moi, mais je crois aussi pour les autres personnes présentes.

Le Commandatore pas loin de ses 82 ans avait son sourire réjouit que j’ai souvent comparé à celui d’un enfant lorsqu’il a un nouveau jouet.

Pendant ce temps, le brouillard était vraiment tombé et il restait peu de lumière pour continuer à tourner. Fiorano n’a pas d’éclairage sur la piste. Un mécano présente le panneau de retour au box à Gilles, mais c’est mal le connaitre, il continue à enfiler les tours.

On dirait qu’il est déjà en osmose avec ce nouveau petit moteur semblant manquer de noblesse et pourtant de près de 800 chevaux.

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Les seules lumières que nous voyions étaient celles des rotors des turbines brûlantes couleur orange et les disques de freins brûlants. Enfin de retour, nous sentons cette odeur enivrante caractéristique que diffuse un moteur chaud à l’arrêt.

L’applaudissement spontané des quelques privilégiés présents réchauffa tout de suite   l’atmosphère froide de la piste de Fiorano, l’ambiance était à l’euphorie générale.

Giorgio Ferri débouche un magnum de vin pétillant Ferrari mis de côté pour l’occasion.

Moi, ne faisant pas partie de la Maison Ferrari, je me tenais à l’écart, un peu embarrassé, mais immédiatement Ferrari me fait signe de m’approcher et on me donne un verre pour participer au toast. Ce sont des instants de bonheur inoubliables.

Le brouillard, l’obscurité et le froid avaient été vaincus par un bel esprit de camaraderie cet après-midi à Fiorano.

 Nous avons assisté aux vagissements d’une nouvelle créature de Ferrari qui devait remporter deux grands prix l’année suivante, et dans mes lourds bagages de souvenirs, celui de ce formidable canadien hors classe.

*dialecte modenèse.

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