La nouvelle n’est pas une surprise tant on savait l’homme physiquement au bout du rouleau : Frank Williams est parti ce 28 novembre rejoindre Ginny, Ayrton, Piers et tous les autres. Ce guerrier qui s’est battu toute sa vie avec la hargne d’un mort-de-faim, même quand la raison joua contre lui, n’avait justement plus guère de raisons de prolonger le combat depuis la cession de son écurie il y a deux ans à un fonds d’investissement américain. Quel intérêt à « attendre que ça se passe » pour celui qui avait installé le sport automobile dans tous les recoins de sa vie professionnelle, voire privée ? On peut imaginer que lorsque la Grande Faucheuse est enfin venue lui proposer le tout dernier tour, le fier Anglais a dû – pour la première fois – accepter l’offre sans résister.
Il l’a pourtant côtoyée de près tout au long de sa carrière cette sombre et sinistre silhouette, sans jamais lui accorder la moindre attention. Même en 1986 lors de son terrible accident qui allait le laisser tétraplégique, il refusa d’abdiquer. On l’a dit et redit : Frank Williams ne cherchait pas à séduire. Il proposait à ceux qui le rencontraient un bouclier de froideur pouvant paraître déstabilisant. Les aléas de la vie lui avaient fait construire une carapace protectrice qui lui permit de toujours avancer sans se poser de questions superflues, même celles concernant une gestion très discutable des premières versions de son écurie dans les années soixante-dix. Mais force est de constater que, si l’on pouvait ne pas spécialement apprécier Frank Williams, on devait le respecter pour l’immense œuvre accomplie.
Les gens qui ont travaillé avec lui se rappellent d’un homme farouchement arqué sur ses positions, qui ne prenait pas de pincettes pour les envoyer à la figure de ses contradicteurs. Bernard Dudot m’avait raconté il y a quelques années combien il avait été délicat de lui faire admettre qu’équiper une deuxième écurie du V10 Renault (en l’occurrence l’écurie Benetton de Briatore et Schumacher) permettrait un meilleur retour d’informations et servirait indirectement l’écurie Williams. Une grande dose de patience et de persuasion fut nécessaire pour convaincre le rigide patron. Frank avait construit sa structure à la force du poignet, sans jamais rien demander à personne, et ne tolérait pas l’idée qu’on puisse lui dicter sa conduite en ce domaine.
Ses relations avec la majorité de ses pilotes furent placées sous le signe d’un professionnalisme total, mais également empreintes d’une telle distance qu’elles amenèrent à des incompréhensions mutuelles, pour ne pas dire plus. Il les considérait comme de simples employés, « ceux qui me coûtent le plus ». Alain Prost m’avait pudiquement avoué lors des interviews réalisés pour le livre le concernant (1) qu’après McLaren, piloter pour Frank était quelque chose de « spécial »…
La mort de Frank Williams nous touche particulièrement car cet homme inflexible laisse derrière lui une œuvre monumentale : les multiples succès avec Cosworth/ Jones et Rosberg, Honda/ Piquet, et Renault/ Mansell, Prost, Hill ou Villeneuve qui ont ponctué notre parcours d’aficionados durant une vingtaine d’années. Il était le dernier représentant des patrons indépendants, une époque désormais à jamais révolue. Un patron qui n’aimait pas célébrer les triomphes : les bulles ne l’intéressaient pas – il supportait difficilement de voir ses mécaniciens déboucher une petite binouze à l’issue d’un grand prix victorieux ! Seul le travail à accomplir dès le retour à l’usine captait toute son attention. Au Canada en 1980, lorsque Williams Grand Prix Engineering devint officiellement champion du monde des constructeurs, tout le monde s’attendait à un barouf pas possible dans la pitlane. Seul l’Union Jack (2) hissé fièrement au-dessus du stand témoigna ce jour-là que Frank Williams était enfin parvenu à son rêve ultime.
La carrière de Frank Williams a été évoquée plus en profondeur il y a deux ans dans la note suivante : https://www.classiccourses.fr/actualites/frank-williams-le-coureur-solitaire/
Classic Courses tient à remercier Bernard Asset pour sa grande disponibilité et sa gentillesse.
(1) Alain Prost, La science de la course – Pierre Ménard, Jacques Vassal, 2003 éditions Chronosports.
(2) Drapeau du Royaume Uni