Rossano nous invite à boire du vin chaud et à jouer au billard avec Harvey Postlthwaite, Tomaso Carletti, Antonio Tomaini et le Dr Augusto Baldini. En compagnie du Grand Gilles.
Rossano Candrini
Traduit de l’italien par Jean-Paul Orjebin
Dans la même série :
Rossano Candrini 1 – L’ami d’Enzo Ferrari
Rossano Candrini 2 – Fiorano
Rossano Candrini 3 – Modène et Hollywood
Rossano Candrini 4 – Ma 288 GTO
Rossano Candrini 5 – Test secret
Rossano Candrini 6 – Une 250 Gte
Rossano Candrini 7 – Padrone bienveillant
Rossano Candrini 8 – Merci Ingegnere Forghieri
Rossano Candrini 9 – La Ferrari 4 portes
Rossano Candrini 10 – Paris truqué
Rossano Candrini 11 – Partie de billard avec Gilles
Dans la province de Modène, il y a un joli village nommé Levizzano Rangone, l’un des rares à se situer en altitude.
Dans le bar situé sur la petite place circulaire, je retrouve l’Ami Tomaini et le Dr. Augusto Baldini, originaire de ce village, fan de l’Inter et Tifoso Ferrari absolu. Ils ont organisé, ces premiers jours de novembre 1981, un tournoi de billard. A l’occasion de cette soirée le bar a été privatisé.
Gilles Villeneuve était invité avec l’ing. Carletti et aussi Harvey Postlethwaite récemment arrivé à la Ferrari, apportant à Maranello sa connaissance des matériaux composites et des premiers autoclaves pour le traitement des nouvelles technologies qui seraient mises en œuvre sur la nouvelle C2 en 82.
Chez nous, la période des fêtes de la Toussaint s’accompagne souvent de brumes et de brouillard, ils font partie du paysage de notre région, cette nuit-là c’était exactement le cas.
Augusto Baldini, excellent endocrinologue, considéré comme un ponte dans la région, était déjà au bar avec Tom et Harvey quand je suis arrivé.
Il ne manquait plus que le pilote canadien et l’ing. Tomaso Carletti.
Pendant ce temps, la nuit était tombée et avec elle un brouillard épais.
En attendant nos amis, le vin et les châtaignes étaient disposés sur notre table, notre conversation animée couvrait le bruit des buches qui crépitaient dans la cheminée.
Nous parlions non pas tant des prouesses faites par Gilles et de ses deux premières places obtenues dans le championnat qui venait de s’achever, mais de la nouvelle C2 dont tout le monde attendait beaucoup.
Postelthwaite avait apporté une considérable contribution à un nouveau châssis qui devait faire oublier T5 et CK. L’ing. Mauro Forghieri lui, devait perfectionner le rendement du petit 1500 six cylindres turbo, le rendre plus fiable, plus coupleux et plus puissant.
En somme, nous attendions beaucoup de l’année suivante.
Personne ne pouvait imaginer que l’équipe de Maranello connaitrait tant de malchance et de circonstances malheureuses en 1982.
Nous attendions toujours lorsqu’un bruit aigu et furieux venu du fond de la vallée nous alerta, pas d’erreur possible c’était celui d’un 8 cylindres, alors un verre de vin chaud dans une main et une châtaigne dans l’autre, nous sommes sortis et de la terrasse du petit bar qui donne sur la place, nous avons tenté d’apercevoir quelque chose. Le brouillard était si compact qu’il étouffait les bruits, plus de son, pas encore d’images. Puis le bruit, perçu plus tôt, revient encore plus fort et accompagné d’un énorme crissement de pneu, la 308 de Gilles nous apparait garée en travers sur la petite place.
Nous avons d’abord vu Gilles sortir de l’auto comme s’il s’en échappait, suivi de l’ing Tomaso Carletti qui entre un blasphème et des jurons prononcés en dialecte livournais nous affirmait d’une voix blanche qu’ils avaient failli passer sous une remorque chargée de raisin.
La pauvre 308 fumait de partout, avec le brouillard on ne l’aurait peut-être pas remarquée, mais l’odeur de freins, d’embrayage, d’huile chaude et de pneus en attestait.
Ce fut une très agréable et joyeuse soirée. Le tirage au sort m’a désigné pour faire équipe avec Gilles au billard et je ne nie pas être le seul responsable, si nous avons perdus tous les matchs.
Nous avons joué jusqu’à minuit, puis quand il a été le moment de partir, Carletti a dit catégoriquement :
« Je ne reviens pas avec Gilles, je ne veux pas mourir » et s’en est suivie une nouvelle brochette de jurons en livournais.
Le canadien est parti le premier, il a dessiné une sorte de huit dans l’asphalte de la petite place et a pris la route étroite qui sort du village. Le brouillard a avalé la Gts. Depuis la terrasse du restaurant, nous avons entendu les trois premières vitesses changées au limiteur.
À Levizzano, ils ont gardé précieusement ces traces de pneus signées Villeneuve jusqu’à ce que les pluies d’hiver les effacent.
Inversement pour moi, le souvenir de cette soirée ne s’est jamais effacé.
Il ne reste plus que Tom et moi de ce groupe.
Gilles, Harvey, ce cher Augusto et Tomaso ont quitté cette terre depuis un certain temps.
Je n’exclus pas de les revoir.