Comme chaque année, Rétromobile fait la part belle aux artistes rassemblés dans « leur » galerie. Cette édition 2017 n’a pas fait exception à la règle, et deux démarches diamétralement opposées ont attiré notre œil : la Bugatti au grattage et Michel Vaillant au tirage.
Pierre Ménard
Les toiles sont noires, grandes, et les silhouettes élégantes. Approbateur ou réfractaire, le regard ne peut ignorer ces immenses tableaux à nuls autres pareils qui représentent une époque où les voitures d’Ettore brillaient sur les circuits et sur les routes. Présent pour la première fois à Rétromobile, Etienne Salomé est un passionné transi de Bugatti, et il sait un peu de quoi il parle : il est, ni plus ni moins, le directeur du département du design intérieur chez Bugatti depuis deux ans !
Etienne Salomé : C’est un petit peu une « récréation » pour moi. Quelque chose qui m’est personnel. C’est une recherche des formes pures, de la perfection qu’il y avait à cette époque dans les carrosseries françaises, et que je pense qu’on a un peu perdu de nos jours. C’est aussi l’Histoire : la Type 35, ou la 37 avec ses phares et ses garde-boues, ce sont quelques-unes des icônes de la marque. C’est comme ça que Bugatti a construit son succès en ayant gagné plus de 2500 courses ! Monsieur Bugatti disait : « On peut gagner la course le dimanche et vendre la même le lundi ». Là, j’ai également un élément qui est un moteur de Type 57, 8 cylindres double arbre, qui est vraiment LE moteur de monsieur Jean, car Ettore ne voulait pas du double arbre. Quand on soulève le capot d’une Bugatti, c’est aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et quand on parle d’art et de Bugatti, nous avons cet éléphant qui est l’éléphant dansant de Rembrandt, le jeune frère d’Ettore qui le lui avait donné. Ettore l’a utilisé comme mascotte pour orner toutes les « Royale ». Et pour finir, on a là un très grand format puisqu’il mesure 5 x 1,5 m et qui représente un départ à Montlhéry, on voit le virage relevé tout au fond…
Classic Courses : On dirait qu’il pleut…
ES : Peut-être… vous le voyez comme ça…moi je le vois comme dans un rêve, assez expressif malgré tout. Je voulais faire quelque chose de grand et large pour donner au spectateur l’impression d’être dans la scène. C’est un peu le principe de la carte à gratter, sauf que c’est un peu plus grand. En fait, ce qu’on a là, ce sont des plaques d’aluminium qui ont subi un traitement spécial qui permet de faire ce noir mat. Ensuite, je grave avec des outils différents pour faire ressortir les images, pour dessiner avec la lumière. L’idée était de revenir à des matériaux d’origine, des matériaux authentiques, de ceux avec lesquels on fabrique les voitures. Ça doit rester une méthode unique, comme une Bugatti. Tous ces tableaux sont en exemplaire unique, ils ne seront pas reproduits, ni imprimés.
CC : On sent la même vibration de ces photos hésitantes de l’époque sur celle de la voiture qui entre dans le tunnel…
ES : Oui, c’est le Grand Prix de Monaco 1929, avec monsieur Grover Williams qui entre dans le tunnel, puis l’autre vue où il sort du tunnel. Ce sont des grands formats qui font 2,25 x 1,50 m. C’est censé donner quelque chose de plus expressif qu’une photo normale. C’est la première fois que je fais une exposition ici à Rétromobile, car je suis par ailleurs chef du design chez Bugatti. Du coup, de faire une Bugatti qui gagne le premier Grand Prix de Monaco, en 1929, ça prenait vraiment tout son sens pour l’exposition.
A l’exact opposé de Etienne Salomé, tant artistiquement que géographiquement parlant dans la galerie, Guillaume Lopez expose pour la première fois sous son nom. Guillaume est surtout connu des fanatiques de Michel Vaillant pour avoir œuvré chez Jean Graton pendant vingt ans. Mais pas que. L’homme possède d’autres styles sur sa palette. Chose amusante : le dessin n’était pas sa priorité à l’origine.
Guillaume Lopez : J’ai appris un jour que tout petit, je ne voulais pas m’endormir si on ne mettait pas mes petites voitures dans mon lit, c’est te dire si je suis dingue de voitures depuis toujours ! Ce qui est drôle, c’est que personne dans ma famille n’était passionné de voitures. Parfois les passions, on ne sait pas d’où ça vient, c’est complètement inné.
Classic Courses : Donc, tu dessinais des voitures dans les marges de tes cahiers…
GL : Non, parce que j’étais passionné de voitures, pas de dessin. Le dessin est venu bien plus tard et ça a été un moyen d’être dans le milieu automobile et celui de la course. Moi, je voulais être pilote, pas dessinateur. Bon, j’aimais le dessin car je me suis passionné, comme beaucoup, pour les aventures de Michel Vaillant, mais j’avais déjà 17/18 ans. J’ai fait plusieurs volants, Winfield, Marlboro, etc., mais comme je n’ai pas gagné et que parallèlement je commençais à dessiner pour Michel Vaillant, j’ai donc continué dans le dessin. Mais ma vraie passion, c’est l’automobile.
CC : Comment es-tu arrivé à dessiner pour les studios Graton ?
GL : Je suis carrément allé montrer à Jean Graton ce que je faisais. Il m’a donné quelques conseils et m’a proposé de revenir le voir l’année suivante. L’année suivante, il trouve que j’ai fait des progrès mais me renvoie une nouvelle fois chez moi. Et là quelques jours après, il m’appelle en me proposant de dessiner les voitures pour lui, car Clovis qui s’occupait de cette tâche avait décidé de s’en aller. Graton faisait le scénario et dessinait les personnages, et Christian Lippens dessinait les décors. J’ai dessiné une vingtaine d’albums, de 1983 à 2003.
CC : Tu es aussi affichiste pour des manifestations automobiles, est-ce la notoriété Vaillant qui t’a amené à cet exercice ?
GL : Non, déjà du temps de Vaillant je faisais déjà des affiches, des choses comme ça. Bosser pour Michel Vaillant, c’était quand même une bonne carte de visite. Disons qu’après Vaillant, j’ai beaucoup plus d’affiches pour des événements, des courses, le WTCC pendant pas mal d’années, pour l’ACO, etc.
CC : Tu es sorti du style « Vaillant » pour proposer quelque chose de plus personnel. C’était un désir naturel d’évolution ?
GL : Non, pas vraiment, en fait j’adore le style Michel Vaillant. J’ai un style plus réaliste à côté, c’est vrai, mais me continue toujours à dessiner comme ça. Si j’ai fait du Michel Vaillant pendant vingt ans, c’est que ça me correspondait, et c’est devenu un peu mon style en quelque sorte.
CC : Dans tes illustrations, tu magnifies les voitures (Matra 68, Ferrari 68) mais aussi les moteurs (Ferrari). Tu t’intéresses à la technique plus qu’aux hommes derrière ?
GL : Non, j’aime bien les deux, j’aime bien les histoires d’hommes aussi. Ce qui m’inspire, ce sont les voitures et les pilotes mythiques, un peu comme tout le monde c’est pas très original, mais en même temps ça a le mérite de parler un peu à tous. C’est pour ça que je fais maintenant des illustrations que je reproduis sur litho : quand on travaille sur commande, on ne fait en fait jamais ce qu’on veut. C’est assez frustrant. La lithographie, c’est un bon moyen de se faire plaisir tout en se créant du travail soi-même.
CC : Tu dessines aussi bien des F1, actuelles ou anciennes, que des protos ou des GT. Quelles sont les voitures qui te procurent le plus de plaisir à dessiner ?
GL : J’aime tout, même si pendant longtemps j’étais surtout sur les modernes. Mais depuis quelques années, il y a de plus en plus d’événements historiques où on me demande de dessiner des voitures anciennes. Et j’y ai pris goût. Par contre, pour être honnête, quand il s’agit de les conduire, je préfère quand même les récentes (rires). L’avantage de ce boulot est que, de temps en temps, je suis invité soit en passager, soit au volant. Ça permet de compenser – en partie – le fait de n’avoir pas été pilote. Il m’est arrivé de faire des échanges, illustration contre un volant, ou une place passager sur un bel événement. Comme sur des rallyes-raids en Afrique dans des voitures qui emmenaient des photographes, avec le road-book sur les genoux. Quand je suis arrivé chez Graton, c’était la pleine période où je tentais mes volants et ça m’a quand même pas mal aidé. Jean, qui était bien introduit dans tout le milieu, me disait : « T’as besoin d’un casque » ? Il appelait GPA, j’avais un casque. Quand je faisais le volant Marlboro, il m’a dégotté une Ford pour tourner un petit peu.
CC : Et ça, ça joue quand même sur la crédibilité du dessin, parce que tu sais, non pas de quoi tu causes, mais ce que tu dessines.
GL : Oui sûrement. Quand tu sais comment est faite une auto et comment elle se comporte, tu arrives à être plus réaliste.
Légendes photos :
Photo Carrousel : Matra MS11 Beltoise 1968 – Guillaume Lopez
1- Bugatti Atalante et 57 SC Atlantic – Etienne Salomé
2- Eléphant mascotte Rembrandt Bugatti – Etienne Salomé
3- Départ à Montlhéry – Etienne Salomé
4- Monaco 1929 – Etienne Salomé
5- Ferrari California – Guillaume Lopez
6- Monaco descente de Mirabeau 2013 – Guillaume Lopez
7- La légende des anneaux – Guillaume Lopez
8- Ferrari 312 B Jacky Ickx 1970 – Guillaume Lopez