La galerie des artistes à Rétromobile 2016 reste l’endroit immanquable du salon où l’on se prend à rêver les yeux ouverts de vitesse et de bruit devant les oeuvres exposées. L’occasion aussi de prendre des nouvelles des uns et des autres, de suivre les évolutions de chacun, et de faire de belles découvertes. Cette année, un gros coup de cœur nous est venu de l’Est.
Pierre Ménard
Commençons tout d’abord par quelqu’un dont nous avons souvent admiré les toiles à la matière brute, mais qui cette année a attiré notre œil grâce à un sujet de prédilection commun : la musique. Artiste britannique installé en France depuis trente ans, Stanley Rose a décidé de rendre hommage au blues noir des années cinquante. Cinq grandes toiles (presque) en noir et blanc avec un objet culte commun : une Gibson 335, la guitare du blues.
« J’adore la forme de cette guitare, elle est d’une harmonie extraordinaire. Et elle va bien avec l’ambiance années cinquante que je voulais rendre dans ces toiles. J’avais déjà peints deux toiles en hommage à BB King, juste après sa mort, que j’ai vendu aussitôt à Pebble Beach en août dernier. Du coup pour Rétromobile, je me suis dit qu’associer des voitures mythiques à ces grands noms du blues serait peut-être une bonne idée. Nous avons la Cadillac pour BB King, la Buick pour Muddy Waters et la Road Master pour John Lee Hooker. Je ne pouvais pas ne pas représenter ceux qui ont été les plus grands porte-paroles de ces gens-là, à savoir Keith Richards et Mick Jagger. Et pour Keith, la fameuse Bentley ‘Blue Lena’ s’imposait. Pour rendre l’atmosphère si particulière de ces ‘fifties’, j’ai opté pour le N&B, en y incorporant quelques touches de couleur ».
En dehors de ce thème spécifique, Stanley Rose continue de proposer sa propre vision de la course, notamment sur des toiles de petite taille, traitées à la brosse et baignées d’une lumière impressionniste, comme ce Nuvolari poussant son Alfa Romeo avec la dernière énergie (« J’adore les années d’avant-guerre, et puis ces petits formats sont plus abordables pour beaucoup de gens »). Un livre rétrospectif, « Wheels of life », est à paraître début juillet chez Jamval Editions.
Christian Bedeï fait un peu partie de la famille Classic Courses. Mais le photographe-journaliste que nous connaissons bien a cédé cette année la place au photographe-artiste, avec une volonté nette de présenter les voitures différemment que toutes ces années passées à alimenter les magazines auto. « Dans la presse, on me demande toujours d’être très descriptif, et toujours de la même manière : trois quarts avant, trois quarts arrière. Là j’avais envie de laisser plus de place à la suggestion, au mystère ».
D’où ces visions inédites de détails de carrosserie, de courbures intrigantes ou de compositions de lumière : « Je ne suis pas lassé de ce que je fais depuis trente ans, mais j’avais envie d’autre chose, de jouer avec les lumières, les textures, les matières. Je ne voulais pas montrer la Renault d’avant-guerre dans son entièreté, par exemple. Le vieux sigle défraichi et la carrosserie rouillée indiquent immédiatement de quelle époque vient l’auto. Pareil pour les portes mal alignées de la Peugeot : le temps a exercé son outrage. Pour la Corvette au Mans, c’est la lumière et la vitesse qui m’ont guidé. Je n’avais plus envie de montrer la voiture dans toute sa netteté et sa lisibilité ».
Et puis, il y a ce monstre, cet Alien venu des profondeurs qui attire immédiatement le regard : « Cette W196 était exposée sur le stand Mercedes il y a deux ans à Rétromobile. Et là, c’est mon côté ‘plongée’ qui a accroché : j’ai tout de suite vu une sorte de poulpe à deux branchies, avec ses yeux globuleux, et j’ai cliqué ». De fait, beaucoup de gens ont la même vision subaquatique en voyant l’habitacle de cette célébrissime F1 pris de l’arrière au téléobjectif.
La démarche de Christian étant toute récente, le mieux est de nous contacter pour tous renseignements sur les tirages à vendre, avant que l’artiste ait définitivement mis en place un système mieux approprié à la vente.
C’est un fantasme partagé par beaucoup : faire revivre au plus près des évènements datant d’un temps où les seules photos disponibles sont de vieux clichés granuleux en noir et blanc. Certains peintres s’essaient à cet art difficile, de manière impressionniste ou hyperréaliste, mais nous rêvons tous de la photo couleur improbable qui nous montrerait Caracciola gagnant un Grand Prix sur sa Mercedes ou de Nuvolari bataillant ferme au volant de sons Alfa devant la meute des voitures allemandes. Avec Unique & Limited, le rêve devient réalité.
Créée à Prague il y a trois ans, cette petite structure de six personnes a démarré on existence sur la réalisation de cet acte a priori impossible : faire revivre grâce à la photo couleur les scènes des glorieuses batailles d’autrefois. « Jan, notre photographe, est un fou de cette période d’entre-deux guerres avec ces voitures incroyables, nous explique Isabell Mayrhofer, la coordinatrice du projet, et rêvait de reconstituer ces scènes avec les moyens technologiques du XXIe siècle. De fait, nous nous servons de la photo, de la modélisation 3D pour les voitures et de photoshop pour le montage général.
Pour la Targa Florio 1964 par exemple, Jan est allé en Sicile pour prendre la rue en photo. Nous avons ensuite enlevé grâce à l’informatique le mobilier urbain moderne, « refait » certaines façades de maison avec le vieux revêtement pour redonner à l’endroit son aspect d’autrefois, puis inséré la GTO bleu et jaune modélisée et enfin les acteurs, grimés et habillés, que nous avons fait poser en studio car ça revenait trop cher d’emmener tout le monde en Sicile ».
Au final, ces tirages géants à tomber par terre tellement leur représentation est criante de vérité nous ont laissé sans voix. Admirer « comme si on y était » la ruche Mercedes en effervescence poncer durant la nuit de l’Eifelrennen 1934 les carrosseries blanches pour amener les monoplaces au poids légal, Nuvolari dans les rues de Brno tenir tête à Caracciola, ou Neubauer extraire Von Brauchitsch de sa Mercedes en feu dans les stands au Nürburgring en 1938 est un plaisir rare et intense. Nous ne pouvons que vous conseiller d’aller visiter leur site qui explique très bien comment se fabrique une scène historique.
http://www.unique-limited.com/
Illustrations :
1- Le Mans 1971 – Unique & Limited
2- BB’s Cadillac blues – Stanley Rose
3- Nuvolari Alfa – Stanley Rose
4- Muddy’s Buick blues – Stanley Rose
5- Mercedes W196 – Christian Bedeï
6- Renault – Christian Bedeï
7- Corvette au Mans – Christian Bedeï
8- Brno 1937 – Unique & Limited
9- Targa Florio 1964 – Unique & Limited
10- Nürburgring 1938 – Unique & Limited