Michel Delannoy a traduit et publié il y a quelques années l’excellent livre de souvenirs de Brian Redman. Il nous en livre un bel extrait relatif à la genèse de la redoutable Porsche 917 et de son éprouvante période de réglage aérodynamique.
Classic Courses
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De la théorie à la pratique
Le 1er mai 1969, la Porsche 917 fut homologuée et prête à courir, du moins en théorie. Se conformer à un règlement ne fait pas forcément une voiture de course et la nouvelle 917 n’avait été essayée ni sur le plan conduite, ni sur celui de la fiabilité.
Les voitures dont les problèmes aérodynamiques ne sont pas complétement résolus ont tendance à se balader à haute vitesse, ‘louvoyer’ dans le jargon de la course. A 320 km/h, une voiture qui louvoie est au-delà du déconcertant. Quand une voiture va d’un coté à l’autre elle surcharge, puis allège ses pneus de droite, puis de gauche, modifiant sans cesse leur adhérence et obligeant à de continuelles corrections au volant. Les chances qu’a le pilote de voir sa voiture pointer dans la bonne direction à l’approche d’un virage sont alors de 50/50.
Terrifiante
Peu à peu je me suis habitué à la difficile 917. Je l’ai conduite brièvement (et avec circonspection) aux essais à Spa. Aux 1.000 km du Nürburgring, tous les pilotes d’usine Porsche ont fait en sorte de ne pas conduire la 917. Au volant d’une 908/02 Jo et moi avons gagné. Au Mans, Jo et moi avons trouvé notre 917 si terrifiante dans la ligne droite de Mulsanne que nous avons obtenu l’autorisation de courir avec une 908/02 ‘longue queue’.
J’ai finalement disputé ma première course avec une Porsche 917 aux 1.000 kms de l’Österreichring, dernière manche du championnat 1969. Deux voitures étaient engagées pour des pilotes d’usine, Siffert faisait équipe avec Kurt Ahrens alors que moi j’étais avec Richard Attwood. Bien que les deux voitures étaient assez loin du coup pendant les essais, notre travail sérieux pendant la course se révéla payant. Jo et Kurt s’imposèrent – première victoire de la 917 – pendant que Richard et moi finissions troisième.
Du développement, enfin
Deux mois plus tard, Porsche décida qu’il était temps, enfin, de développer sérieusement la 917. J’ai reçu un appel de David Yorke, le team manager de John Wyer. Nous allions faire des essais sur l’Österreichring. L’équipe de Wyer, JW Automotive engineering, avait été désignée en tant qu’équipe d’usine Porsche en 1970 alors que j’étais engagé en tant que pilote – une solide motivation pour un travail sérieux. Puisque Wyer ne pouvait pas assister à cette séance, il se reposait sur les compétences de Yorke pour organiser la procédure d’essai. Il était assisté par son excellent ingénieur, John Horsman et deux mécaniciens Ermanno Cuoghi et Peter Davis. Le département conception et engineering de Porsche était représenté par Helmut Flegel et Peter Falk. Kurt Ahrens et moi étions les pilotes avec le renfort de Piers Courage qui avait été pressenti pour une place en 1970. Leo Kinnunen allait nous rejoindre plus tard.
La prudence de Firestone
Notre mission était de transformer la 917 en une voiture capable de gagner avant notre première course de la saison 1970. Pour cela nous avions trois jours. Pour cet essai, Porsche avait amené deux coupés sortant de l’usine et un spider 917PA qui avait été utilisé par Jo Siffert dans les courses Can-Am aux Etats-Unis. Toutes trois étaient supposées être équipée de pneus Firestone avec qui Wyer avait un contrat pour la saison 1970. Mais, à notre ahurissement, les ingénieurs de Firestone restèrent dans le parking, à coté de leur camion, ne cherchant nullement à être impliqués dans nos essais. A notre demande d’explication ils répondirent qu’ils connaissaient la réputation de comportement dangereux de la 917 et que leur compagnie ne désirait pas être associée tant que cette voiture ne serait pas correctement mise au point. Bon ! L’essai allait être fait avec des Dunlop.
La 917 ? Un cochon
Ahrens et moi alternions entre les châssis 006 et 008 pendant que Piers conduisait surtout le spider. Après un minimum de séance d’essai, Courage reçut un appel urgent de Frank Williams, propriétaire de son écurie de course en Formule 1. Il disparut rapidement sans avoir signé le contrat.
La 917 confirmait sa réputation diabolique, montrant toujours la même instabilité que Kurt et moi avions déjà constatée lors de nos précédentes sorties. La voiture louvoyait de façon alarmante, même sur les lignes droites très douces de l’Österreichring. Il fallait faires les corrections au volant avec beaucoup de doigté pour la conserver sur la piste. Dans les virages la tenue de la voiture était comparable à celle d’une banane sur de la glace et il était impossible d’utiliser les gaz avant d’avoir passé le point de corde. Tous deux nous plaignions que le châssis se tortillait de façon inquiétante et j’avais l’impression que la voiture allait se désintégrer.
Kurt et moi arrivions à la même conclusion : la 917 était dangereuse et, pire que tout, c’était un cochon. Nos meilleurs tours sur l’Östereichring étaient 1.7 secondes plus lents que celui qu’avait signé Jacky Ickx sur ce circuit deux mois plus tôt au volant d’une Mirage vieille d’un an. A la vue de ces essais décourageants je commençais à imaginer toute la saison 1970 et je tombais dans une profonde mélancolie.
Déprîme pour tous
Horsman et les mécaniciens étaient aussi frustrés que les pilotes. Si Yorke, le team manager avait des craintes pour les relations futures de Wyer avec Porsche, Kurt et moi avions des craintes pour nos réputations … et pour nos carcasses.
Au fils des essais il devenait de plus en plus évident que l’aérodynamisme de la 917 ne fonctionnait pas. Le fait que la voiture était nerveuse et que les pneus arrière manquaient de grip laissait penser que la couche limite du flux d’air se détachait de la carrosserie bien avant d’avoir atteint l’arrière de la voiture, créant de la portance.
Horsman observa calmement que l’avant de la voiture était couvert de moustiques écrasés, collés par la couche d’air dense qui créait de l’appui sur les roues avant. Il nota également que l’arrière de la carrosserie restait propre jusqu’à l’extrémité arrière où les turbulences renvoyaient les insectes vers la voiture. En clair, quelque chose détachait la couche limite de la carrosserie avant qu’elle n’arrive à la longue queue de la 917, la rendant inefficace aérodynamiquement. Les insectes morts de Horsman posaient les bonnes questions, mais il devait fournir les réponses.
917 charcutée
A la fin de cette déprimante première journée d’essai, Horsman et ses mécaniciens passèrent à l’action. Ils empruntèrent des outils et des matériaux au camion Porsche. Sous les regards horrifiés de Flegel et Falk, les ingénieurs Porsche, ils sacrifièrent l’arrière de la carrosserie à la scie à métaux, coupant derrière le bord de fuite des roues arrière.
Leur démolition accomplie, ils utilisèrent des feuilles d’aluminium, du contreplaqué et de la toile adhésive pour confectionner un arrière trapu, couronné par une paire de flaps rectangulaires.
Il n’y avait aucun aérodynamisme d’aucune sorte. La très élégante 917 de Porsche ressemblait maintenant à un maladroit hot rod d’amateur. Les traditionnalistes aiment dire que ‘ce qui semble rapide est rapide’, à cela j’ajouterais maintenant ‘quelquefois’. Horsman était content que Piëch ne soit pas présent car il n’aurait sans doute pas approuvé une telle improvisation.
Le miracle
Le matin j’étais le premier à prendre le volant de la voiture bricolée et j’étais assez sceptique vis à vis de l’opération chirurgicale de Horsman. Si les ingénieurs de Porsche n’avaient pas réussi à faire fonctionner la voiture pourquoi une carrosserie bricolée par un ingénieur et une paire de mécaniciens pourrait-elle améliorer radicalement une voiture à l’aérodynamisme aussi sophistiquée.
En un demi-tour mon opinion avait totalement changé. La voiture était stable, rapide et bien disposée. L’effet de la modification sur l’arrière tenait du miracle. Non seulement la voiture avait cessé de louvoyer à haute vitesse mais en plus elle me permettait de me détendre en roulant à fond, mieux même, l’arrière de la voiture semblait rivé au sol, poussant à attaquer les virages avec confiance et agressivité. Gloutonnement, je restais au volant pendant sept tours pour profiter de la joie d’être 100 pour cent sûr d’avoir raison.
Ahrens me succéda au volant, aimant immédiatement la tenue et confirmant mon jugement. Même en utilisant des Dunlop moins efficaces, nos temps au tour s’amélioraient de près de trois secondes, de 1’48.2’’ à 1’45.3’’. Le nouvel arrière était si efficace que Horsman fut obligé d’équilibrer les appuis en augmentant l’appui sur le train avant.
Le troisième jour des essais, maintenant équipés des Firestone les plus performants, nous avons fait éclater les temps, gagnant deux secondes de plus par tour. Merci à l’ingéniosité de Horsman et de son équipe, le JWA pouvait aligner une équipe qui rendrait Porsche fier. Nous les pilotes allions disposer d’une voiture qui permettait d’envisager des victoires pour la saison 1970. Glorieux.
La sagesse de Seppi
Le dernier jour des essais, un groupe de gentlemen, en costume, parlant Allemand, débarqua d’un avion privé. Ils s’entretinrent avec les ingénieurs Porsche Flegel et Falk. Ensuite ils mesurèrent l’arrière bricolé. Sans un mot de félicitation pour John Horsman et sans avoir parlé aux pilotes, les cadres reprirent leur avion pour retourner à Stuttgart.
Il était clair qu’en transformant un loupé en une des voitures les plus admirée de tous les temps, un ingénieur et deux gars aux ongles sales avaient, sans le vouloir, profondément blessé l’amour propre des cerveaux du service aérodynamisme de Porsche. Une solution aigre-douce pour les sorciers de Zuffenhausen. Etrange, non !
En avril 1970, Kurt Ahrens essayait une Porsche 917 longue queue modifiée, sous la pluie, au centre d’essai Volkswagen de Ehra-Lessien, quand la voiture partit en aquaplaning. La partie arrière de la voiture se trouva prise sous le rail de sécurité pendant que Kurt et la partie avant continuèrent sur la piste. Un mois plus tard Willy Kauhsen connu la même expérience effrayante qui se termina par une deuxième 917 complétement détruite. Ces accidents m’ont fait repenser au conseil de Seppi Siffert de laisser les autres découvrir ce qui allait casser en premier. Finalement, Kurt, Willi et l’usine connurent la réponse – c’était le châssis.