Cette note intime, émouvante et nostalgique, explique en quelques lignes l’attachement indéfectible que Rossano Candrini portera à Enzo Ferrari, son mentor tout au long de sa vie. Elle permet de comprendre les notes qui suivront, certes parfois agiographiques mais toujours documentées et vécues au plus près qu’il est possible pour quelqu’un n’appartenant pas à la Scuderia.
Jean-Paul Orjebin, traducteur des souvenirs de Rossano Candrini
Dans la même série :
Rossano Candrini 1
Avoir ses entrées à Fiorano
Enzo Ferrari passait chaque après-midi à Fiorano, et quand ses pilotes testaient les monoplaces, c’était les moments qu’il préférait.
Nous nous connaissons bien le directeur de la piste, le bon Giorgio Ferri, et moi mais malgré mes nombreuses visites faites au Commandatore à Fiorano, je ne me suis jamais habitué, à chaque fois que je pénétrais dans cet endroit magique, je ressentais le plaisir, l’excitation et toujours une certaine crainte, la même que la première fois.
J’espère ne pas commettre de blasphème en affirmant qu’à chacune de mes visites, ma perception était semblable à celle que l’on ressent quand on entre dans un sanctuaire,
Ce qui m’a toujours étonné et que je trouve très agréable, à l’exception des séances d’essais des F1, c’est le silence et le calme qui y règnent, les rares privilégiés qui fréquentaient Fiorano et qui y travaillaient à l’époque du Commandatore avaient nommé le lieu ′′ Ermitage de Ferrari « , c’était bien vu.
Au milieu des années 70, un matin, le regretté Dino Tagliazucchi, chauffeur-aide de camp du Commandatore, vient me voir au bureau et m’apporte une enveloppe jaune pâle avec un petit cavallino noir au dos et sur l’enveloppe, mon nom écrit à l’encre violette, celle classique de Ferrari.
C’était une surprise pour moi, j’ouvre l’enveloppe avec fébrilité. A ma connaissance aucun événement important dans le monde des voitures Ferrari ne devait avoir lieu à cette époque. C’était mon anniversaire, à quelques jours près, le 12 mars mais cela ne pouvait justifier ni expliquer cette lettre.
Quelques lignes à l’intérieur, toujours à l’encre violette, accompagnaient une carte d’entrée permanente sur la piste de Fiorano inaugurée quelques temps auparavant.
La surprise a très vite été dépassée par une joie et un bonheur sans mesure.
J’avais 27 ans, les voitures de course et même de routes étaient ma passion, mon passe-temps le plus apprécié et Enzo Ferrari avait pensé à moi, ce cadeau d’anniversaire inattendu m’a ému et rendu fier, ce n’est pas tout le monde qui a l’accès à Fiorano !!
J ‘ai beaucoup profité de ce ′′ laissez-passer ′′ et par conséquent de la fréquentation du Commandatore.
J ‘ ai toujours senti comme un privilège d’entrer dans ce ′′ sanctuaire ′′ et d’accumuler avec le temps tous ces souvenirs avec les pilotes, techniciens, mécaniciens, toutes ces voitures formidables, toujours rouges bien sûr.
Et encore plus pour moi, les souvenirs de ces multiples moments intimes passés avec cet homme formidable, le Commandatore, ses sourires, sa curiosité pour des choses qui me paraissaient parfois futiles, j’étais jeune, je compris plus tard qu’il était un homme extraordinairement curieux et que tout l’intéressait au plus haut point.
Sa conversation me séchait et m’étonnait à chacune de nos rencontres, et pourtant il ne parlait que rarement de course ou de pilotes. Je n’ai jamais été déçu par nos conversations, au contraire j’avais pour lui l’attention qu’un étudiant porte avec plaisir à son professeur lorsque celui-ci a le don de l’empathie, de l’enseignement et la facilité de transmettre sa sagesse. Il m’a beaucoup donné de son savoir, jusqu’à la fin.
Un mois avant de nous quitter, en juillet 1988, par une journée plombée d’une chaleur étourdissante, il m’a convoqué à Fiorano, il souhaitait me faire un dernier salut en personne, moment inoubliable.
Je pense que c’est un véritable privilège d’avoir connu et fréquenté cette personne.