Le cru Rétromobile 2018 sera assurément un excellent millésime pour les amateurs de course que nous sommes. Monoplaces, sports, protos, pilote ou préparateur célébrés, tout concourt à laisser une belle impression au visiteur qui n’aura pas hésité à braver les rudes frimas de ce début février pour venir s’injecter sa dose annuelle de nostalgie mécanique à la Porte de Versailles.
Pierre Ménard
Indiscutablement, le salon Rétromobile se plaît bien dans ce hall 1, étendu cette année aux halls 1/2 et surtout 1/3 qui offrent un gain de place appréciable aussi bien pour les exposants que pour le public. Les ventes aux enchères, Artcurial et (nouveauté cette année) les « moins de 25000 € », profitent par exemple pleinement de cet espace agrandi dans les deux halls susnommés. Les stands eux-mêmes sont plus aérés (du moins pour les plus spacieux – donc les plus fortunés) et l’ensemble procure un plaisir décuplé. Plaisir qui commence dès l’entrée en matière avec l’immense stand Renault qui met en valeur quatre légendes.
Pour célébrer les 40 ans de la victoire Renault au Mans, le constructeur français a aligné le quatuor magique des Renault-Alpine de 1978, avec les casques des pilotes posés sur les pontons comme si les protos étaient prêts à faire siffler leurs turbos. On se rappellera que l’aventure du losange dans la Sarthe fut longue à aboutir, qu’elle ne fut pas sans émotions fortes en cette fameuse édition, mais que finalement c’est bien l’A442B n°2 de Pironi-Jaussaud qui l’emporta devant deux Porsche 936. Comme c’est également le 120e anniversaire de la naissance de la marque dans un cabanon du jardin de la propriété de la famille Renault à Boulogne-Billancourt, une belle rétrospective des modèles emblématiques routiers est proposée à cette occasion.
Avant de grimper dans les étages, nous ne pouvons pas ne pas faire un tour sur les traditionnels havres de beauté que sont les stands Fisken et Hüni. Comme à son habitude, l’Ecossais Gregor Fisken étonne par la richesse et la diversité de ses modèles exposés. On ne peut évidemment pas louper la superbe Brabham BT49D-Cosworth qui trône majestueusement en plein milieu, un modèle identique à celui avec lequel Riccardo Patrese enleva – à la surprise générale – le Grand Prix de Monaco 1982.
A ses côtés, la splendide BRM P25, la seule BRM à moteur avant à avoir gagné un Grand Prix (Pays-Bas 1959 avec Jo Bonnier) et selon Stirling Moss, qui était passé maître dans l’art d’essayer un peu tout ce qui se présentait sur les circuits d’alors, la « meilleure voiture à moteur avant qu’il ait jamais conduite ». Non loin de là, on fait un saut pharamineux dans le passé pour contempler la merveilleuse biplace américaine Mercer 35R de 1912, qui constitua, selon les dires, l’« archétype de la voiture de course avant-première guerre mondiale pour playboys » !
Le stand du Suisse Lukas Hüni regorge, lui, de rutilantes Ferrari 250 GT SWB (pourquoi se priver quand on peut, hein ?) toutes plus belles les unes que les autres, mais celle qui attire immédiatement l’œil est la curieuse 250 GT Passo Corto « shark nose » bleue de 1962. Comme par provocation, elle est surélevée par rapport à ses consœurs, comme pour laisser tomber avec un brin de fierté : « Voyez, j’existe bel et bien ». Provocation ? Eh oui, car la belle ne fut pas dessinée par Pininfarina, mais par Bertone, qui ne récidivera pour Maranello que bien plus tard en 1973 avec la très contestée 308 GT4 qui fit couler beaucoup d’encre et parler autant. Je suis sûr que là-aussi, certains trouveront matière à redire au vu de cette 250 GT Bertone assez méconnue.
Chez William I’Anson, où officie notre amie Carol Quiniou, une agressive BRM P160 ex-Ganley nous accueille dans sa livrée Marlboro, côtoyant la « granny », mais toujours aussi élégante, Lotus 16 de 1958, premier coup de crayon « inspiré » de Colin Chapman pour sa marque en Formule 1 (si l’on considère que la Type 12 n’était qu’une sorte de coup d’essai).
Non loin de là, l’horloger Richard Mille a eu l’excellente idée de rendre hommage à Bruce McLaren, et la marque éponyme qui lui survécut, avec de très beaux modèles rarement vus ici : la toujours élancée M23 (ici un modèle de 1975 ex-Fittipaldi), la monstrueuse M8D de 1970 qui rafla tout en Canam, la M2B, toute première Formule 1 de Bruce, l’ultra-fine MP4/4 qui permit à Senna et Prost de tirer complètement la couverture à eux en 1988, et la remarquable McLaren F1 GT01R qui triompha des éléments – et de la concurrence médusée – au Mans en 1995.
Nous montons ensuite vers les étages pour aller découvrir deux hommages rendus à deux visionnaires, l’un pilote l’autre préparateur. Après avoir traversé la passerelle – et observé avec quelque inquiétude les flocons tourbillonner violemment sur le périphérique anesthésié – sur laquelle sont rassemblés une dizaine de modèles de voitures de records, allant des Voisin des années vingt à la 208 T16 Pikes Peak de 2013, en passant par un prototype 2CV Barbot de 1952, une Panhard Levassor 35CV de 1934 ou une Isetta Velam de 1957, nous traversons le Hall 1/2 pour gagner le 1/3 où est installée la rétrospective Jean-Pierre Wimille.
Wimille était non seulement un pilote de tout premier plan, mais aussi un homme qui avait su se projeter dans le futur en concevant sa fameuse JPW routière de Grand Tourisme dont on vous a longuement parlé lors de deux précédentes notes en 2015 (Interview Hervé Charbonneau (1), et Musée de Rochetaillée (2)).
Intérêt de cet hommage, les trois modèles fabriqués sont présents sur le salon (3). Le pilote lui-même est dignement célébré avec trois modèles emblématiques : la Bugatti 59/50B de 1939 avec laquelle il gagna la Coupe de Paris en 1945, offrant ainsi à Bugatti sa toute dernière victoire, l’Alfetta 308 de 1938 avec laquelle le Français enleva plusieurs Grands Prix entre 1946 et 1948 (4), et la Gordini T15 qui lui apportera le meilleur avec des victoires, mais aussi, hélas, le pire avec la mort rencontrée sur les bords du circuit de Palermo à Buenos Aires.
A quelques mètres de là, c’est un coup de chapeau au plus génial des préparateurs italien qui est donné par le salon. Né en Autriche il y a 110 ans, Karl Abarth, plus connu sous le nom de Carlo Abarth, collabora avec Porsche et Cisitalia avant d’ouvrir sa propre officine en 1949 à Turin. Le fameux blason au scorpion sur fond rouge et jaune va devenir synonyme d’amélioration significative des performances sur beaucoup de petites voitures, mais aussi de présence sur les circuits avec des modèles de la marque. Sur un grand espace divisé en deux, la collection Engelbert Möll offre un nombre intéressant et varié d’entre eux, allant des protos 2 ou 3 litres aux « bombinettes » issues de Fiat en passant par les voitures de records, car, en véritable touche-à-tout, le constructeur turinois a aussi titillé les chronomètres dans plusieurs catégories.
Il y a évidemment bien d’autres choses à déguster dans ce Rétromobile 2018, mais en trois heures de soirée « presse », c’était ce qui me paraissait prioritaire à montrer. Après un petit bonjour aux amis du Tourisme en Limousin (Hall 1/2 – allez, un peu de pub !), il était temps pour moi de regagner mes Yvelines enneigées. Deux heures plus tard, je touchai au but, véritablement pas fâché d’avoir triomphé de tous les pièges de la circulation de la banlieue parisienne engluée un soir de neige intensive. Quand j’ai entendu le lendemain que des gens avaient passé la nuit dans leur bagnole sur la N118, je me dis que j’avais eu du pot, finalement !
Consultez également l’article complet de notre visite au Retromobile Paris 2018.
(1) https://www.classiccourses.fr/2015/02/retromobile-2015-la-wimille/
(2) https://www.classiccourses.fr/2015/06/lautre-wimille/
(3) La JPW 01 du Musée de Reims, la JPW 02 du Musée Malartre de Rochetaillée, et la JPW 03 de la Cité de l’Automobile de Mulhouse.
(4) Rappelons qu’en 1948 si le championnat du monde des pilotes avait existé, Wimille aurait eu la couronne grâce à ses succès avec l’Alfetta, la version réactualisée en 1948.