Un an après une première participation mémorable , François m’a à nouveau invité à le naviguer lors du Galop des Cuirassiers, ce rallye touristique organisé avec soin par le club Passion Alpine Renault Alsace (PARA). Pour sa 3e édition, le Galop recevait un invité d’honneur en la personne de Michel Leclère qui, accompagné de son épouse Françoise, s’était vu confier le volant d’une Renault 17 TS.
(https://www.classiccourses.fr/2017/09/le-galop-des-cuirassiers/)
Olivier Favre
Cette fois encore, les bénévoles de l’association ont déniché quantité de petites routes sillonnant le nord de l’Alsace et traversant des petits villages tranquilles où le passage échelonné des quelque 60 équipages sera très remarqué. Et cette année la manifestation est aussi placée sous le signe de la solidarité, puisqu’elle servira à rassembler des fonds pour aider les parents du jeune Florian, atteint de la maladie de Hunter, une affection dégénérative rare.
Le Mans, Ferrari, Laffite
« Dites-donc Monsieur Blaise, vous ne vous ficheriez pas de nous par hasard ? Sur ma feuille, il est marqué Vespa 400 ! » Au moment de lâcher l’équipage n°49, le contrôleur du PARA nous interpelle sur un ton blagueur, mais François ne se démonte pas et lui rétorque tout sourire « C’est un modèle un peu modifié ! ». Comme l’année dernière, François était inscrit avec sa mignonne Vespa rouge, mais un souci avec l’embrayage de la puce l’a conduit à se rabattre sur la BMW de son fils. Enfin, « se rabattre », c’est une façon de parler puisqu’il s’agit d’une M3 type E93 cabriolet animée par un V8 de 420 ch, … soit 32 fois plus que la Vespa ! Plutôt discrète à l’arrêt dans sa robe sombre, elle impressionne par son bruit et ses accélérations, tout le contraire de la Vespa !
Un an après, je reprends donc ma tâche de navigateur, un œil sur le roadbook, l’autre sur la route, tout en veillant à ne pas rater les questions qui jalonnent l’itinéraire. Mine de rien, cela demande un peu de concentration, surtout si l’on se pique au jeu dans l’espoir de récolter une coupe à la remise des prix du dimanche midi. Comme l’année dernière, le parcours est ponctué d’arrêts pour visiter des entreprises animant le territoire et, si possible, produisant des produits agréables à l’œil et au palais. C’est ainsi que le samedi matin nous visitons une distillerie tout près du Rhin, sous une petite pluie fine et insistante.
Michel Leclère
Une heure plus tard, dans le brouhaha du restaurant alsacien qui accueille toute la troupe, c’est au tour de Michel Leclère de nous distiller quelques souvenirs pluvieux datant de l’édition 1979 des 24 Heures :
« J’étais associé à Claude Ballot-Léna sur l’une des deux BB Pozzi, l’autre était pilotée par Jean-Claude Andruet. Alors que nous étions distancés à la régulière sur le sec par les prototypes, sous la pluie la nuit, grâce aux pneus Michelin, très performants, nous remontions sur les voitures de tête qui étaient équipées de pneus Dunlop moins efficaces. Au petit matin, en doublant une 935, sous une pluie battante, avec une visibilité quasi nulle, je n’ai pas vu et donc pas pu éviter une Chevron 2 litres. La course s’est fatalement arrêtée là pour Marcel Tarrès ainsi que pour moi. J’en ai été profondément désolé, surtout pour lui. La Ferrari BB avait un bon moteur mais le châssis n’était pas aussi performant. Celui de la Porsche 935, que j’ai également pilotée en course, était plus efficace. Je n’ai jamais compris pourquoi les Ferrari commercialisées, avant le modèle 458, n’ont pas été plus abouties au niveau du châssis, alors que par ailleurs les moteurs sont exceptionnels. Pour moi, la 458 a vraiment un châssis et un comportement taillés pour la course, la preuve en est qu’elle a souvent dominé les Porsche en course depuis sa sortie. »
Comme l’année dernière, les Alpine et Renault sont bien sûr majoritaires, mais cela n’exclut pas la diversité, dans les voitures comme dans les équipages : de la Fiat d’après-guerre à la nouvelle berlinette Alpine, de la modeste 2 CV à la puissante BMW, du jeune passionné au retraité, c’est une évocation libre et gaie de 70 ans d’histoire automobile qui va pendant plus de 24 heures dûment sillonner les routes de l’Alsace du Nord.
« Le Mans, c’est une course mythique, suivie dans le monde entier et qu’un pilote se doit d’avoir à son palmarès. Pour autant je n’étais pas particulièrement attiré par les courses d’endurance, je préférais les courses de vitesse. D’autre part, les grandes différences de vitesse et de pilotage rendent les 24 Heures très dangereuses. En tout cas, je n’ai jamais réussi à aller au bout : quatre participations, quatre abandons. » Alors que je lui dis qu’il aurait enfin pu voir l’arrivée en 1980 avec la vraie-fausse 936, il me répond : « J’étais inscrit en tant que pilote de réserve et je pense que l’écurie ne prévoyait pas que je dispute la course. Aux essais, lors d’un freinage ma voiture a été percutée légèrement et, bien que je ne sois pas responsable de cet accrochage, il m’a été signifié que je ne participerais pas à la course. Il est certain que, même si je n’ai effectué que quelques tours, la Mirage ne souffrait pas la comparaison. »
Charade
A François qui lui fait remarquer sa ressemblance physique avec Jacques Laffite, Michel répond : « Avec Jacques c’était la compétition permanente ; logique puisque nous étions dans des écuries concurrentes : lui Martini BP, moi Alpine Elf. En 1973, sur le circuit de Charade, nous nous disputions la première place et, dans le dernier tour, alors que j’étais en tête, il m’a doublé à l’aspiration à un endroit très dangereux (les esses de Champeaux), m’obligeant à freiner en catastrophe pour éviter l’accident. Je ne m’y attendais pas du tout car c’est un endroit où la trajectoire ne laisse la place qu’à une seule voiture. Il a failli provoquer un accident qui aurait pu nous coûter très cher, à l’un comme à l’autre. Lorsque, après la course, je suis allé lui parler et lui dire que ce qu’il avait fait relevait d’une totale inconscience, il a ri. J’ai compris alors qu’il était prêt à tout, même à mettre la vie des autres en danger, pour remporter une victoire. »
Nürburgring, Charade, Monaco … et Spa
Après une première journée plutôt frisquette et humide, l’été fait son retour le dimanche, ce qui nous permet de replier le toit dans le coffre. Nous allons ainsi pouvoir profiter de la musique du V8 qui résonne dans les courbes forestières des Vosges du Nord, qui rappellent parfois le profil d’un célèbre circuit encore plus au nord.
« En 73 au Nürburgring, avec Alain Serpaggi nous avons parcouru les 23 kilomètres du circuit à pied avec un magnétophone. Et le soir dans la chambre d’hôtel on se repassait la cassette pour mémoriser les virages et les enchaînements. Cela en valait la peine car nous avons réalisé les meilleurs temps aux essais. En course, ç’aurait dû être pareil mais j’ai cassé et c’est Alain qui a gagné. »
« J’ai toujours aimé les circuits rapides, où le sens de la trajectoire compte. Mon meilleur souvenir, c’est sans doute Charade en 69, en coupe Gordini. Pour le tout jeune pilote que j’étais, c’était incroyable de m’entendre dire à la fin des essais, à mon arrivée aux stands, que j’avais 6 secondes d’avance sur le deuxième concurrent. De même, en course, lorsque mon frère Jean-Louis qui préparait mon moteur m’a montré au panneautage après 3 tours que j’avais 18 secondes d’avance sur le deuxième, j’ai eu du mal à le croire. Le lendemain dans L’Equipe j’ai eu droit à un article flatteur signé par Johnny Rives1 »
En fin de matinée, à l’heure de l’apéro, nous visitons logiquement la « Fabrique à bretzels » (https://www.boehli.fr/lafabriqueabretzels/) où nous découvrons les secrets de ce biscuit apéritif emblématique de l’Alsace, avec en prime dégustation de bretzels au chocolat : surprenant mais convaincant !
Pour finir, l’ensemble des participants à ce Galop 2018 se retrouvent autour d’une choucroute. Le temps passe et, alors que l’on sort le gâteau aux couleurs de l’invité d’honneur, François commence à regarder sa montre de plus en plus souvent. C’est que l’heure du départ du GP de Belgique approche à grands pas ! Moi, je reste zen, ça fait plus de 15 ans que j’ai par principe ôté les Grands prix de mon emploi du temps dominical.
Providence
« A Monaco en 76, j’avais réussi à me qualifier (Jacky Ickx, mon équipier, avait eu moins de chance) et Frank Williams s’en était montré très satisfait. Mais il y a eu moins d’abandons que d’habitude et je n’ai donc terminé que 11e avec cette voiture dont Gérard Ducarouge m’avait dit qu’elle ne marcherait jamais. Peut-être que si j’avais terminé 6e la suite de mon parcours en aurait été modifiée. Mais je ne regrette rien. La chance est un facteur à prendre en considération et j’en ai eu. J’ai eu plusieurs accidents : au Paul Ricard en 1971, au Mugello en 76, au Nürburgring en 77 (avec la Kauhsen-Renault ex-Elf 2, je me retrouve sans freins à 250 !), au Mans en 1979, à chaque fois j’en suis sorti indemne et je remercie la providence ! »
A la grande satisfaction de François, une solution technique est trouvée pour diffuser le Grand Prix en direct sur le mur de la salle polyvalente. Mais le « spectacle » (ou plutôt son absence passé le premier virage) proposé nous incite vite à reporter notre attention sur la remise des prix, lors de laquelle Michel énonce les bonnes réponses aux questions posées dans le roadbook. Je comprends vite qu’il n’y aura pas plus de coupe pour nous en 2018 que pour Michel en 1977 :
« Cette saison 1977 a été pour moi la dernière ; j’ai dû abandonner 16 fois en 17 courses ! La même année, en me rendant sur les circuits par la route, je suis tombé en panne au moins une dizaine de fois et à chaque fois au volant de voitures différentes ! »
Je n’ai rapporté ci-dessus que des extraits choisis mais, en partant de sa carrière en course, c’est un champ bien plus large que nous avons embrassé avec Michel. Partis de la course auto, nous avons « dévié » vers des sujets bien plus profonds et bien moins matériels : l’amour, la mort, le sens de la vie et les moyens de se la rendre plus douce2. Au-delà du pilote, j’ai rencontré un personnage (deux en comptant Françoise, son épouse) éminemment sympathique et bienveillant. Un homme qui fait du bien. Et c’est le souvenir principal que je garderai de cette édition 2018 du Galop des Cuirassiers, une fugue idéale pour aborder la rentrée regonflé.
Photos du Galop : © François Blaise et Olivier Favre
Photos d’époque : © DR
Notes :
- – Extrait de L’Equipe du lundi 7 juillet 1969 : « Déjà, et de loin le plus rapide aux essais, Michel Leclère a remporté hier sa plus probante victoire dans la Coupe des Gordini. Probante pour deux raisons : le caractère sélectif inégalé en France du circuit de Charade, et aussi l’aisance avec laquelle il a rapidement creusé l’écart sur ses poursuivants. Dans la descente rapide, Leclère était le plus courageux et le plus adroit : c’est là qu’il creusait la différence le séparant des autres « gordinistes », et un groupe de pilotes de Formule 1 (Stewart, Beltoise, Rindt), qui était placé dans la courbe de la Carrière, fut émerveillé par sa vitesse de passage en cet endroit très délicat, ainsi que par le choix intelligent de sa trajectoire. »
- Depuis 2010 Michel est naturopathe et il propose par ailleurs des stages de pilotage et des prestations de coaching pour pilotes débutants.
Enfin, pour terminer, un grand bravo à l’équipe du PARA pour l’organisation sans faille de ce rallye et un grand merci à François pour son invitation à partager cette balade conviviale au cours de laquelle j’ai découvert certains villages et routes qui méritent le détour.