Désolé, M’sieur Beltoise
Patrice Vatan nous a relayé la proposition de celui qui était connu sous le nom de « Professeur Reimsparing » sur « Mémoire des Stands », de reprendre cette note du 26 avril 2011. Nous nous sommes empressés d’accepter pour partager et repartager avec nos lecteurs ce beau document. Merci à eux, d’avoir eu la générosité de penser à nous. Eux dont on peut penser avec tristesse, mais non sans plaisir, qu’ils n’ont pas fini de parler de « lui ».
Classic COURSES
Notre envoyé spécial attitré sur le terrain, toujours habile à recueillir les confidences, nous a révélé que vous vous étiez récemment exprimé en ces termes à propos de MdS : « Ceux-là, ils n’arrêtent pas de parler de moi… » Eh bien, on va continuer, si vous le permettez, d’autant que la date de ce jour y invite. Mais rassurez-vous, ni les modestes photos d’amateur ici proposées, ni les commentaires, un brin naïfs mais sincères, qui les accompagnent, ne risquent de concurrencer votre dernier bouquin.
Professeur Reimsparing
Reims
1965 : Celle-là, en ouverture, on l’a déjà vue, et pas seulement sur MdS… Mais dans la mesure où j’en suis l’auteur, je peux me permettre de la remettre à la une, car elle symbolise l’événement fondateur de la carrière de JPB, en même temps que le « renouveau de la course automobile en France », comme on disait à une époque (et à très juste titre).
On ne manquera pas d’y reconnaître, non pas Maître Folace (sans les moustaches), mais Toto Roche, lequel semble faire rempart de son corps imposant pour protéger le nouveau héros, tandis que « notre directeur » Jean Lucas (2e des F2 ici-même, en 57, mine de rien) sécurise le terrain à l’avant, avec son autorité coutumière. Pour le fun, les deux mêmes, sans JPB (un seul être vous manque…).
1968 : Heureuse époque où l’on pouvait, sans laissez-passer, frôler les monoplaces sur cette voie chargée d’histoire et modestement asphaltée, qui, du paddock, menait vers la fameuse barrière donnant accès à la piste, entre le Pavillon André Lambert et le début de la rangée des stands (quelle mémoire !). L’image est un peu surexposée, mais on devine JPB déjà entré dans un monde inaccessible au commun.
1968 : Sortie du Thillois, aux essais. La Matra, bien en ligne, s’apprête à dévaler la longue ligne droite où l’attend le verdict du chronomètre. Ce qui m’avait frappé, c’était la manière ultra rapide, presque rageuse, avec laquelle JPB montait ses vitesses. Pourtant, la boîte tiendra, c’est un problème de bougie qui lui fera perdre un tour et gâchera sa course.
1968 : Avant-dernier départ de JPB à Reims (inutile d’identifier les collègues qui l’entourent, je pense ?). En guise de clin d’œil au TTDCB, qui apprécie les liens avec l’actualité, rappelons que le meeting rémois avait, cette année-là, été déplacé en septembre pour cause d’événements imprévus (?) survenus en mai. Nous avons vécu il y a peu une situation similaire avec le GP de Bahrein, mais la comparaison s’arrête là, car, d’une part, l’état de la planète n’a évidemment plus rien à voir, d’autre part, on peut penser que les organisateurs dudit GP, s’il vient à être rétabli, n’auront pas, eux, à craindre une diminution du nombre des spectateurs pour cause d’ouverture de la chasse…
1969 : Dernier départ de JPB à Reims (même observation que précédemment), pour une course qu’il ne terminera pas, une pierre ayant brisé ses lunettes et provoqué un hématome à l’œil gauche.
Spa
1968 : A l’attaque de l’Eau Rouge, sur la Matra V12, prochaines stations (mais pas d’arrêts : personne ne descend SVP) : Burnenville, Malmédy, Masta, Stavelot. Il fallait en avoir, des… du courage, ici, notamment lorsque l’on y débarquait en F1 pour la première fois.
1970 : Tiens, justement, on se retrouve entre Masta et Stavelot, là où, comme presque partout ailleurs, c’était à fond absolu. Pas franchement belle, la Matra F1, mais quelle gueule. Et la sirène du V12 à plein régime, que l’on entendait venir de très loin, d’autant que, juste derrière, l’ami Pescarolo faisait donner à la sœur jumelle tout ce qu’elle pouvait. Instants magiques, inoubliables. Je possède un exemplaire de cette même photo, signé, lors d’un stage de conduite à Trappes [2], par JPB, lequel avait bien voulu me confier que lorsqu’ils abordaient un nouveau tour du terrible circuit belge, ses collègues et lui se demandaient toujours s’ils y survivraient…
Ring
1968 : La Matra V12 du côté de Brünnchen, durant les essais, sur une piste déjà bien humide. On sait que la course fut disputée dans des conditions dantesques. JPB, accidenté, connaîtra moins de réussite que deux ans auparavant, lorsque, par un temps à peine plus clément, il avait amené sa Matra à une superbe huitième place et à la première des F2.
1969 : Toujours les essais, mais, cette fois, JPB négocie la Nordkurve qui faisait suite à la ligne droite de retour derrière les stands. Autrement dit, il lui reste à affronter plus de 170 courbes ou virages… On remarque la nudité quasi parfaite du V8 Cosworth, dont la pudeur n’est protégée que par un aileron arrière bien discret. Le photographe, lui, n’était pas le roi du cadrage. Mais tout rapprochement avec la contenance des bocks de « helles Bier » généreusement servis dans les immenses restaurants formant la base des Haupttribüne serait le fruit d’une imagination débridée et tendancieuse.
1972 : Le cadrage de la photo NB, prise juste après les derniers stands et avant la Südkurve, tendrait peut-être à prouver que la taille des bocks n’avait pas varié… Mais c’était tout de même plus facile de face, et cela permet d’apprécier, en couleurs, la précision millimétrée avec laquelle JPB touche le point de corde.
Retour en France, maintenant, sur d’autres circuits où JPB a laissé son empreinte.
Montlhéry
1970 : Aux 1 000 kilomètres, JPB partageait le volant de cette Matra à queue courte avec son compère Pescarolo. Mais c’est la queue longue menée par Cevert et Brabham qui l’emporta.
En tout cas, cette machine à la fois trapue et harmonieuse, vue ici à l’épingle du Faye, était impressionnante, presque inquiétante de puissance contenue, et, pour tout dire, intimidante lorsqu’elle offrait sans complexe à la vue des spectateurs béats son arrière dépourvu d’artifices.
Rouen
1968/1971 : Dans le premier droite de la descente, le même pilote, au volant de la Matra F1 puis de la Pygmée F2. Des constructeurs français, certes, mais bien différents, ce qui souligne, même si cela frise la banalité de le rappeler, la variétéde la carrière de JPB, et sa disponibilité pour ceux qui partageaient sa passion.
Charade
1969 : Epine, épingle, pardon, Louis Rosier, au cours des essais. Tiens, c’est peut-être le moment de jouer les connaisseurs, en procédant à une petite comparaison avec la même voiture, telle qu’elle disputa le GP d’Allemagne un mois plus tard. Ce qui frappe, évidemment, c’est qu’il y a ici un capot arrière et que l’aileron est nettement plus affirmé. Mais il convient d’observer également l’absence du sticker Elf à gauche du numéro, sur la voiture vue au Ring, et le fait que le sticker Autolite se trouvait à droite de ce même numéro à Charade et devant la roue avant au Ring. J’imagine que ces deux décisions avaient fait, entre les deux GP, l’objet d’interminables briefings, voire débriefings. Non ? Ah bon !
1969 : Départ ! Cette fois, le cadrage défectueux n’a rien à voir avec la boisson locale. C’est seulement que les réflexes de JPB étaient (et demeurent) infiniment plus rapides que ceux de votre serviteur, qui en douterait ?
1970 : Il faut bien reconnaître que l’année précédente, captivé que j’étais – comme tout le monde – par le formidable duel entre Jacky Ickx et JPB, j’en avais oublié de l’immortaliser. Du coup, ils se trouvent ici réunis… un peu tard (et le Belge ayant changé de monture), mais mieux vaut tard que jamais, paraît-il.
1970 : « Comment négocier l’épingle Louis Rosier », en trois phases et sans phrases, sauf tout de même pour souligner, une fois encore, la « gueule » incroyable de la Matra F1 de cette année-là.
1972 : Entre le virage du Pont et les S de Thèdes, durant les essais. Là, je me demande si je n’en ai pas un peu trop fait, en associant une nouvelle fois Jacky Ickx et JPB. Mais après tout, je n’y étais pour rien s’ils se côtoyaient de nouveau. De toute façon, ils composaient la moitié de mon petit cénacle personnel. Et puis, ce fut un épisode assez amusant. Jacky Ickx suit JPB. Jacky Ickx est arrêté et JPB semble ralentir pour venir aux nouvelles. JPB s’arrête à temps, d’extrême justesse ! (Cela arrive aux meilleurs). Décidément, on ne s’ennuyait pas à Charade, en 72.
1972 : Déjà, le futur se dessine. L’année suivante, ces deux là seront coéquipiers chez BRM mais c’est au pilote au casque rouge que l’écurie de Bourne servira de tremplin pour intégrer la Scuderia (bien aidé, il faut le dire, par l’invraisemblable tournure des événements ayant privé JP Jarier de ce volant).
J’ai continué à fréquenter les circuits quelques années, mais j’utilisais surtout une caméra super-huit, puis j’ai cessé de filmer et de photographier. Fin, donc, de cette petite randonnée au sein d’une carrière exemplaire dont je fus, de temps à autre, un témoin privilégié.
Merci, Monsieur Beltoise …
Professeur Reimsparing
Notes
[1] Jean-Pierre Beltoise « Mon album photo », éditions l’Autodrome, Saint-Cloud, 2011 : Le complément idéal en est l’ouvrage de Johnny Rives paru en 1973 sous le titre Beltoise Le roman d’un champion, dont le chapitre introductif, à savoir le récit du premier tour à Monaco en 72, vu du cockpit de la BRM, est un morceau d’anthologie inégalé à ce jour.
[2] Ledit stage assorti d’une brillante démonstration, par JPB himself, du bien-fondé de la règle d’or issue de son expérience de la vitesse maîtrisée et que devrait respecter tout conducteur lambda : regarder loin devant et anticiper.
Images © Professeur Reimsparing
Texte du 26 avril 2011 publié par Mémoire des Stands