L’incontournable rendez-vous de février a pris ses aises cette année. Fini le double hall 3 et sa dichotomie quelque peu gênante entre les ors des grands stands et la (relative) pénombre des accessoiristes et autres oasis pour chineurs impénitents, tout le monde dans le hall 1 ! C’est plus aéré, plus confortable et ça permet de faire péter les gros moulins en plein devant l’entrée du salon aux merveilles.
Par Pierre Ménard
C’est bien ce que sont dit (presque) en chœur les teneurs des stands de la Babs et de la Sunbeam de record situés à l’entrée du salon. Au départ, il n’était pas question que les deux monstres quittent leur douillet emplacement. Mais, cochon qui s’en dédie, si tu y vas, j’y vais ! Et c’est ainsi qu’à deux reprises le mercredi d’ouverture, on sortit les bêtes sur le bitume humide pour y faire pétarader les échappements des deux énormes
V12 qui animent ces voitures. Nul doute que de là-haut, messieurs Thomas Parry et Malcolm Campbell entendirent le grondement de ces moteurs d’avion qui leur permirent dans les années vingt d’établir de sacrés records sur terre (1). Sur la photo ci-dessus, tout semble prêt pour que la Sunbeam donne de la voix, mais tout le monde semble attendre quelque chose qui n’arrive toujours pas. Au bout d’un moment, nous nous enquérons auprès du mécanicien britannique (à droite) de la raison de cette attente. « L’extincteur », nous répond-il flegmatiquement. Bizarrement, tout le monde a alors reculé d’un pas.
Tout le monde a également reculé de plusieurs pas lorsque est arrivé dans les allées un placide pachyderme venu d’Inde, cornaqué par son maître et accompagné d’un pseudo maharajah dont le lieu de naissance fleurait plus le Val de Marne que la vallée du Gange. Rétromobile n’en étant pas à une excentricité près, l’animal était présent pour la célébration des « Mille et une voitures de maharajahs » : des Rolls en aluminium poli, des voitures pour la chasse au tigre et cette incroyable « Swan car », fruit de l’imagination d’un Ecossais un peu fêlé de la théière qui la vendit au maharajah de Nabha dans les années 20. Elle avait la particularité kitchissime de faire cracher de la vapeur d’eau par le bec du cygne, comme on nous en fit la démonstration « en direct live » sur le stand.
Dans la série des parenthèses exceptionnellement ouvertes, et de la célébration du centenaire de la « grande » guerre, Rétromobile a fait la part belle aux véhicules de cette période dramatique : un diorama grandeur nature accueillait le char Renault FT17 exposé en plusieurs configurations, deux exemplaires des fameux taxis Renault AG-1, dits « de la Marne », qui serviraient à transporter en urgence les fantassins vers le champ de bataille en septembre 1914, et une caravane de véhicules d’assistance américains dont une Ford T reconvertie en ambulance. Les poilus (bien que rasés de près) étaient en bonus.
Classic Courses étant avant tout un endroit où l’on cause avant tout de sport automobile, on s’est quand même un peu intéressé aux belles carrosseries qui rutilaient sous les projos. Encore plus que les années précédentes, les beaux modèles étaient légion. Que ce soit la Lancia D24 victorieuse aux mains de Piero Taruffi à la Targa Fiorio 1954, les Aston DBS3 de et surtout irrésistible DBR1 de 1959, la rare Maserati 250F V12 de 1957 au nez bleu (ex-Behra), l’impressionnante Mazda 787B Quadri-rotor triomphatrice aux 24 Heures du Mans en 1991, la Maserati Tipo 61 Birdcage de l’écurie Camoradi telle que la pilotèrent Grégory et Daigh dans la Sarthe en 1960, la Cooper T40 Bobtail qui permit au jeune Australien Jack Brabham de faire ses débuts officiels en Grand Prix à Aintree en 1955, sans oublier l’exceptionnelle présence d’une Ferrari 330 P4 et de son transporteur d’époque Fiat, le visiteur pouvait être comblé. Et le visiteur très matinal du mercredi matin eut droit, lui, à une rencontre émouvante sur le stand Mercedes (qui fêtait pour l’occasion ses 120 ans de course automobile) .
Alors que la ruche Rétromobile est encore loin d’avoir atteint son bourdonnement de croisière (il n’est que 8H30), un bel octogénaire en chemise blanche se penche sur le cockpit de la monoplace carénée grise, comme pour vérifier que « tout est bien place » sur cette monoplace qu’il connaît bien. Nous nous approchons et le saluons d’un « Guten Morgen » enjoué. Souriant, Hans Herrmann nous tend la main et accepte très volontiers de parler de cette W196 Stromlinie de 1954 : « C’est une voiture que j’aime beaucoup parce que, vous savez, c’est ma première Formule 1 (2). Je débutais à Reims aux côtés de Fangio et Kling qui étaient bien plus expérimentés que moi. J’étais le petit jeune dans l’équipe [Il est né en 1928, NDLA] ! Je me rappelle de sa puissance et de sa vitesse de pointe qui étaient impressionnantes à l’époque, surtout pour moi. Sur les longues lignes droites de Reims, personne ne pouvait nous rattraper, grâce à la carrosserie aérodynamique
de la voiture. C’était vraiment fantastique ! Fangio avait gagné, Kling fait deuxième et moi j’avais du abandonner à cause d’un problème moteur, mais j’avais fait le meilleur tour en course ! Puis à Silverstone, on s’est aperçu que cette carrosserie n’était pas adaptée aux circuits plus lents, et au Nürburgring, Fangio, Kling et Lang eurent droit aux nouvelles voitures à roues découvertes. Comme il n’y en avait que trois, on m’a donné à nouveau la Stromlinie, puisque encore une fois, j’étais le plus jeune. Et là, elle n’était plus aussi fantastique (petit sourire)».
Pierre Ménard
(1) : 242,748 le 21 juillet 1925 pour la Sunbeam menée par Campbell, et 275,171 km/h le 28 avril 1926 pour la Babs pilotée par Parry. Le V12 Liberty de la Babs était nettement plus puissant que le M anitou de la Sunbeam, avec quelques 500 ch pour le premier contre 350 pour le second.
(2) Bizarrement, « Herr HH » oublie qu’il a en fait débuté en Grand Prix en 1953 au Nürburgring au volant d’une Veritas-Meteor. Les modestes performances de cette petite voiture artisanale expliquent peut-être qu’il situe ses vrais débuts à Reims au volant de la prestigieuse W196. Nous n’avons pas osé le contredire sur ce point.
Photos ©Pierre Ménard