Pilote émérite, polyvalent, à la carrière riche et longue, au volant puis comme team-manager et même constructeur, Henri Pescarolo est un homme discret, taciturne, voire énigmatique. Le flegme proverbial de sa parole dissimule mal un amour profond de son, de ses métiers. Son palmarès plus qu’enviable, sa personnalité hors du commun, sa grande popularité, lui ont valu au fil des ans un nombre impressionnant d’articles de presse et de citations dans des livres sur la course automobile et aussi sur l’aviation. Sans oublier un précédent livre, écrit par notre ami Johnny Rives et chroniqué il y a quelques mois dans Classic Courses. Alors, quand Jean-Marc Teissèdre, autre ami journaliste, annonce qu’à son tour il s’apprête à publier un livre sur le grand Henri, légitimement on se demande comment il va s’y prendre pour apporter un regard différent, voire des révélations. Il s’agit d’un sportif et d’un personnage d’exception, certes, mais avec le temps, on croit tout de même bien le connaître. Or la performance de l’auteur est digne de son modèle : ce n’est pas une « bio » de pilote de plus qu’il nous propose, c’est un livre qui sort de l’ordinaire.
Jacques Vassal
LE CONTENU
D’abord, pour le contenu : spécialisé dans les courses d’endurance depuis des lustres (à travers ses reportages et interviews pour Auto Hebdo, et aussi comme co-auteur, longtemps avec les regrettés Paul Frère et Christian Moity, de l’annuel officiel des 24 Heures du Mans), Jean-Marc Teissèdre aurait pu se contenter de développer en long et large les états de service de Pescarolo dans ce seul domaine : après tout, ses 33 participations aux 24 Heures du Mans comme pilote (avec quatre victoires à la distance), ses engagements dans d’autres épreuves du Championnat du Monde (avec des victoires à Brands Hatch, Buenos Aires, Montlhéry, Brands Hatch, Zeltweg, Imola, Spa, Monza, Daytona, Nürburgring et on en passe), puis ses retours répétés sur le circuit de la Sarthe et ailleurs, comme team-manager et même comme constructeur, auraient déjà dressé un sacré tableau. Mais il fallait plus à l’auteur et à son « héros » et ami – les deux hommes se connaissent et se fréquentent depuis 1978 : rendre compte, bien sûr, d’une carrière multiple, fertile en rebondissements ; mais aussi, le faire d’une façon originale et attractive.
Par chance pour lui et pour nous, Henri Pescarolo fait partie d’une dernière génération de pilotes polyvalents, capables de briller tour à tour aux 24 Heures du Mans ou aux 1000 Km du Nürburgring sur des sport-prototypes dans les années 60/70, ou plus tard de modernes Groupe C, mais encore dans un rallye routier comme les Cévennes (2e sur Matra Jet 6 en 1967, meilleur résultat de la marque en rallye), sur une épreuve de longue durée comme le Tour de France (avec un prototype Matra V 12 ), ou un rallye-raid comme le Paris-Dakar. Mais aussi, de briller en monoplace : de la Formule 3 (victoires à Monaco, à Albi entre autres, sur Matra) à la Formule 1 (3e à Monaco en 1970), sans oublier la F 2 (victoire à Albi en 1968 et 1er F 2 au GP d’Allemagne 1969).
Pescarolo a aussi écumé, avec bonheur, les courses de côte, discipline qu’il adore et qui n’est pas toujours reconnue à sa vraie valeur. Sur tous les terrains, il aura couru avec des voitures extrêmement diverses, selon les époques, les formules et les saisons. Quelques-unes des meilleures de leur genre (Matra 650 et 670, Alfa Romeo 33 TT 12, Inaltera, Rondeau M 379, Porsche 956 et 962, Kouros-Mercedes, Jaguar XJR 9 V 12 LM, Courage pour l’endurance) mais aussi, hélas pour lui, quelques-unes des moins bonnes (BRM, Williams, March, Surtees pour les F 1, Rondel pour les F 2). Mais dans tous les cas, Henri l’éternel battant aura tout tenté pour tirer de ses montures le meilleur parti possible. A propos de montures, des entrées sont consacrées au Team Pescarolo Sport et au constructeur Pescarolo, avec ses espoirs, ses coups d’éclat mais aussi ses déceptions et ses difficultés financières et autres (y compris les promesses non tenues et autres coups bas qui, hélas, n’ont pas épargné cet homme honnête, trop honnête). Quant aux pilotes de la génération suivante, les Frank Lagorce, Emmanuel Collard , Sébastien Bourdais ou Romain Dumas, le rôle formateur d’Henri et de sa « filière » (F comme Filière et Formation) pour leurs carrières est dûment rappelé.
Mais comme si cela ne suffisait pas, Pescarolo a aussi touché au domaine de l’aviation (A comme Avions), du plus lourd avec le Lockheed 18 pour battre, en 1987, le record du tour du monde de Howard Hughes qui datait de… 1938, au plus léger avec les raids et les compétitions en ULM (U comme…), dont il est devenu un spécialiste. A quoi on n’omettra pas d’ajouter d’autres vols (H comme Hélicoptère).
LA METHODE
La méthode de Jean-Marc Teissèdre, qui rompt avec le récit chronologique, souvent fastidieux, c’est l’abécédaire. Ainsi, aux entrées attendues sur ses débuts en course auto (A comme AGACI), ses déboires en Formule 1 (B comme BRM), Le Mans et sa célèbre ligne droite, avant et après les chicanes puis le coup de rabot sur la bosse (H comme Hunaudières), Matra, le Nürburgring, Peugeot, Porsche, Spa-Francorchamps (le record du tour de l’ancien circuit, sur Matra 670, en 1973, à plus de 262 Km/h de moyenne) ou Williams, qui résument des moments de sa carrière au volant, s’en ajoutent d’autres plus privées.
De Pescarolo, connaissiez-vous la passion pour le travail aux fourneaux et la bonne chère (C comme Cuisine), les adresses qu’il a habitées (M comme Maisons), la forêt et les rivières chères à son coeur (N comme Nature), les dangers du métier (R comme Risques) ? Ne négligeant rien, l’auteur a aussi glissé une entrée sur le travail de Pescarolo comme journaliste pour L’Action Automobile et, à la télévision, pour La Cinq (E comme Essayeur). Et, on s’en doute, nombreuses sont les entrées sur les amis pilotes et/ou co-pilotes d’Henri, de Jean-Pierre Beltoise à Bob Wollek, en passant par Patrick Fourticq (pour l’avion et quelques Paris- Dakar), et les coéquipiers d’une ou de plusieurs fois, de Graham Hill à Gérard Larrousse, à Jean-Louis Ricci et à Bob Wollek (autre grand pilote d’endurance, auquel Jean-Marc Teissèdre a déjà consacré un livre). Le récit est çà et là enrichi des propos de Pescarolo lui-même (qui est connu, et on l’en remercie, pour être ennemi de la langue de bois), et de ceux qui ont travaillé avec lui.
Au total, vous l’avez compris, plus qu’une biographie, un récit ou un portrait, c’est un kaléïdoscope que nous avons sous les yeux. D’autant plus qu’à la richesse du texte s’ajoute celle de la documentation photo : Henri s’est prêté généreusement au jeu de Jean-Marc, qui est venu plusieurs fois en visite chez les Pescarolo (où Madie, l’épouse et souvent attachée de presse d’Henri, a largement prêté son concours) pour exhumer des documents inattendus ou inédits. Ainsi, ce cliché d’un très jeune Henri, encore imberbe, en compagnie de son père, le Dr. William Pescarolo; ou, plus près de nous, celui d’Henri traversant le paddock de Jarama, au guidon d’une Bultaco de trial, avec pour passager Frank Williams. Ce sont là des clichés rares, qui ajoutent au plaisir de la lecture.
Si vous avez déjà lu le livre de Johnny Rives sur Pescarolo, il vous faut celui de Jean-Marc Teissèdre.
Dans le cas contraire, celui-ci vous donnera envie de remonter à celui-là. Ce sont deux regards sur un homme unique et un champion multiple.
(Editions E.T.A.I., coll. « Autoportraits », 272 p., 24 X 29,7 cm, 550 photos, 49 euros).