Comment oser précéder Johnny Rives dans cette évocation de Jack Brabham ? Certainement pas en retraçant la carrière d’un champion qui fut unique car le seul à avoir été couronné au volant d’une voiture de sa fabrication.
Non, simplement pour dire que cet homme à l’apparence bourrue accompagne avec humour « Classic COURSES » depuis le début, avec sa célèbre phrase » I remember when sex was safe and motor racing dangerous ». Belle épitaphe.
Classic COURSES
Sans jamais avoir été un « fan » de Jack Brabham, je conserve de lui quelques images marquantes…
12 HEURES D’HYÈRES 1955.
Les Ferrari Monza de François Picard et du Suisse Canonica émergeaient d’un joli « plateau » comme l’on disait. Mais j’avais un faible pour d’autres puissantes voitures de sport engagées dans cette édition qui, à cause de la catastrophe du Mans prochaine, allait être la 5e et dernière des 12 Heures disputées sur le circuit des Iles d’Or – un triangle de routes encore utilisées aujourd’hui qui pouvait faire penser au circuit de Reims. Les Aston Martin DB3S, d’une sobre élégance, étaient présentes en nombre au départ avec des équipages aux noms parfois fameux (Peter et Graham Whitehead), parfois connus (Gaze-McKay) parfois totalement inconnus comme cet équipage d’une des trois Aston engagées par une écurie australienne : Sulman-Brabham. Outre Peter Whitehead, vainqueur des 24 Heures du Mans en 1951, mon œil accrochait surtout l’Aston de Tony Gaze, pilote de Grand Prix dont l’élégante tenue au volant me fascinait. Brabham ? Je fus incapable de le distinguer parmi ses équipiers. Il se classa d’ailleurs très modestement en 4e position derrière la Ferrari victorieuse de Gino Munaron (opportunément appelé en renfort par Canonica) et les Aston de Tony Gaze et Cosh-Cobden.
GRAND PRIX DE MONACO 1957.
Comme l’année précédente, je m’étais positionné dans le virage du Bureau de Tabac où je fus ébloui pendant trois tours par la formidable attaque de Stirling Moss (Vanwall) que talonnait Peter Collins (Ferrari) dont le rictus m’impressionnait. Fangio (Maserati) que l’ambition des jeunes loups Moss et Collins menaçait pourtant, les suivait en toute décontraction. Je voyais son œil bleu sous ses grosses lunettes de course, et son visage impassible tandis qu’il contrôlait l’ample dérive de sa 250 F lancée à la poursuite des deux fous furieux devant lui. Trois tours plus tard, c’en était fini de ce combat prodigieux. Trahi par ses freins Moss avait entrainé Collins et Hawthorn dans le même KO, dont Fangio avait émergé comme par enchantement. La course aurait alors sombré dans la monotonie sans la présence d’une petite monoplace. C’était une Cooper de couleur verte, à la silhouette un peu ridicule à côté des « vraies » F1 à moteur avant. Mais son pilote la plaçait dans des glissades qui m’enthousiasmaient pour avaler magistralement le virage à l’angle du port de Monaco. Son pilote ? Un certain Brabham, dont le nom me parlait bien sûr bien que je n’eus pas le moindre souvenir qu’il ait pu placer à Hyères son Aston dans des positions aussi acrobatiques que la petite Cooper à Monaco. Hélas il devait être trahi par (je l’appris plus tard) la pompe à essence de son modeste moteur Climax à quelques tours de l’arrivée qu’il tenta de rejoindre en poussant sa petite machine sous mes yeux. Et moi de l’encourager en criant « Vas y Jack ! » à l’étonnement des spectateurs qui m’entouraient.
GRAND PRIX DE GRANDE-BRETAGNE 1967.
Les nouvelles Lotus 49 à moteur Ford-Cosworth, aussi extraordinairement rapides qu’elles étaient friables, retenaient l’attention générale. Mais il fallut la colère exprimée par mon confrère Franco Lini (correspondant de L’Equipe à Milan) pour ancrer dans ma mémoire le comportement de Brabham. « Black Jack » comme devaient finir par le surnommer les Anglais eux-mêmes, avait avec insistance empiété sur les bas-cotés, notamment à Copse où je me trouvais, pour mitrailler la Ferrari de Chris Amon de gravillons. Franco Lini était cette année là directeur sportif de la Scuderia Ferrari, son titre de gloire, mais il reprit la plume pour agonir Brabham de violentes critiques : Chris Amon, qui avait fini par le dépasser quand même, avait achevé la course à la 3e place avec une Ferrari meurtrie, rétroviseurs cassés par la mitraille.
GRAND PRIX DE MONACO 1970.
– La course fameuse – qui détermina peut-être Brabham à mettre un terme à sa carrière – à la fin de laquelle il perdit bêtement une victoire toute acquise en bloquant ses roues et en percutant les barrières dans le dernier virage (Gazometre) offrant à Jochen Rindt une victoire inespérée qui couronnait l’exceptionnelle remontée de l’Autrichien (7e au premier tour). François Mazet, qui courait alors en F2 sur une Brabham semi-officielle, me conduisit après la course dans le garage où l’équipe MRD de Black Jack avait élu domicile. Il était là, le pauvre Brabham, si malheureux que personne n’osait aller lui parler. Alors Mazet et moi nous approchâmes de Ron Tauranac, l’ingénieur et complice de Brabham depuis tant d’années. Et là, Ron nous raconta sa lassitude, et à travers lui celle de Jack Brabham sans doute, à propos de cette cruelle déroute, de la difficulté qu’ils avaient à résister aux autres, plus jeunes, plus ardents. En deux mots, à résister au temps. Il restait pourtant à Black Jack 44 années pour voir évoluer la F1 encore et encore. Pour la voir devenir tout autre chose que ce qu’il avait vécu lui-même. Et aussi pour voir ses fils tenter à leur tour la grande aventure. Avec un certain succès mais sans la sensationnelle réussite qu’il avait connue lui-même.
Johnny RIVES
Crédits photos :
1 : 1967, Oulton Park Spring Cup Jack Brabham, Brabham-Repco BT20 23
2 : 1967 www.brianwatsonphoto.co.uk 2 : 1955, 12 H d’Hyères , début des essais. Au premier plan Sulman-Brabham, au second (N°28) Cosh-Cobden qui se classeront 3e. @ Johnny Rives
3 : 1957, Monaco. Brabham précède Masten Gregory (Maserati) et Maurice Trintignant (Ferrari). @ Johnny Rives
4 : 1970, Monaco, sortie au Gazomètre @DR