Beltoise, comme un frère - couverture
30 janvier 2016

Rétromobile 2016 : Johnny Rives sur le stand Classic Courses pour un hommage à Jean-Pierre Beltoise

Lorsque Jean Pierre Beltoise a disparu, Johnny Rives l’écrivain a perdu un frère pilote. Estime, confiance, respect entre deux hommes. Destins parallèles et complémentaires. Chacun dans sa sphère a vécu au travers des réalisations de l’autre. Jean-Pierre ne rechignait pas à prendre le crayon. Johnny  à prendre le volant. L’un exubérant, l’autre taciturne. Ils savaient s’entendre mais surtout s’écouter. L’un a su porter les rêves couleur bleu de France de l’autre, donnant des ailes à leurs talents, faisant ensemble une geste de cette aventure.  Depuis le stand 14 , des années de courses, de complicité, des décennies d’amitié nouées autour d’une passion inextinguible. Alors Johnny nous l’écrit, comment faire autrement, « Oui, Jean-Pierre était comme un frère ». Après avoir lu son livre, on osera répondre : « Johnny, on souhaite à tous les pilotes d’avoir un frère comme vous ».

Olivier Rogar

Johnny Rives dédicace Beltoise, comme un frère

Johnny Rives en pleine séance de dédicaces

Johnny, avec ce livre émouvant vous rendez hommage à un frère. Pourquoi ce lien avec Jean-Pierre Beltoise ?

Je suis incapable de fournir une explication. Lors de nos jeunes années, je me sentais proche de lui à travers notre passion commune pour la course. Il me semble que nous la ressentions pareillement. Même si, de son côté, il avait été capable de réussir ce qui s’était avéré hors de ma portée : réaliser notre rêve d’adolescence en égalant notre héros de jeunesse, Jean Behra. Le paradoxe est que je n’étais pas jaloux qu’il réussisse ce dont finalement je n’étais pas capable. Le fait qu’il concrétise pour lui ce qui avait également été mon rêve me permettait d’y accéder moi-même. A travers lui. Je vous citerai une anecdote : à peine revenu de la guerre d’Algérie – où j’ai laissé une partie de moi-même – j’ai eu la chance d’être recruté à L’Equipe grâce à la bienveillance d’un des rédacteurs en chef de ce journal, Pierre About, avec lequel j’avais correspondu pendant mon séjour sous les drapeaux. Je ne l’avais jamais rencontré auparavant, mais ce que je pouvais lui écrire, à propos de tel ou tel événement, depuis le fin fond du bled où j’étais coincé, m’avait finalement servi d’examen de passage ! Donc étant admis dans ce journal tant estimé, il m’avait été donné, le tout premier jour où je m’y étais présenté (8 juin 1960) de déjeuner grâce à un heureux concours de circonstances avec l’un des journalistes que j’aimais le plus y lire : Robert Vergne. Il était animateur de la rubrique football et se distinguait par des papiers toujours vivants et originaux. Bavard impénitent, Robert n’avait cessé pendant tout le repas de raconter des histoires jalonnées de « mon ami Kopa ». Pour éclairer les plus jeunes, Kopa était à l’époque ce que Platini puis Zidane allaient être plus tard pour le football français (formé à Reims, il avait été recruté par le Real Madrid). Et les « mon ami Kopa » de Robert Vergne m’avaient fait rêver. Pourrai-je dire cela un jour d’un pilote français ? Finalement, je l’ai pu. Avec Jean-Pierre d’abord. Puis plusieurs autres. Mais Jean-Pierre fut le tout premier. Donc le plus important.

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Il court sur deux roues lorsque vous faites sa connaissance. La force de caractère qui est sa marque apparait-elle déjà ?

Sans aucun doute. Après avoir débuté sur une Jonghi incapable de rivaliser avec les meilleures de l’époque, il a réussi grâce à son pouvoir de persuasion à se faire confier des motos performantes. Grâce auxquelles il a décroché ses deux premiers titres de champion de France. Il était lancé. Ce qui lui permit de convaincre M. Bulto, constructeur des Bultaco espagnoles, de lui en prêter. Dès lors il enchaîna les titres de champion. Cela lui permit d’acquérir une Matchless G50 avec laquelle il sidéra jusqu’à ses détracteurs en s’imposant sur le circuit des 24 Heures du Mans devant tout le Continental Circus de l’époque. Sa force de caractère le servit aussi à cette période pour surmonter des deuils terribles (un frère, sa première femme) ainsi que les séquelles de son accident des 12 Heures de Reims 1964 qu’il surmonta avec une volonté impressionnante.

Peut-on considérer qu’il incarne le renouveau du sport automobile français ?

Totalement. Sans lui, sans sa victoire en F3 à Reims treize ans après celle aussi fameuse de Jean Behra sur le même circuit, Matra aurait sans doute renoncé à poursuivre son aventure en course car jusque là les premières tentatives (Monaco, La Chatre, Clermont) s’étaient soldées par des échecs sévères. Alors directeur général de Matra, Jean-Luc Lagardère n’a jamais caché que tout était parti de la victoire de Jean-Pierre à Reims.

En est-on conscient à l’époque ?

Ce dont on n’est pas conscient encore c’est de la voie que va suivre Matra en développant des engins de plus en plus ambitieux. Et notamment un moteur de course empruntant la même architecture (12 cylindres en V) que les plus beaux moteurs Ferrari. Avant la naissance de ce moteur Matra V12, jamais je n’aurais osé imaginer que cela puisse exister un jour. Et je n’étais pas le seul. Moteur qui a eu du mal à rivaliser en F1 avec le quasi imbattable Ford-Cosworth, mais grâce auquel Matra s’est adjugé trois fois les 24 Heures du Mans et deux titres mondiaux en endurance. Résultats qui étaient tout à fait imprévisibles au moment où Jean-Pierre gagna à Reims.

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L’aura du sport automobile n’ayant rien à voir avec aujourd’hui, y a-t-il une grosse pression médiatique sur lui ?

Oui la pression médiatique existait. Elle était très forte surtout en raison de son franc parler. Jean-Pierre ne prenait jamais de gants pour s’exprimer. Ce qui lui valait de solides inimitiés qu’il paya parfois cher. Lors de la révélation de François Cevert à partir de 1970, François qui en plus d’être un de ses rivaux était devenu son beau-frère, la presse s’efforça à chaque occasion de les dresser un contre l’autre. Mais ils étaient mentalement très forts et surmontèrent cette difficulté aisément. Simplement en l’ignorant.

Cette situation peut-elle expliquer son absence de victoire en championnat F1 sur Matra ?

Non, s’il n’a pas gagné en F1 sur Matra c’est que le moteur Cosworth était à peu près imbattable. Il aurait pu y parvenir une fois, au G.P. des Pays-Bas 1968 où il se classa 2e derrière Stewart après avoir réussi à se dédoubler sur l’Ecossais. Mais ça n’était que son troisième Grand Prix au volant d’une F1. Faute de métier, il n’était pas à l’abri des étourderies. L’une d’elles lui coûta un arrêt à son stand sans lequel il aurait gagné ce jour là.

Il gagne chez BRM en 1972 ce qui nous vaut le meilleur chapitre littéraire de sport automobile jamais écrit en français, votre modestie dût-elle en souffrir. Mais pendant cette course à Monaco, quel est votre état ?

Je touchais du bois ! Je n’étais pas à Monaco, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. J’ai suivi cette course comme je le fais encore aujourd’hui : à la télévision. C’était aussi émouvant que si j’avais été au bord de la piste, je vous garantis !

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Et après la course ?

Comme tous les « fans » de Jean-Pierre j’étais enchanté. Quelques semaines plus tard, en juillet 1972, j’avais passé plusieurs jours de vacances dans sa villa « Da Flo », à Saint-Tropez. Il m’y avait raconté son Grand Prix avec forces détails. J’en ai entrepris la rédaction à chaud dès cet instant là.

Pensez-vous que sa forte personnalité a pu faire reculer les sponsors au démarrage de l’aventure Ligier en F1 ?

Au contraire. Gitanes a accepté de financer l’aventure Ligier en F1 principalement parce qu’à l’origine Jean-Pierre en faisait partie. D’ailleurs si Jean-Luc Lagardère a accepté de fournir ses moteurs pour la Ligier F1 c’est bien parce que Jean-Pierre était là. Ainsi qu’Henri Pescarolo d’ailleurs, fraîchement auréolé de ses trois victoires sur Matra aux 24 Heures du Mans.

Pouvez-vous nous parler du stand 14 ?

Le Stand 14 était un café situé rue Saint-Honoré en face de la boucherie de Pierre Beltoise, le papa de Jean-Pierre. Et en face d’une parfumerie dont le fils du propriétaire, Jean Fouques, était un passionné de course. Bientôt surnommé « le président », Fouques contribua a réunir autour de Jean-Pierre une bande de copains fanas de courses motos et autos. Une bande bientôt renforcée par Eric Offenstadt et Jean-Paul Behra entre autres. Pour ne rien dire de Manou Zurini qui était alors loin d’être photographe. Une bande à laquelle, en 1963 après sa victoire avec Bobrowski à l’indice énergétique aux 24 Heures, Jean-Pierre proposa de me joindre. C’est là, grâce à la bonne humeur et l’insouciance qui y régnaient, que j’ai commencé à me débarrasser des cauchemars que j’avais ramenés de la guerre d’Algérie. Ce que ma femme, rencontrée une dizaine d’années plus tard, a heureusement achevé.

Beltoise, comme un frère - couverture

Beltoise, comme un frère – couverture

Illustrations @ DR

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