En seulement 10 ans de carrière sportive, Gérard Laureau a cumulé une soixantaine de victoires sans en remporter une seule au scratch. Comment ? En courant au volant des D.B Panhard puis René Bonnet qui s’imposaient au classement à l’indice ou dans leur classe de cylindrée.
Patrice Vergès
Bien oublié aujourd’hui, le nom de Laureau est réapparu en 2017 au Tour de France Historique. En hommage à son grand-père, son petit-fils Antoine a disputé cette épreuve au volant d’un coach D.B Panhard avant de courir au Mans Classic 2018, cette fois, avec un Djet René Bonnet.
Gérard Laureau décédé fin 2002 à 82 ans n’a couru qu’une grosse douzaine d’années, majoritairement pour René Bonnet. En effet, dès 1954 il devint l’un des deux pilotes officiels de l’écurie D.B où il resta 10 ans jusqu’à la fin de la marque annexée par Matra fin 1964.
Histoire d’eau
Gérard Laureau n’arrêta jamais son activité de puisatier qu’il exerça parallèlement à sa carrière de pilote. Un nom prédestiné pour ce métier car le sien comprenait deux fois la sonorité « eau ». D’ailleurs, c’était le 5eme de la génération des puisatiers de Saint-Cyr-l’École où il habitait. Et aussi le dernier. Une vocation, puisque tout gamin, le petit Gérard perçait des trous partout dans le sol avant de suivre des études de géologie et de prendre la suite de son père. Autre troublant hasard, Gérard Laureau aimait courir sous la pluie où il se permettait d’être souvent plus rapide que sur le sec. C’est encore grâce à la l’eau qu’il est devenu pilote.
« Grâce à mon père qui avait creusé des puits chez des pilotes comme Raymond Sommer et Robert Benoist, j’ai découvert le sport automobile. On rigolait bien avec quelques pilotes du cercle » Los Amigos ». Je conduisais déjà pas mal vite sur la route mes Traction 11 et 15 ch. Un jour, un copain m’a prêté sa Jaguar XK 120 pour participer à quelques épreuves où je n’ai pas trop mal marché mais aussi fait un tonneau avec. Puis, en 1954 je me suis lié avec un garagiste nommé Georges Trouis qui venait d’acheter un tank D.B 750 cm3. Il décida de l’engager au célèbre Tourist Trophy disputé sur l’Ile de Man où il me demanda d’être son coéquipier ».
Rappelons que la firme automobile française D.B née de l’acronyme Deutsch et Bonnet avait été créée avant la guerre. Au début des années 50, après la fin de Talbot et Bugatti, la firme D.B dont le siège était à Champigny était la seule marque avec Gordini à représenter la France sur tous les circuits. Parallèlement aux voitures de compétition animées par un moteur de Panhard, Bonnet produisait en toute petite série un coach Grand- tourisme motorisé également par un Panhard. Grace à Deutsch qui était polytechnicien, les D.B de course offraient ses solutions techniques sophistiquées pour l’époque. Testées en soufflerie à Saint Cyr, elles faisaient appel à des alliages légers qui leur permettaient de peser autour de 400 kilos seulement. Las, leur petit moteur flat-twin refroidi par air dérivé des Panhard de série dont la cylindrée variait de 610 à 850 cm3 délivrant de 45 à 55 chevaux selon les années, ne leur permettait uniquement de briguer des classements à l’indice de performance ou énergétique (poids-consommation) et des victoires de classe. Traction avant, utilisant de nombreuses pièces de Panhard de série, les D.B compensaient leur manque chronique de puissance par une excellente tenue de route et une vitesse de pointe assez élevée pour leur minuscule cylindrée. Mais laissons la parole à Gérard Laureau raconter sa première course sur D.B.
Pilote d’usine
» Je suis parti en avion alors que Trouis me rejoignait en bateau avec sa D.B. A cause d’une grosse tempête sur la Manche, il n’est jamais arrivé. Chez D.B, René Bonnet a été assez froid lorsqu’il m’a vu débarquer seul. Ses deux pilotes officiels étaient Claude Storez et Paul Armagnac. Deux hommes très rapides. Mais Storez qui avait des problèmes de cœur avec sa petite amie, décida de revenir en France. Se retrouvant sans pilote, Bonnet me confia le volant de la D.B officielle au coté de Paul Armagnac. Je n’avais jamais piloté de D.B dont la conduite était particulière et je ne connaissais pas le circuit assez difficile long de 18 km. Je ne devais parcourir qu’un tour sur les 67 de prévus pour respecter le règlement. Mais pendant la course, il s’est mis à pleuvoir des cordes et je me suis retrouvé vraiment dans mon élément. J’adorais la pluie et on ne m’a pas arrêté. J’ai marché très fort et du coup notre D.B a remporté la victoire (Hamilton sur Jaguar au scratch) car c’était une course handicap tenant compte de la vitesse par rapport à la cylindrée et la distance. (La petite D.B bleue de 750 cm3 avait tourné à 136,677 de moyenne sous la pluie !). Une victoire qui a fait beaucoup de bruit à l’époque notamment en France. Voici comment est partie ma carrière de pilote ».
Convaincu par la vélocité de Laureau, Bonnet lui propose un volant dans l’écurie. Comme il s’est bien entendu avec son coéquipier Paul Armagnac, huissier à Nogaro, les deux hommes feront équipe jusqu’au décès de ce dernier en 1962. Vu que Gérard habitait près de Paris à deux pas du circuit du Montlhéry, c’est lui qui testait les voitures et les réglait à sa convenance. » Armagnac qui était un type merveilleux me faisait totalement confiance. Nous avions la voiture la plus rapide, c’est vrai mais Bonnet m’aimait bien car il savait que je ne cassais pas les moteurs ni les boîtes et j’avais l’oreille mécanique « .
Certes, le petit twin était puissant pour sa cylindrée mais il était fragile détestant les surrégimes et les prises d’air parasites assez fréquentes car en vibrant beaucoup, sa boulonnerie avait tendance à s’éparpiller. Tandis que sa minuscule boîte de vitesse étudiée au départ pour un moteur de 360 cm3 encaissait mal la puissance. C’étaient des voitures à manier avec douceur comme savait bien le faire notre puisatier en insistant plus sur la tenue de route pour gagner des secondes que sur la mécanique.
C’était toujours pied dedans !
« Je conduisais très pur, sans les brusquer, avec la même trajectoire au centimètre prés. Un jour à Rouen, le pilote Jean Behra avait posé une boîte d’allumettes sur ma trajectoire. Je passais dessus à tous les tours ! La D.B exigeait une conduite très particulière. Il ne fallait jamais ralentir. Si tu perdais seulement 150 tours en sortir d’un virage, tu ne les regagnais sur toute la ligne droite et pendant ce temps là, le chrono tournait. Nous avions un truc pour être les plus rapides suite à une observation de Jean Behra. Un secret que nous avions gardé pour nous sans le dire à Bonnet. Rajouter un kilo aux pneus arrière en dépit de l’interdiction de Dunlop. Grace à ce kilo supplémentaire, l’arrière devenait bien plus léger et on pouvait mieux placer la voiture en fine dérive sur la trajectoire. Si on n’allait pas vite en ligne droite, de 160 à 185 km/h selon les années et la cylindrée de nos D.B, on marchait très fort en virages à condition de garder le pied dedans.
Un jour, j’avais eu une altercation avec Olivier Gendebien qui m’avait reproché que les petites voitures comme nos D.B le gênaient au Mans. On nous avait chronométrés dans les virages. Chez D.B, nous avions le 3eme chrono, largement devant bien des Ferrari 250 et Testa Rosa ».
Au cours de sa carrière, Gérard Laureau s’est posé la question de savoir s’il serait aussi performant au volant d’une voiture bien plus puissante. Car pour beaucoup d’observateurs, aller vite avec 50 chevaux seulement était à la portée de tout le monde ce qui ne l’empêchait pas avec Armagnac d’être toujours les plus véloces au sein des pilotes D.B. Pour ce faire, en 1960, Laureau s’est acheté une Cooper de Formule 2 à moteur 1500 Coventry Climax de 150 ch environ. » Face à la D.B, elle était bien plus facile à piloter car très légère au niveau de la direction et surtout plus amusante. J’ai été heureux de me situer face à des pilotes comme Brabham, Graham Hill, Trintignant et Von Trips. Malgré mon inexpériences des monoplaces je n’ai pas été ridicule. Je crois que ma meilleure place fut 3eme à Chimay ».
61 victoires !
De 1954 à 1961, associé presque systématiquement à Armagnac, au rythme d’une quinzaine de courses par an, notre homme participa aux plus grandes épreuves sportives internationales où les D.B étaient engagées. Après la disparition de Gordini en 1956 jusqu’a l’arrivée d’Alpine et de CD en 1963, D.B resta l’unique représentant du sport automobile français. De ce fait, elle suscita un formidable capital sympathie auprès de Français.
Les victoires à l’indice de la petite marque bleue étaient largement commentées dans la presse spécialisée mais aussi people qui publia de nombreux articles autant sur René Bonnet que son équipage vedette Laureau-Armagnac. Notre puisatier accrocha 61 victoires à son palmarès en moins de dix ans et trois titres de Champion de France en Sport dont le dernier en 1961. Plusieurs victoires à l’indice au Mans, mais aussi au Tour de France Auto, aux Mille Miles, aux 12 Heures de Sebring où la petite marque de Champigny était très connue. D’ailleurs D.B vendait pas mal de coaches HBR-5 aux USA grâce à la compétition.
Entre 1954 et 1961, les D.B s’étaient améliorées autant au plan tenue de route qu’aérodynamique que du freinage (freins Al-Fin) mais le manque de puissance du vieux bicylindre Panhard se faisait sentir davantage de jours en jours malgré des recherches pour accroître ses performances (2 arbres à cames en tête par Chancel ou culasses séparées à angle de soupapes modifiées par Hubert, compresseur). Les Abarth, les Osca et les Lotus plus puissantes se révélaient de jour en jour plus dangereuses pour les voitures de Champigny. Armagnac en avait assez de piloter » ces pétarous » se plaignait-il à Bonnet de son bel accent gersois. Même sentiment de la part de Laureau qui avait le sentiment de gaspiller son talent en conduisant des voitures d’à peine plus 50 chevaux.
Le divorce
Bonnet aussi en avait également assez de cette mécanique pas assez compétitive à ses yeux et de la traction avant inadaptée en compétition. En 1961, déjà les D.B adoptèrent le moteur central arrière. Lorsqu’il apprit que Citroën interdisait à Panhard la production d’un 4 cylindres à plat de 1200 cm3 qu’il attendait depuis longtemps, sa résolution fut prise : changer de motoriste. Après avoir songé à installer un moteur de Mini Cooper dans ses voitures, par le biais de son ami ancien ministre et pilote André Moynet, il fut sollicité par Renault qui avait décidé de se lancer dans les courses en circuit.
Il rompit son contrat avec Panhard fin 1961 pour se tourner vers Renault dont il devint l’écurie officielle. Cette rupture de contrat marqua aussi la fin de son amitié avec son associé Deutsch qui resta fidèle à Panhard dont il était très proche. Ayant souffert de l’insuffisance du moteur Panhard, Laureau et son ami Armagnac choisirent de rester chez René Bonnet pour 1962 où on annonçait un programme ambitieux. La suite au prochain numéro si vous le voulez bien…
A suivre ….
(Merci à Jean-Louis et Antoine Laureau, fils et petits-fils de Gérard pour leur aide iconographique )