Johnny Rives nous livre son analyse des liens entre le pilote quatre fois champion du monde et le Circuit Paul Ricard. Dans une première partie, ont été évoqués la victoire d’Alain Prost au Volant Elf 1975 suivi de sa triomphale saison 1976 et ses premiers essais F1 avec McLaren. Il nous rappelle aujourd’hui dans quelles conditions Alain Prost acquit ses victoires de 1983 et 1988 .
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GRAND PRIX DE FRANCE 1983
PROST ET RENAULT HAUT LA MAIN
Sa première saison en F1 (1980) fut loin de combler les espérances d’Alain Prost. L’écurie McLaren se révéla être à bout de souffle, par la faute d’une direction au niveau de compétence insuffisant. La championne du monde 1976 avec James Hunt était devenue totalement méconnaissable, n’achevant la saison qu’avec le dérisoire total de 11 points (Watson 6, Prost 5), très loin de Williams, Ligier et Brabham qui avaient dominé le championnat. Extrêmement déçu, Prost n’eut aucun mal à trouver meilleur poste pour 1981 : l’équipe Renault, que Jabouille avait décidé de quitter, lui ouvrit toutes grandes ses portes. C’est ainsi qu’il devint l’équipier de René Arnoux…
Au volant d’une Renault F1 en constants progrès, Alain Prost affutait en 1981 ses propres ambitions. C’est au G.P. de France (organisé cette année là sur le circuit de Dijon-Prenois) qu’Alain signa sa toute première victoire en F1, avant de récidiver à Zandvoort puis à Monza pour achever le championnat à la 5e place, juste un point derrière Laffite (Ligier-Matra), tandis qu’Arnoux, malchanceux n’avait pas réussi à décrocher la moindre victoire.
Rivalité
La rivalité entre les deux « jockeys » de l’équipe Renault se confirma en 1982. Alain Prost avait entamé la saison en s’adjugeant les deux premiers Grands Prix (Afrique du Sud et Brésil), se posant d’entrée en favori du championnat ainsi qu’en leader d’équipe. Après quoi les Renault enchainèrent les échecs par la faute d’un déplorable manque de fiabilité. L’équipe française finit par redresser la barre au G.P. de France qui était de retour sur le circuit Paul-Ricard. Mais la victoire décrochée par Arnoux devant Prost fut une victoire à la Pyrrhus. Obtenue au mépris des consignes d’équipe (favorables à Prost) elle déboucha sur une fracture interne qui aboutit au départ d’Arnoux chez Ferrari en 1983. Du coup, bien que rejoint par l’espoir italo-américain Eddie Cheever, Alain devenait de facto le leader de l’équipe Renault placée désormais parmi les grands favoris du championnat.
Quand, le 13 avril 1983, l’équipe Renault débarqua sur le circuit Paul-Ricard avec deux nouvelles (et belles) RE40, il n’y avait plus de temps à perdre. Contrairement à l’année précédente, son début de saison avait modeste. Pour ne pas dire décevant. Les RE30 « C » étaient dépassées, poussant, après un échec à Rio, Renault à préparer une RE40 inédite pour le seul Prost à Long Beach… qui n’était pas le circuit idéal pour un moteur turbo. Ce dont McLaren avait profité pour signer un doublé (1. Watson, 2. Lauda) avec de vénérables mais toujours vaillants moteurs Ford-Cosworth.
Simple feu de paille en réalité. Comme le souligna bientôt le Grand Prix de France, inscrit cette année là en ouverture de la saison européenne, au mois d’avril – pour éviter la concurrence des plages qui, en juillet, étaient de réelles rivales contrariant succès populaire du circuit Paul-Ricard.
Turbos
Avec sa longue ligne droite dite « du Mistral » (1,8 km) le circuit varois souligna d’entrée la prédominance des moteurs turbos : ils raflèrent les huit meilleurs temps de la première journée d’essais. La plus rapide des F1 à moteur aspiré (la McLaren de Lauda) avait concédé quelque trois secondes à la plus rapide des turbos. Laquelle (surprise, surprise !) était l’Alfa Romeo de De Cesaris (1’38’’09 contre 1’41’’06 à Lauda). Et Alain Prost ? Il était bien là… Mais il n’émergea qu’après le déclassement de De Cesaris (extincteur de bord vide, donc plus léger), pour occuper finalement le haut de la feuille des temps (1’38’’35).
Chez Renault on pouvait être satisfait : la nouvelle RE40, conçue sous la direction des ingénieurs Michel Tétu (châssis) et Bernard Dudot (moteur), affichait un indiscutable avantage sur la précédente RE30 « C », qui avait si modestement entamé la saison à Rio (Prost 7e à un tour de la Brabham-BMW de Piquet). La performance d’Alain sur le Paul-Ricard avait été confirmée par Cheever, deuxième temps sur l’autre RE40. Et même par Elio de Angelis dont la Lotus à moteur Renault turbo avait signé le 3e temps devant la Brabham-BMW de Piquet.
Ravitaillements
Brabham se distinguait des autres F1 par une audace : la BT52 à moteur BMW turbo avait été conçue par l’ingénieur Gordon Murray avec un réservoir d’essence réduit ce qui impliquait pour ses pilotes (Piquet et Patrese) un arrêt obligatoire en course pour ravitailler. Stratégie que toutes les équipes épousèrent bientôt quelle que fut la contenance de leurs réservoirs.
La seconde journée d’essais ne fit que confirmer la première : Alain Prost s’adjugea la pole position en 1’36’’672 (216,360 km/h), meilleur performance jamais enregistrée sur le « grand » circuit Paul-Ricard à cette époque. Lauda (12e temps), avec sa McLaren-Cosworth était distancé de 4’’4 par la Renault du Français. L’avantage de performances des turbos était également souligné par la Lotus-Renault turbo de De Angelis qui avait distancé la Lotus-Cosworth pourtant plus légère de son équipier Nigel Mansell de 3’’4… Dans la ligne droite du Mistral, les turbos marquaient un avantage de 20 km/h sur les plus rapides des « atmosphériques » avec 310 km/h en pointe contre 290.
Favori
Pour la course, il était clair que Prost n’aurait qu’une chose à craindre : l’incident. Mais tel ne fut pas le cas. Il prit aisément le meilleur départ pour s’envoler vers une victoire incontestée. Il ne laissa la première place à la Brabham-BMW de Piquet que l’espace de trois tours, ceux qui séparèrent le ravitaillement du Français de celui du Brésilien. A l’initiative de l’ingénieur Murray, l’équipe appartenant à Bernie Ecclestone avait audacieusement choisi de s’élancer en course avec les gommes les plus tendres proposées par Michelin. Les Renault, elles, avaient été prudemment chaussées des gommes les plus résistantes.
Donc moins performantes. Gérard Larrousse, directeur de l’équipe française, avait prévu la stratégie suivante : à mi-parcours, Cheever serait le premier des deux Renault à ravitailler et changer de pneus. Cela permettrait d’inspecter l’état de ses gommes et éventuellement de remplacer celles de Prost, trois tours plus tard, avec les plus tendres. Ce fut le cas et lui permit dans la seconde partie de la course de distancer Piquet de quelque trente secondes. En revanche, Cheever, qui avait parcouru toute la distance en gommes dures, dut se contenter de la 3e place, dix secondes derrière Piquet.
Dès lors, il apparut clairement que le championnat du monde allait se jouer entre les F1 à moteur turbo. Alain Prost en devenait l’un des grands favoris en dépit de la rude opposition représentée par Nelson Piquet et l’écurie Brabham. Voire également d’Arnoux et Tambay dont les Ferrari avaient, dans ce G.P. de France, souffert d’une usure anormale de leurs pneus. Mais qui, une fois cette difficulté surmontée, semblaient elles aussi de taille à jouer le titre. Ce qui, finalement, fut le cas, les victoires s’étant partagées équitablement entre ces trois équipes (quatre chacune).
Mais le titre ?
Le titre revint finalement de justesse à Nelson Piquet au terme d’une saison polémique, où, non sans raison, fut mis en cause le carburant très spécial utilisé sur les Brabham-BMW victorieuses. Renault eut le tort de ne pas déposer officiellement réclamation. Après sa quatrième victoire de la saison (Autriche), Alain Prost semblait hors de portée de Piquet. Mais une fin de saison déplorable le condamna à la défaite. Avec pour conséquence une mésentente irréparable avec l’équipe française. Il en divorça pour revenir dans l’équipe de ses débuts en F1, McLaren. Une équipe qui avait été totalement renouvelée et relancée par Ron Dennis en 1981, comme les saisons suivantes allaient le démontrer…
GRAND PRIX DE FRANCE 1988
PROST-SENNA, LE FAMEUX DUEL
Tracé intermédiaire
Entre temps, le circuit avait subi une mutation importante. Encore utilisé en 1985, le grand tracé de 5,8 km avait été délaissé à partir de 1986 au profit d’un tracé intermédiaire entre le circuit utilisé le plus souvent lors des essais hivernaux (3,3 km) et l’ancien tracé de Grand Prix. Ce dessin intermédiaire utilisait simplement la bretelle située au niveau de l’école Winfield, juste avant les « S » de la Verrerie qui avaient été le théâtre de l’accident fatal d’Elio de Angelis quelques semaines plus tôt. Accident qui avait provoqué la décision d’éviter ce passage épineux. D’où le choix de ce tracé intermédiaire de 3,813 km.
Quand se présenta le Grand Prix de France 1988, même s’il y avait obtenu des résultats honorables avec trois podiums, Prost n’avait donc plus gagné sur le Paul-Ricard depuis cinq ans. Les conditions pouvaient-elles lui faire espérer mieux ? Oui et non…
Oui, en ce sens que, désormais propulsées par le moteur Honda turbo en lieu et place des moteurs TAG-Porsche champions du monde avec Lauda (1984) puis Prost (1985 et 1986), les McLaren étaient devenues imbattables – elles avaient gagné tous les Grands Prix depuis le début de la saison.
Senna
Non parce qu’après Lauda et Rosberg, Prost était désormais accompagné d’un nouvel équipier encore plus talentueux que les précédents : Ayrton Senna. Quand il fut recruté par Ron Dennis, ce jeune Brésilien venait de passer trois saisons chez Lotus, au cours desquelles il avait glané six victoires, certaines retentissantes – comme sa toute première au GP du Portugal 1985, sous une pluie battante, où il avait fait merveille. Depuis le début de la saison 1988, Senna avait confirmé le potentiel que beaucoup avaient décelé chez lui lors de ses trois saisons chez Lotus. A preuve : il avait raflé toutes les pole positions ! La plus fantastique avait été celle décrochée au GP de Monaco où, au terme d’un tour ahurissant, il avait distancé Alain Prost, auteur du 2e temps, d’une seconde et demie (1’23’’998 contre 1’25’’425). Les Ferrari étaient à quelque trois secondes !
En course, Senna et Prost s’étaient jusque là partagés les victoires à parité (trois chacun) et si Prost était en tête du championnat c’est simplement parce qu’il comptait trois deuxièmes places (derrière Senna) quand celui-ci n’en comptait qu’une seule… derrière Prost (Mexique). Ayrton avait abandonné deux fois sur accident (Brésil et Monaco), laissant Alain Prost sans adversaire. Jusque là, Alain ne l’avait donc battu vraiment qu’une fois à la régulière, au GP du Mexique.
Prost en pole
L’affaire se présentait donc assez simplement, ce 3 juillet 1988 : deux candidats, et deux seulement, pouvaient prétendre s’imposer sous le soleil du Paul-Ricard, Alain Prost et Ayrton Senna – avec un avantage probable pour le Brésilien, au vu de ce qui précédait. Les autres étaient réduits au rôle de faire-valoir. Y compris les Ferrari d’Alboreto et Berger.
Or, première surprise, Prost prit l’avantage dès les qualifications en s’attribuant la pole. Senna était battu pour la première fois de la saison dans ce domaine du sprint pur. Pour réussir son exploit, Prost avait pris sur lui : « Les qualifs, nous avait-il avoué auparavant, sont un exercice que je n’aime pas trop. Je ne m’y sens pas à l’aise. Je suis trop contracté. Le fait que je n’essaye pas de me surpasser pour lutter avec lui, ça doit aider Ayrton à les aborder de façon plus détendue… J’espère que ça va changer un peu. Une pole ou deux me libèreraient sans doute. »
Mais là, nous étions sur le circuit Paul-Ricard. Devant le public français. Aussi Alain Prost aborda-t-il les qualifs avec plus de détermination que précédemment. Mettant ses doutes de côté, il réussit à produire un pilotage extrême, devançant son brillant équipier de quelque quatre dixièmes (1’7’’58 contre 1’8’’06). Derrière les McLaren-Honda, les Ferrari monopolisaient la deuxième ligne.
Duel
En course, Prost prit immédiatement le commandement des opérations. Totalement maître de la situation, il s’assura progressivement un net avantage sur Senna pourtant déchainé : après 10 tours, l’avantage du Français n’était pas colossal. Mais il était net : 2’’8. Berger et sa Ferrari étaient à 7 secondes du Français.
Peu avant la mi-course se produisirent les ravitaillements. Senna d’abord. Puis Prost. Mauvaise surprise : quand Alain reprit la piste après son changement de roues, il était 2e avec trois secondes de retard sur Senna !
Celui-ci était réputé pour effectuer sur les retardataires des dépassements autoritaires au cours desquels il perdait moins de temps que Prost, plus circonspect. Mais là, motivé comme jamais, ce dernier faisait preuve d’un tranchant qu’on ne lui avait pas vu depuis longtemps. Ce qui lui permit, tour après tour, dixième par dixième, de grignoter ses trois secondes de retard sur Senna. Une fois dans le sillage de son équipier, Prost guetta le moment le plus opportun pour porter son attaque et lui reprendre la première place.
Victoire
Celui-ci se produisit au 61e des 80 tours. Senna venait de rattraper la Minardi du petit Italien Pierluigi Martini qui lui-même talonnait son compatriote Stefano Modena dans l’espoir de le dépasser. En bout de ligne droite, les quatre F1 abordèrent la courbe de Signes en formation serrée dans l’ordre Modena-Martini-Senna-Prost.
Lorsque, lancées à fond, elles en émergèrent, Senna eut une sorte d’hésitation. Sans doute gêné par les turbulences aérodynamiques de la Minardi bleu nuit, il s’abstint de déboiter pour tenter un dépassement à l’entrée du double droite du Beausset. Prost, qui émergea de la courbe avec plus d’élan que Senna, n’hésita pas : il se porta sur la droite de son équipier, et, retardant audacieusement son freinage, prit l’avantage.
Ce qui l’amena tout près de la Minardi sur une trajectoire plus intérieure que la F1 italienne. Mieux placé, il se trouva au même niveau qu’elle au moment où le virage s’accentue. Martini entrevit le museau rouge et blanc de la McLaren à sa droite. Cela l’incita à rester à l’extérieur, cédant le passage à Prost. La manœuvre n’avait duré que sept secondes. Mais elle fut décisive pour Prost : il avait récupéré « sa » première place ! Et de quelle façon…
Le public ne s’y est pas trompé, qui lui fit une ovation formidable. Il y avait bien longtemps qu’un tel courant de sympathie n’était pas passé avec autant d’éclat entre lui et Alain Prost…