Parler de celui qui a disparu pour en faire l’éloge ou parler de soi pour exprimer sa peine. Telle est l’hésitation qui s’insinue à l’annonce d’une aussi triste nouvelle. Patrick Tambay, le pilote, le gentleman, l’homme aux mille vies est mort aujourd’hui.
Pour avoir à plusieurs reprises évoqué avec lui cette issue que l’implacable maladie lui destinait, je sais qu’il avait résisté à la tentation d’abréger l’inéluctable naufrage duquel il était prisonnier. « J’aurais préféré disparaître au champ d’honneur, me disait – il, que de finir comme ça ».
Quelqu’un d’aussi résilient, combatif et courageux pouvait-il accepter un destin qui avait fait de lui un enfant béni des Dieux et refuser le sort qui semblait parfois s’acharner ? Sa vie d’homme n’était pas de celles qui optent pour le compromis. Dans l’épreuve il a aussi choisi de faire face. Jusqu’au bout avec une dignité qui forçait l’admiration de ceux qui savaient.
Rencontre
Parlerai-je de notre première rencontre avec Johnny Rives ? Dois-je évoquer cette réunion en Corrèze chez Jean-Paul Brunerie où nous jetions les bases de Classic Courses et où il était présent ? Cette réunion au cours de laquelle il avait exprimé son souhait que l’un de nos auteurs puisse s’intéresser à la réalisation de sa biographie, Jean-Paul Orjebin peut – être ?
Quand Yves Jouanny avait fêté les 50 ans de la « Remise » à Antraigues, en invitant tous ceux qui s’étaient illustrés au rallye de Monte Carlo, Patrick m’avait fait l’honneur de me proposer de l’y accompagner. Il avait fait ce rallye en 1972 au volant d’une R12 Gordini pilotée avec brio et acquis le respect de ses pairs dans cette exigeante discipline.
Les visites régulières faites au Cannet où il résidait nous donnaient la joie de partager un moment d’évasion autour d’un bon repas, il aimait raconter. Se raconter. Dans l’un de ses multiples rôles. Skieur. Pilote. Homme politique. Toujours avec un certain détachement, une pointe d’ironie et beaucoup d’humilité. Plus le temps passait, plus son désir de voir réaliser sa biographie devenait impérieux. Avec Massimo Burbi il avait produit « 27, The Ferrari years » mais cela ne concernait vraiment que les deux années passées à la Scuderia. Il avait tant d’autres choses à exprimer. Ni pour la postérité, ni pour la gloire. Mais pour ses enfants. Les deux ainés, Esti et Loïc qui vivaient loin de lui. Et Adrien, le fils qu’il a eu avec Dominique Chesnais et auquel il craignait de ne pouvoir tout transmettre.
Alors de proche en proche, il devint évident que je devais trouver une réponse à cette demande. Pour l’homme que j’avais appris à connaître et l’amitié qui s’était instaurée entre nous. Pour le pilote qui m’avait fait rêver. Pour celui qui savait qu’il ne pourrait mener seul cette tâche à son terme.
Rappelons-nous
Son engagement inattendu en CanAm. Son arrivée tonitruante en F1 en Grande Bretagne en même temps que Gilles Villeneuve, en 1977. Les résultats qu’il avait su engranger au terme de cette magnifique saison. Son titre CanAm.
S’en était suivi un contrat chez McLaren aux côtés du grand James Hunt. Ces années qui auraient dû être de lumière s’étaient avérées calamiteuses pour l’écurie. Et Patrick de me dire avec son sourire un peu fataliste « James Hunt aurait dû me montrer le bon exemple, mais il m’a montré le mauvais ! »
Son deuxième titre en CanAm en 1980 était le miroir d’une absence de perspectives nouvelles en F1. C’est pourtant là qu’en 1981 Theodore vint le chercher puis Ligier. Nouvelles désillusions. Puis nouveau départ vers les USA qu’il connaissait si bien depuis ses études à Boulder.
Il semblait perdu pour la F1 quand le sort qui s’acharnait l’y rappela pour remplacer son ami Gilles Villeneuve. En une demie saison chez Ferrari en 1982, aux côtés de Didier Pironi il fut en lutte pour le titre quasiment jusqu’à la fin.
Alors…
Pour ce rêve porté. Ces paroles justes. Ce courage. Réaliser son vœu était devenu le mien. Ma rencontre avec José Valli le permit. Patrick avait désormais son auteur. Je fis les présentations en juillet 2020. En décembre 2021 la biographie « Pilote et Gentleman » sortait.
Bien qu’affaibli Patrick était en forme lorsque nous la lui remimes. « Merci. Maintenant je peux partir en paix ». Inutile de dire que ces mots poignants nous marquèrent.
De Jean-Claude Killy à Alain Prost ses exemples, de Mario Andretti à Derek Warwick, John Watson, Jacques Laffite, Alan Jones, ses anciens équipiers en F1 tous loueront au cours de nos entretien son extrême droiture et son honnêteté.
On est parfois déçu par ses héros de jeunesse mais j’ai eu le bonheur de rencontrer en Patrick un être d’exception. Un homme dont l’exemple et l’inspiration qu’il prodigue rendent plus fort.
Je pense aujourd’hui à Esti et Loïc et je pense à Dominique et Adrien. Nul doute que le titre de champion FIA d’Adrien et l’annonce de la naissance de sa petite fille auront éclairci d’un grand rayon de soleil les dernières semaines de Patrick.
Je leur présente en mon nom et en celui des auteurs et lecteurs de Classic Courses mes condoléances les plus attristées.
R.I.P Patrick.