On le sait, on ne va pas se cacher derrière son petit doigt : tout en demeurant l’événement avec un grand E voué au culte de la voiture ancienne, Rétromobile est aussi un lieu de vente de modèles de (très) haut de gamme. Est-ce pour fêter avec faste ses quarante ans d’existence ? Le salon a cette année doublement astiqué les chromes et lustré les carrosseries. Un peu trop, peut-être…
Pierre Ménard
En cette fin d’après-midi du mercredi, je sers de guide dans les allées du hall 1 à ma fille dont c’est la première venue à Rétromobile. Même si elle « n’y connaît pas grand-chose » comme on dit, elle est sensible aux charmes des vieilles mécaniques et des belles courbes qui les habillent. Après quelques minutes passées à flasher (au sens propre comme au sens figuré) sur quelques superbes Ferrari 250 GT, Aston DB4 ou autres Mercedes 300SL, elle laisse tomber en riant : « Ben dis-donc, c’est pas un salon de pauvres, ici ». Et le fait est : plus que les années précédentes, le cru 2015 de Rétromobile se caractérise par une (sur)abondance de modèles GT de luxe tous plus rutilants les uns que les autres.
Entendons-nous bien : personne n’ira évidemment se plaindre d’admirer les ors de ces beautés intemporelles que seul un salon comme Rétromobile peut offrir dans les frimas de la grisaille parisienne. C’est même un plaisir sans cesse renouvelé que de se promener dans les vastes allées du hall 1 (vraiment plus adapté à la manifestation que les précédents halls) en espérant y croiser quelque figure connue ou bien y retrouver les bonnes connaissances qu’on ne voit souvent qu’en février Porte de Versailles. Mais, comment dire ?… c’est un peu comme le saint-honoré ou les profiteroles : même au summum de leur préparation, ça devient quelque peu indigeste à la longue. Il faut savoir revenir au bon vieux quatre-quarts par moments pour ensuite mieux apprécier l’aristocratie de la pâtisserie. Sans compter que de l’uniformité naît l’ennui. C’est un peu la réflexion qui me trottait de façon diffuse dans la tête aux détours des allées aux mille brillances et que ma fille a osé formulé.
Rétromobile doit rester LE lieu de célébration de la voiture ancienne. De toutes les voitures anciennes. Les modèles de luxe au fort pouvoir onirique sont naturellement les fers de lance de ces grands messes. Mais ils ne doivent pas phagocyter les estrades et tuer l’originalité de l’événement. En clair, on ne se lassera jamais des chromes incrustés dans la ronce de noyer britannique, de la grille en H des latines rugissantes ou du tissus écossais des teutonnes papillonnantes. Mais on appréciera également les intérieurs patinés ou les lignes rares, voire incongrues, que Rétromobile avait l’habitude de nous proposer auparavant et qui semblent plus discrets dans cette édition. Mais rassurez-vous : ils existent !
A commencer par la présentation d’une gamme de modèles Pegaso. Ces luxueuses GT espagnoles peu connues du grand public furent conçues par l’ex-ingénieur Alfa Romeo Wilfredo Ricart avec qui Enzo Ferrari eut « quelques mots » en 1937. C’est pour affronter sur son propre terrain son ancien directeur sportif devenuCommendatore que le Catalan imagina en 1951, en marge de la production de camions que la société E.N.A.S.A exigeait, cette superbe voiture, la Z-102, déclinée en plusieurs versions. Habillée par les plus grands carrossiers, dotée d’excellents moteurs V8, cette auto ne fut, hélas, pas soutenue en haut lieu et fut produite en un nombre confidentiel d’exemplaires, avant de disparaître totalement en 1958. Seuls subsistèrent de la marque Pegaso les solides camions qui continuèrent à sillonner les routes d’Espagne et d’ailleurs.
Autres « raretés » à ne pas manquer – mais comment le pourrait-on vu leur gabarit : les trois Bugatti Royale venues tout droit du musée Schlumpf de Mulhouse. A la plus célèbre, le Coupé Napoléon d’Ettore Bugatti, s’ajoutent la Limousine Ward et le roadster Esders. Trois carrosseries dessinées par le fils d’Ettore, Jean, qui contribuèrent à la gloire immortelle du constructeur français. A noter que le roadster est une – belle – reconstitution exécutée par le musée Schlumpf, l’original ayant été autrefois modifié par son deuxième propriétaire. Feu le magazine Auto-Passion avait pu essayer en 1993 le Coupé Napoléon sur l’autodrome de Montlhéry et faire des mesures précises : le 8 cylindres de 12763 cm3 de 300 ch (et au vilebrequin pesant plus de 110 kg !) propulsait l’ensemble de près de 3 tonnes à 200 km/h, et le 100 mètres départ arrêté fut avalé en 8’9 !
Les collectionneurs s’attachent souvent à acquérir les « grands classiques » de la production automobile. Le Milanais Corrado Lopresto s’évertua, lui, à dénicher les modèles rares, ceux dont la carrosserie fut produite à un exemplaire par les grands couturiers de la tôle emboutie. C’est une partie de son étonnante collection que Rétromobile présente cette année.
Pour clore ce (très) rapide tour d’horizon, une autre présence exceptionnelle dans ce Rétromobile 2015 : le tout premier prototype de la fameuse Wimille, voiture routière révolutionnaire voulue par le grand pilote français Jean-Pierre Wimille et dessinée au sortir du second conflit mondial par Philippe Charbonneaux. Son fils Hervé, pilote, expert et fondateur de Rallystory était sur le stand. Il nous a aimablement reçu pour nous parler longuement de cette curieuse automobile, mais… ah mince alors ! Je n’ai plus de place… On se retrouve dans une prochaine note au volant de la voiture ?
Photos ©Pierre Ménard
1- Bugatti Royale Coupé Napoléon 1930.
2- Alfa Romeo 2000 Praho Touring 1960 & 6C 2500 SS Pinin Farina 1949, Collection Lopresto.
3- Intérieur Ferrari 250 GT SWB California.
4- Pegaso Z-102 Serra Spider 1953.
5- Pegaso Z-102 Touring Superleggera 1956.
6- Intérieur Pegaso Z-102 Touring Superleggera 1953.
7- Bugatti Royale Roadster Esders 1932.
8- Alfa Romeo 6C 1750 GS Zagato/ Aprile
9- Prototype Wimille-Citroën 1943