Quand Rossano Candrini se souvient des critiques émises par Gilles Villeneuve à propos de sa Porsche, il décide de commander une 288 GTO.
Jean-Paul Orjebin, traducteur des souvenirs de Rossano Candrini
Dans la même série :
Rossano Candrini 1
Rossano Candrini 2
Rossano Candrini 3
288 GTO
Courant 1984, je reçois de la part du Commandatore le dossier de presse de la 288 GTO. Ferrari démarrait ainsi une belle série de Supercars produites en nombre limité.
Ma curiosité attisée, je me suis rendu très vite à Maranello pour approfondir le sujet.
Pininfarina en modifiant peu la ligne de la 328 avait dessiné un chef-d’œuvre.
Petite, bien assise, avec ses passages de roues élargis, quelques balafres pour évacuer la chaleur des turbos, équipée d’une mécanique totalement nouvelle inspirée de celle appliquée en F1 de l’ère Turbo.
Je dois dire qu’à cette époque, j’en étais à ma deuxième Porsche 3.3 et que j’étais familiarisé aux intercoolers.
Ma première Porsche, rouge, magnifique, était allée plusieurs fois en « stage » à l’usine Ferrari.
L’Ingénieur Rossi, responsable du département Recherche et Développement, m’avait assuré que tout ce qu’ils démonteraient, ils le remonteraient à la perfection après l’avoir étudié attentivement.
Dans un deuxième temps, elle passa à Fiorano entre les mains de Dario Benuzzi le responsable des essais. Cela se déroulait un week-end à huis clos. Ces essais furent qualifiés de « grand moment d’humilité » par l’Ingénieur Ghidella qui cherchait à améliorer le comportement des voitures arborant le Cavallino en étudiant en profondeur les Supercars des concurrents.
Ghidella, en plus d’être le n° 1 à la Ferrari, était un ingénieur mécanicien, passionné par le produit automobile.
Il a lui-même essayé toutes les voitures présentes. Je suppose qu’il n’y a plus jamais eu une telle possibilité de comparaison.
J’ai réalisé tout cela en me rendant chez lui, une dizaine d’années plus tard, il avait été remplacé par Cesare Romiti. J’ai trouvé un ′′ retraité de luxe ′′, certes frappé par des deuils familiaux et de graves problèmes de santé personnels, mais toujours passionné par les voitures.
En lui remémorant les essais de toutes ces supercars à Fiorano , ses yeux se mirent à briller, et il m’étonna en me rappelant, une décennie plus tard, sa critique concernant le retard de l’alimentation du turbo de ma 3.3 et son accusation lourde concernant la boîte de vitesses à seulement quatre rapports..
Cette fameuse Porsche rouge a même eu l’honneur d’un autre essayeur de prestige, Gilles Villeneuve lui-même. Un jour où je rendais visite au Commandatore à Fiorano, je me suis garé comme d’habitude sur le petit parking à l’intérieur de l’enceinte, Giorgio Ferri, le directeur de la piste, vient vers moi et me demande si j’accepterais de laisser faire quelques tours à Gilles qui s’ennuyait en attendant que la 126 CK arrive de l’atelier pour un essai.
Je n’ai pas hésité à lui dire oui, même si un peu d’anxiété m’a envahi en imaginant dans quel état j’allais la récupérer, d’autant qu’elle était toujours en rodage !!! Mais ce détail ne concernait absolument pas le Petit Canadien.
Lui aussi critiquera les freins et pas mal d’autres choses.
Mais le plus dur de tous fut le Commandatore. Il faut dire qu’il n’a jamais eu de sympathie pour les voitures allemandes et pour Porsche en particulier.
Il m’a simplement dit qu’elle était difficile à inscrire dans les courbes et que c’était « un camion »
Bientôt nous ferons une voiture beaucoup mieux que ta Porsche me dit-il en conclusion. C’était vrai !
Quelques mois plus tard, en janvier 1985, je suis allé à Maranello chercher le 288 GTO que j’avais commandée, j’allais avoir 38 ans, cela me paraissait naturel, aujourd’hui je peux plus facilement comprendre à quel point j’ai eu de la chance dans ma vie.
Je suis parti seul et de suite de Maranello pour aller à Rimini au prétexte de vouloir voir la mer en hiver, au volant de cette 288 GTO rouge, rude, virile mais fascinante.
Le lendemain, je me suis aperçu que le carnet d’utilisation et d’entretien était de simples photocopies, cette auto appartenait au premier lot de voitures livrées.
Curieusement J’ai trouvé, oubliées dans la boite à gant deux notes manuscrites d’observations et de comparaisons entre le moteur utilisé par la 288 GTO et le 8 cylindres analogue suralimenté qui équipait le groupe C Lancia.
Je n’ai jamais vérifié si ces notes étaient de la main de l’Ingénieur Materazzi, il faudra que je lui demande, à l’occasion.
Je l’ai vendue deux ans plus tard en faisant une belle plus-value, aussi je me suis senti obligé d’aller avouer ma faute au Commandatore.
Encore une fois en me gratifiant de son sourire d’enfant il me dit : « Condrini, tu as bien fait, je t’en vendrai une autre encore plus belle et qui va plus vite »